L’Oustau de Baumanière : trois couleurs, trois plats
Pour rendre justice par écrit à la cuisine de L’Oustau de Baumanière, que j’ai découverte ce lundi pour la première fois de ma vie, il me faudrait plus de temps que je n’en dispose. Et puis, comme j’ai vite compris à table, l’œuvre de Jean-André Charial et de son chef de cuisine Glenn Viel est un ravissement global qui n’a pas besoin d’être décortiqué. On ne se dit pas : ça, ça marche ; ça, non. Elle présente une unité de style rarement atteinte. Chaque plat affiche librement son essence, expose son inspiration, sans se draper dans l’artifice, sans besoin de garniture, sans tralala. L’assiette se suffit à elle-même, conte son histoire toute seule : chaque partie contient le tout, chaque ingrédient contient tout le plat, chaque plat contient tout le menu, comme un petit microcosme s’insérant dans un autre microcosme. Et autour de tout ça, la vallée des Baux, présence minérale à la fois immobile et convulsive, changeant d’aspect à la moindre variation de lumière. Extraordinaire théâtre, sous un ciel provençal qui semble plus pur qu’ailleurs.
Plutôt que de disséquer mécaniquement l’expérience, je préfère réaliser une synthèse autour de trois plats extraits des deux menus qu’on m’a servis. Deux le soir, un le lendemain au déjeuner. Trois couleurs : rouge, blanc, vert. Trois démonstrations, qui n’en font qu’une seule, de cette simplicité que l’on ne peut obtenir qu’au prix d’une énorme somme de travail. Et comme, dans cette cuisine, la partie contient le tout, j’aurais pu choisir n’importe lequel des autres plats.
Thon en tataki, mousseline d’aubergine gascona grillée à l’huile d’olive de Castelas, aneth, câpres frites. Un étrange gastéropode marin sans coquille s’est échoué sur une assiette blanche. La chair de thon rouge, d’une qualité exceptionnelle, est finement marinée à la sauce de soja. Les petites câpres frites sont comme des accents aigus de saveur et la créature protège une couche de caviar d’aubergine mousseux d’une grande légèreté.
Le riz : crème de lait de riz de Camargue, riz de Camargue soufflé. Ce plat arrive innocent comme un angelot et cache bien son jeu. La crème tire parti de la fadeur du riz (la fadeur est un goût, comme l’ont compris les Chinois puis les Japonais) pour nous faire apprécier une texture fine et onctueuse. Les petits grains de riz soufflé ont la même saveur que la crème, mais ils croquent, ils s’amusent bien. Sous cet édredon se tient une purée d’ail noir forte, sapide et piquante : surprise, contraste, yin-yang.
Lundi soir, entre rouget et dessert, M. Charial m’apporte ce plat supplémentaire. « J’ai voulu vous faire goûter les haricots verts du jardin. » Ces haricots verts sont cueillis à peine sortis de la fleur, encore filiformes, cuits juste le temps de les assouplir, très al dente, et roulés dans un bon beurre frais. La cuisson est si brève qu’elle n’a pas eu le temps d’attendrir leur duvet de bébé, d’où une texture un peu rugueuse en bouche qui précède le croquant. Il n’y a ici que des haricots verts et c’est une révélation. Je ne vais pas faire de comparaison, mais M. Charial a été le premier chef français à proposer un menu tout-légumes et l’on comprend pourquoi. Le respect de l’ingrédient, mieux : l’honnêteté envers le végétal explosent à travers cette création qui relève des travaux d’Hercule ou des épreuves imposées par Aphrodite à Psyché. Le concept de « jardin de chef » prend pour ici tout son sens. Si ce n’est pas pour faire des plats comme celui-là, ce n’est pas la peine d’avoir un jardin potager.
À propos de vert, la Petite Cuillère va bientôt s’y mettre et passe en mode repos jusqu’à la rentrée. Je ne dis pas que, si je trouve une très bonne table, je ne serai pas tentée d’écrire quelques mots dessus. Mais ça n’a rien d’une promesse. À bientôt donc, lecteurs aimés, et rendez-vous au plus tard en septembre. Photo de couverture : laitue cuite par pression, farcie au fenouil et à la tomate, croûtons.
L’Oustau de Baumanière – Jean-André Charial et Glenn Viel. Mas de Baumanière, 13520 Les Baux-de-Provence. Tél. : 04 90 54 33 07. https://www.baumaniere.com/
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud