Davy Tissot chef et Bocuse d’or : « La première chose que je regarde lorsque je rencontre quelqu’un, ce sont ses mains. Elles en disent beaucoup… »

04 janvier 2022  0  Non classé
 
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Le quotidien La Croix est allé à la rencontre du chef Davy Tissot, lequel tel un athlète est allé décrocher haut la main le dernier concours du Bocuse d’Or à Lyon à l’automne dernier… le chef est un compétiteur hors pair, ses victoires il va les chercher grâce à un long travail en amont des compétitions et une préparation au millimètre … retrouvez son portrait ci-dessous.

Sur les hauteurs d’Écully (Rhône), le cliquetis des fouets contre les saladiers en inox et le craquètement des légumes sous le hachoir n’ont jamais cessé : dans ces cuisines plus connues sous le nom de « Refuge », la jeune Naïs Pirollet prépare discrètement sa sélection pour représenter la prochaine « team France » au Bocuse d’or, sous l’œil attentif de Davy Tissot. Il y a quelques mois encore, le chef était derrière les mêmes fourneaux, à peaufiner sa préparation technique, physique et mentale à l’approche de cette compétition internationale – l’une des plus prestigieuses dans le monde de la gastronomie. Il l’a remportée le 27 septembre 2021, à Lyon : « C’était le Graal depuis mon titre de meilleur ouvrier de France, en 2004 ! » raconte-t-il, ses grands yeux clairs encore brillants de joie.

À 48 ans, il est désormais l’un des visages d’une cuisine française qu’il se plaît inlassablement à défendre, en ambassadeur dans les médias comme au jury des concours européens. « Je crois qu’elle en a besoin », souffle-t-il en se remémorant ses tout premiers contacts avec elle. Enfant, il grandit dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux (Rhône), où il passe la plupart de son temps avec sa grand-mère, une Sicilienne d’abord émigrée à Tunis, chez qui l’on peut goûter, à toute heure, une cuisine simple, généreuse et inspirée. L’image qu’il lui reste est celle d’une grande tour familiale, imprégnée par les odeurs du bassin méditerranéen : « Le matin, on pouvait deviner ce que chacun avait dîné, depuis le bas de l’allée ! » Le jeune garçon est discret, mais curieux et observateur, « sauf à l’école, qui n’était vraiment pas faite pour moi », glisse-t-il.

Les cuisines comme terrain de sport

Après avoir redoublé sa sixième puis sa cinquième, Davy Tissot, qui a l’impression d’être mis de côté, cherche à s’exprimer avec ses mains : « J’étais attiré par le travail du bois puisqu’on était en pleine période Ikea, explique-t-il en riant, mais aussi celui des légumes, parce que je savais que j’étais dans la capitale de la gastronomie. » C’est justement un célèbre Lyonnais qui retient son attention : le chef Paul Bocuse mais surtout son col bleu blanc rouge et sa médaille. Car l’adolescent, qui pratique de multiples sports en compétition – de la natation à l’athlétisme – a aussi développé un incroyable goût du challenge : « À partir de ce moment-là, il fallait à tout prix que je gagne des prix de cuisine. » L’école hôtelière de Vénissieux est la seule à accepter cet apprenti chef qui devra surmonter bien d’autres échecs avant de décrocher une expérience au sein des maisons réputées.

« Là, il suffisait d’observer, s’exclame-t-il encore, car, comme m’a dit un jour un de mes mentors, “notre métier ne s’apprend pas, il se vole”. » En s’engageant dans de nombreux concours, Davy Tissot témoigne surtout d’un sens de l’effort sans pareil : « Je savais déjà qu’il fallait être plus performant que les autres », assure-t-il en multipliant les références à l’univers du sport. Le chef ne lâche jamais ses baskets et se réjouit de la petite salle de musculation installée au « Refuge », qu’il n’hésite pas à comparer à un « mini-Clairefontaine », le centre d’entraînement de l’équipe de France de football. Après avoir décroché le titre de Meilleur Ouvrier de France et obtenu ses premières étoiles, il se jure de mettre à l’honneur la cuisine de son pays en consacrant les années à venir à l’aventure du Bocuse d’or, créé par le « cuisinier du siècle » en 1987.

Soigner l’héritage à la française

Davy Tissot commence par intégrer le comité d’où il peut observer de près ses adversaires, en prenant des milliers de photos et de notes, et choisit même de partir seul avec son carnet pour tester des restaurants étoilés aux quatre coins du monde. C’est à ce moment-là, précisément, qu’il comprend à quel point les techniques gastronomiques traditionnelles sont ici « ringardisées » quand elles sont convoitées partout ailleurs : « Au beau milieu de l’Asie, on me propose avec fierté une crêpe Suzette et on me sert un amuse-bouche dans une tasse en porcelaine de Limoges ! » Pour lui, la règle est simple : il faut accepter et suivre l’enrichissement et l’évolution de l’art culinaire français, mais ne jamais renier cet « héritage unique » découvert, pour lui, dans les ouvrages d’Auguste Escoffier (1846-1935).

Avant de remporter la victoire, Davy Tissot a d’ailleurs longuement travaillé auprès de scientifiques pour concevoir une texture de petit pois inédite, mêlant l’ancien savoir-faire français de la béchamel et des techniques venues d’Irlande. Beaucoup de rigueur et une ouverture d’esprit à toute épreuve : de quoi nourrir la future génération à qui le cuisinier cherche à passer le flambeau. « Il faut tout faire pour intégrer un maximum de jeunes dans les équipes de ces concours, estime celui qui a notamment dirigé Saisons, le restaurant d’application de l’Institut Bocuse. C’est entre leurs mains que reposent l’avenir et la fierté de la gastronomie française.« 

Son inspiration – « Les mains, une forme d’intelligence qui n’est pas assez valorisée »

« La première chose que je regarde lorsque je rencontre quelqu’un, ce sont ses mains. Elles en disent beaucoup, que vous soyez chirurgien ou que vous travailliez le bois. Les mains d’un cuisinier, par exemple, sont souvent propres, joyeuses, les ongles coupés, et je suis persuadé que les miennes suffiraient à faire mon portrait. Surtout, je crois que la main, qui n’est qu’une continuité du cerveau, est une forme d’intelligence qui n’est pas assez valorisée. Dans mon métier, j’utilise quelques ustensiles, mais j’ai toujours besoin de toucher, de manipuler et d’observer le geste des autres. L’une de mes photos préférées est d’ailleurs celles des mains d’un cueilleur de champignons, affichée dans la cuisine (du chef) Emmanuel Renaut, où l’on voit à la fois la force du travail, le temps qui a passé, la délicatesse et la douceur. »

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