Nicolas Rouzaud, chef pâtissier du Connaught à Londres : « Rien ne m’est imposé ; je fais des desserts que j’ai envie de faire » – Interview
À Londres, le chef pâtissier Nicolas Rouzaud fait du tea time au Connaught un genre sculpté : « je cherche à faire de mes desserts de petits joyaux »
À Londres, les chefs pâtissiers français sont nombreux à avoir pris la tête des cuisines de palaces. Le Connaught n’y fait pas exception, qui a choisi pour chef exécutif pâtissier le jeune Nicolas Rouzaud, responsable des offices sucrés du Jean-Georges (la table ouverte l’année dernière par Jean-Georges Vongerichten au Connaught, à découvrir ICI). Toujours sur le qui-vive lorsqu’il s’agit de rencontrer les talents culinaires outre-Manche, Food&Sens a interviewé ce Toulousain passionné, pour qui la pâtisserie épouse la même fonction que la joaillerie : celle de tailler la matière, pour la faire scintiller. Bilan avec ce chef un an après sa prise de fonction.
11 heures du matin, par un matin clair-obscur de juin ; j’entre au Connaught, où déjà des effluves de chocolat chaud s’épanouissent. Au vu du triste ciel où filtre un bout de soleil, voilà qui constitue un baume au cœur efficace. Ces odeurs de chocolat matinal ont leur cause : Nicolas Rouzaud est en pleine présentation de sa nouvelle carte du tea time. Sur une assiette au blanc irréprochable, trônent cinq desserts de petite taille, qui chacun racontent leur histoire sucrée, entre souvenirs gustatifs éblouis de l’enfance, et innovations techniques maîtrisées. Le thème de ce nouvel afternoon tea ? L’été. D’où la farandole de fruits de saison, qui décorent et inspirent les desserts qu’ils culminent. Abricots, fraises, cerises, et bientôt la pêche, tous sont là, comme autant d’indicateurs estivaux. « Je travaille toujours très proche des saisons », commence par expliquer le chef Nicolas Rouzaud. Pour qui le point de départ d’un dessert est le fruit. « Quand j’ai retenu le fruit que je souhaite travailler, je cherche les saveurs qui se marieront bien à lui. Une fois les goûts mis en place, j’élabore le visuel à partir de ce cadre. » De bout en bout, le fruit conserve une place prépondérante ; pas trop de sucre pour ne pas masquer sa saveur, pas trop de travail non plus sur une pâtisserie qui sinon, deviendrait moins lisible. « J’aime beaucoup mettre des fruits frais entiers sur le dessert ; ainsi, le fruit fonctionne comme le révélateur du contenu du dessert. Si j’annonce une Pavlova, il faut qu’on voie la fraise tout de suite. Le fruit en lui-même donne l’identité du dessert. »
Un an de Connaught plus tard, le chef pâtissier est content ; son entente culinaire avec Jean-Georges Vongerichten est au beau fixe, et la carte blanche qu’on lui a allouée côté desserts, toujours en vigueur. « Rien ne m’est imposé ; je fais des choses que j’ai envie de faire. Et puis, travailler au Connaught, palace emblématique de la ville, c’était un rêve. Je rêvais encore plus de travailler pour Jean-Georges, dont le nom suffit à ouvrir des voies sur le monde. » Un joli bilan, donc, pour celui qui est à Londres depuis trois ans maintenant (deux ans d’abord au Lanesborough, autre palace grand genre de la ville, et depuis, la suite s’écrit au Connaught). Le succès du Jean-Georges se constate d’un regard, tandis que la salle se remplit dès midi. « C’est ce que j’aime ici ; les gens viennent, puis reviennent. Une fois pour le lunch, une autre fois pour l’afternoon tea, une autre fois pour dîner. Nos habitués sont nombreux, et varient leurs options gourmandes. Et puis, ceux qui s’attardent au déjeuner voient leurs voisins de table en plein tea time ; forcément, ça leur donne envie d’essayer ! »
Sans doute est-ce en vertu du côté délicieusement fun du Jean-Georges que le restaurant est plein à toute heure. Entre la fameuse (et indétrônable) pizza en plat de résistance, qui fait les beaux jours des foodistes avertis, et les desserts pop et colorés de Nicolas Rouzaud, on ne s’ennuie guère. La fondue au chocolat, signature du chef, maintient son succès saison après saison ; de même, la barbe à papa, autre signature, caracole à la tête d’une demande consistante, fondant sous un spray qui en dévoile le cœur. Ne ratez pas non plus le Rocher, version ultra addictive des petits desserts Ferrero ; « ce dessert-là, il m’a suivi du Lanesborough au Connaught », raconte Nicolas Rouzaud. « Car au fond, chaque dessert est pour moi l’incarnation d’un souvenir. » Et il le dit dans une pointe d’accent toulousain, quelque peu gommé par trois années de Londres.
Au final, cette installation en Angleterre aura boosté la créativité du chef Nicolas Rouzaud. Il y a appris d’autre choses ; « Londres est une ville dont l’offre culinaire est très conceptuelle. Tout restaurant qui se respecte doit présenter un décor pour accompagner sa cuisine. Ici, lorsqu’on sort dîner, ce n’est pas juste pour dîner ; on sort vivre une expérience complète. A Paris, les gens reviennent dans un restaurant parce que sa cuisine est bonne ; à Londres, les gens reviennent dans un restaurant parce que sa cuisine ET l’ambiance sont bonnes. C’est ça la grosse différence – que j’ai mis du temps à comprendre », détaille-t-il. De fait, Nicolas Rouzaud ne lésine pas sur le décor de ses desserts, en accord avec l’effort décoratif de la salle ; « pour l’afternoon tea, je cherche à faire de mes desserts de petits joyaux. » Sculptés à l’alvéole près, ils offrent une narration aussi ludique que régressive, sur lesquels plane l’ivresse de l’enfance.
À terme, Nicolas Rouzaud se prend à rêver d’une pâtisserie ; un jour, il aimerait ouvrir la sienne. « C’est là le rêve secret de tout pâtissier », confie-t-il en souriant. « Car c’est de là dont nous venons ; avant d’avoir rejoint les palaces pour prêter main forte aux chefs en créant leurs desserts, nous sommes issus des pâtisseries traditionnelles. Du coup, j’admire des parcours comme ceux de Christophe Felder, Philippe Rigolo, ou encore Christophe Michalak, qui était le chef pâtissier du Plaza Athénée lorsqu’il a gagné la coupe du monde… » Pour l’heure parfaitement bien au Connaught, Nicolas Rouzaud a conscience du tremplin que son poste propose. « Les hôtels sont idéaux pour acquérir beaucoup d’expérience ; on y touche absolument à tout : aux banquets, aux pièces montées, aux mignardises pour les cocktails, aux amenities, aux desserts de restaurants, et aux tea times. » D’ici à sa potentielle future pâtisserie, passez par le Connaught pour découvrir le feu sucré de Nicolas Rouzaud.
Par Anastasia Chelini