Londres au restaurant SILO – Douglas McMaster, le chef qui a supprimé le mot « poubelle » de son vocabulaire ( et de ses cuisines )

Londres – rendez-vous dans le quartier de Hackney Wick, pour découvrir le restaurant Silo, un lieu qui intrigue autant qu’il inspire. Ici, pas de plastique, pas de gaspillage, pas même de poubelle. Derrière ce manifeste culinaire radical, Douglas McMaster, chef britannique autodidacte et visionnaire, qui a fait du zéro déchet la colonne vertébrale de sa cuisine.
C’est dans le cadre d’un voyage d’étude organisé par les Relais & Châteaux pour le Culinary Council 2025 qu’une vingtaine de chefs ont été réunis par Alexis Lalo responsable de la branche « Chefs » pour les R&C autour du Président de la Chaîne Laurent Gardinier et du chef trois étoiles Mauro Colagreco. Une excellente idée, fort appréciée par les chefs et une expérience assez unique de rencontrer un chef autant engagé dans une démarche responsable.



Du chaos à la conscience – Formé auprès de figures comme le chef emblématique Heston Blumenthal au Fat Duck et du chef Fergus Henderson au St. John, le jeune Douglas McMaster a d’abord connu la haute gastronomie dans ce qu’elle a de plus technique, voire de plus excessif. Un univers de précision et de luxe, mais aussi d’abondance.
Le déclic survient lors d’un séjour en Australie, où il rencontre Joost Bakker, artiste et militant écologiste néerlandais installé à Melbourne. J. Bakker lui pose une question simple : « Peux-tu imaginer un restaurant sans poubelle ? » Cette phrase deviendra un tournant.

En 2012, les deux hommes ouvrent ensemble Silo by Joost à Melbourne, premier restaurant au monde conçu sans production de déchet. Trois ans plus tard, McMaster décide de transposer cette utopie à l’échelle européenne : Silo ouvre à Brighton, puis à Londres en 2019, au sein du White Building, en partenariat avec la brasserie CRATE.


Un destination : Hackney Wick, le laboratoire urbain – Ancienne zone industrielle de l’Est londonien, Hackney Wick s’est transformée en l’un des quartiers les plus créatifs de la capitale. Friches reconverties, ateliers d’artistes, micro-brasseries et start-ups s’y entremêlent dans un décor brut, presque post-industriel. L’esprit du lieu tient dans ce mélange d’avant-garde, de culture alternative et d’énergie communautaire.



C’est dans cet environnement bouillonnant que le restaurant SILO trouve naturellement sa place : un restaurant-manifeste au cœur d’un quartier où l’expérimentation est la norme, et où les initiatives écologiques et artistiques redéfinissent la ville. L’adresse s’impose ainsi comme un symbole du renouveau culinaire londonien, à la croisée de la gastronomie, du design et de la pensée durable.




Une cuisine circulaire – Chez Silo, tout commence par la matière première. Les producteurs livrent leurs produits dans des contenants réutilisables, sans emballage. Le restaurant moud sa propre farine, brasse ses boissons fermentées, fabrique son beurre et composte sur place.
Chaque ingrédient est utilisé dans sa totalité : les peaux, tiges, pulpes et arêtes deviennent sauces, bouillons ou ferments. Les restes organiques nourrissent le compost, qui retourne ensuite aux fermes partenaires. Rien ne sort du cercle.






Le mobilier et les objets du quotidien prolongent cette cohérence : tables en matériaux recyclés, vaisselle moulée à partir de verre broyé ou de coquilles d’oeufs, abat-jour cultivés en mycélium, textiles upcyclés, les étiquettes des codes barres en peau d’oignon, … Même la carte, en perpétuelle évolution, dépend du flux de la nature et des récoltes.




« Le déchet est un échec de l’imagination » – C’est la phrase-manifeste du chef McMaster. Pour lui, le déchet n’est pas une fatalité mais une limite créative. Son équipe de jeunes cuisiniers travaille avec une rigueur quasi scientifique : fermentation, lacto-fermentation, distillation, broyage… tout devient sujet d’expérimentation.
Le résultat n’a rien d’ascétique : la cuisine de Silo séduit par sa pureté, son intensité végétale et son audace. Les assiettes — un tartare de betterave fermentée, un pain au levain cuit au feu de bois, une crème d’avoine caramélisée au miso — racontent autant la saison que le cycle du vivant.
En 2021, le restaurant reçoit une Étoile Verte Michelin, reconnaissance officielle de son engagement environnemental.





Penser au-delà de la gastronomie – Pour le chef McMaster, le zéro déchet dépasse la cuisine : c’est un modèle de société. Silo est pensé comme un laboratoire vivant, une démonstration que la durabilité peut rimer avec excellence. « Nous avons prouvé qu’un restaurant peut exister sans déchet, sans renoncer au plaisir, à la beauté ni au goût. C’est une révolution silencieuse« , explique le chef.






Cette radicalité attire à la fois les curieux et les professionnels. Des chefs du monde entier viennent observer l’organisation du lieu : une chaîne alimentaire inversée, où chaque étape – du champ à l’assiette – est pensée en boucle fermée.















À quelques pas du restaurant, Douglas McMaster a installé ses caves de fermentation, un espace discret mais central dans sa démarche. On y trouve des jarres de céramique et des fûts de chêne où reposent vinaigres, misos, kombuchas, garums végétaux ou lacto-fermentations maison. Véritable laboratoire vivant, ce lieu permet au chef de prolonger la durée de vie des produits, d’enrichir la palette aromatique de sa cuisine et de repousser encore les limites du gaspillage. Ces fermentations alimentent le restaurant au fil des saisons et témoignent d’un savoir-faire où science et instinct se rejoignent.





Un futur en équilibre – Silo n’est pas un modèle figé, Douglas McMaster l’admet volontiers : atteindre le zéro absolu reste une utopie. Mais en réduisant 95 % des déchets et en repensant chaque geste, il démontre qu’une autre gastronomie est possible. Son message est clair : l’innovation n’est plus seulement technique ou esthétique, elle est écologique et systémique.
À Londres, Silo fonctionne comme une métaphore du futur : une cuisine qui ne produit rien d’autre que du goût, de la matière vivante, et une conscience renouvelée de ce que “manger” veut dire.
















