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À Singapour, Christophe Lerouy tient un bistrot-gastro dans l’air du temps, le Restaurant Lerouy – Interview

16 août 2019  0  Non classé
 

signature-food-and-sens  À Singapour, Christophe Lerouy tient un bistrot-gastro dans l’air du temps, le Restaurant Lerouy

C’est en pleine effervescence d’un coup de feu prandial que je découvre le Restaurant Lerouy. Donnant sur une rue animée du quartier bancaire de Singapour, cette table jeune et vive fait le bonheur d’une clientèle locale connaisseuse, venue goûter ici la cuisine française moderne du chef Christophe Lerouy, Jeune Talent de l’Année Gault&Millau France 2015.

Dans son restaurant Lerouy, le chef Lerouy en plein service

Le jour de ma visite, la chaleur est culminante, et la climatisation qui s’y oppose, tenace. À peine entrée au Lerouy, qu’aussitôt son atmosphère vivace fait effet ; elle se saisit du visiteur, le ravive, le remodèle, le requinque, pour le réconcilier avec le monde. Le long d’un comptoir au trajet sinusoïdal, s’attablent joyeusement des habitués (nombreux), des nouveaux du jour informés, et des touristes de passage. Tout ce beau monde déjeune dans un petit espace optimisé au centimètre près, avec ses vingt-six sièges tutoyant le comptoir, selon des notes cosmopolites plongées dans une ambiance busy(mais pas trop bruyante, juste ce qu’il faut d’entraînant). Justement, le caractère bistronomique du Lerouy ménage un avantage plaisant : pile derrière le comptoir, à la vue immédiate de tous, le chef s’affaire, assemble, cuisine, servant lui-même ses plats aux clients. Un quatuor d’amuse-bouche vient lancer le déjeuner. La mécanique du Lerouy s’enclenche, bien huilée ; les plats se suivent mais ne se ressemblent pas. Le chou en croûte de sel présente ses flancs pleins d’éclat ; que vient électriser l’acidité du yusu japonais. Plus tard, une Forêt Noire revisitée entêtera ma mémoire durablement. Singapour, me dis-je à part moi, est vraiment une destination culinaire détonante, où l’ennui n’existe pas, car la ronde des saveurs et de leurs possibles ne finit pas d’y tourner. Après le dessert, et tandis que le restaurant se vide peu à peu, l’heure est à l’échange avec le chef. Il s’assied, content de son service. L’interview commence.

Parlez-nous du concept du Restaurant Lerouy, et de votre cuisine.

Christophe Lerouy : Ici, il n’y a ni service, ni nappes blanches. Côté cuisine, la base est française, mais j’y ajoute des mélanges, des touches asiatiques et orientales. Moi qui ai travaillé à Marrakech, j’ai beaucoup appris là-bas ; les épices, la façon de cuisiner, les huiles… Au Lerouy, donc, je sers des plats français revisités, plus légers que leur version originale. C’est une cuisine forte en goût, marquée. J’essaie de ne pas cuisiner de produits nobles, je préfère travailler une bonne sardine par exemple. Côté menus, le Restaurant Lerouy fonctionne autour de quatre options ; un petit et un grand menu les midis, et un petit et un grand menu les soirs. Quant aux prix, ils sont très raisonnables.

F&S : En venant au Lerouy, on pense à AM d’Alexandre Mazzia, par exemple, qui présente un fonctionnement similaire.

C.L. : Tout à fait ; Alexandre est l’un de mes chefs préférés.  

F&S : Quels autres tables et chefs vous inspirent ?

C.L. : L’air du temps en Belgique ; Odette à Singapour, où j’ai mangé récemment (et très bien mangé). Et chez les Pourcel, bien sûr. Jacques et Laurent, ce sont mes mentors. Là où j’en suis aujourd’hui, c’est grâce à eux… J’ai travaillé pour eux pendant deux ans et demi au Jardin des Sens ; ils m’ont fait grandir, monter la marche au-dessus. Ils donnent de très belles opportunités à leurs équipes.

Singapour est une destination culinaire qui a le vent en poupe ; vous qui y vivez depuis 2006, comment percevez-vous son évolution ?  

C.L. : Quand je suis arrivé en 2006, je travaillais au restaurant Saint Pierre. L’ouverture de l’hôtel Marina Bay Sands en 2010 a changé la donne côté fooding, car il a entraîné l’arrivée de beaucoup de chefs. De plus, les Singapouriens voyagent énormément, ils ont un palais très éduqué ; la clientèle locale est exigeante, elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle veut manger. Les expatriés installés ici sont également des foodies. Du coup, au Lerouy on change trois à quatre plats par mois, car les habitués viennent entre quatre et six fois par mois. Et puis, pour continuer à rester varié, je fais des quatre mains tous les mois.  

En dépit du dynamise de votre restaurant, craignez-vous que toutes ces tables et nouvelles ouvertures fassent de l’ombre au Lerouy ?  

C.L. : Le restaurant marche bien, car il est bien situé, il propose un bon rapport qualité/prix, et son ambiance familiale plaît. (D’ailleurs, c’est exactement ce que je voulais faire : accueillir les gens à la porte, supprimer le service, et avoir majoritairement une clientèle d’habitués.) Ceci dit, il est vrai qu’on est beaucoup de restaurants maintenant, et on partage tous les mêmes clients. Rien que dans les rues d’à côté, il y a trois restaurants étoilés. 

De l’Alsace (dont vous êtes originaire) à Singapour, il n’y a qu’un pas ? Racontez-nous ce qui a motivé votre installation ici.   

C.L. : Je me suis toujours dit que j’avais envie de vivre à Singapour. J’aime son côté multiculturel, où vivent beaucoup de nationalités différentes. À mon sens, il n’y a pas un autre pays comme celui-là. Singapour m’a toujours attiré, par son dynamisme et son économie. Et puis, ma femme est Singapourienne. Ceci dit, je reste voyageur.

Revenons sur votre parcours ?

C.L. : J’ai fait deux ans au Ledoyen, puis deux ans au Grand Vefour, puis deux ans au Jardin des Sens à Montpellier. Je suis ensuite parti à Los Angeles un an et demi, en tant que sous-chef du Raffles. Suite à cela, j’ai voulu partir en Asie ; j’ai alors rejoint le Saint Pierre à Singapour (qui a désormais une étoile Michelin). Après quoi, j’ai tenu pendant six mois la Maison Pourcel (le restaurant des frères Pourcel à Shanghai lors de l’Exposition Universelle). Le rythme était dense ; on faisait 600 couverts chaque jour ! J’ai ensuite fait l’ouverture du restaurant de Juan Amador à Abu Dhabi. Puis le décès de mon père m’a fait revenir en France, où j’ai repris un temps l’affaire familiale, Lerouy. C’est là que j’ai obtenu trois toques au Gault&Millau 2015, ainsi que la distinction Jeune Talent de l’Année. Même si on était situé au fin fond de la campagne, les gens venaient au Lerouy. Toutefois, l’appel du large a fini par me reprendre, et je suis revenu à Singapour. J’ai rejoint le gastronomique Alma, et nous avons pris une étoile. Au bout d’un an et demi, je suis parti pour ouvrir ma propre affaire. J’ai ouvert Restaurant Lerouy en novembre 2017. Ça va bientôt faire deux ans.   

Qu’est-ce qui, selon vous, est essentiel au succès d’un restaurant à Singapour ?  

C.L. : La présence du chef. Les Singapouriens vont au restaurant pour la cuisine, pour l’ambiance, mais aussi pour voir le chef. Chez Odette par exemple, les clients y vont pour voir Julien Royer. Ils aiment que le lieu soit incarné, qu’il reflète l’identité du chef. Je pense qu’à Singapour, faire de la bonne cuisine ne suffit pas ; il faut aussi que le restaurant incorpore cette touche personnelle.

Vous êtes plusieurs chefs français à tenir table à Singapour : Julien Royer à Odette, Jérémy Gillon le chef-patron du JAG, Sébastien Lepinoy le chef exécutif du deux étoiles Les Amis, etc…

C.L. : Oui, nous sommes une dizaine de chefs français ici. On se fréquente, on s’entend tous bien, on se soutient. Et puis, on fait tous quelque chose de différent, donc c’est pour le mieux. Il y a une belle communauté française à Singapour.

Quels sont vos restaurants de prédilection ici ?

C.L. : J’ai vraiment adoré Odette. Il y a aussi Meta Restaurant (1 étoile), moitié européen moitié coréen ; le Tippling Club, du chef-propriétaire Ryan Clift, qui est l’un des premiers à être arrivé ici, et qui a fait monter la destination. Pour l’anecdote, c’est le premier restaurant que j’ai testé à Singapour, et où je vais depuis des années ; la cuisine est inventive, j’envoie toujours les gens là-bas. J’aime bien aussi Cheek By Jowl, un fine dining australien moderne, étoilé Michelin, conduit par Rishi Naleendra. La Brasserie Gavroche est à découvrir également, du chef-propriétaire Frédéric Colin. Et le Ma Cuisine, un gastro-bar à vin (mené par Anthony Charmetant et Mathieu Escoffier). 

Un commentaire sur le BBR by alain ducasse, le bistrot d’Alain Ducasse au Raffles Hotel Singapore, qui devrait ouvrir en septembre ?

C.L. : Je pense que le chef Ducasse a tout compris ; son choix de faire du bistrot correspond à ce qu’attend la clientèle locale. Les Singapouriens ne dépensent pas forcément beaucoup, au contraire de la clientèle hongkongaise par exemple.

Par Anastasia Chelini

 

 

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