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Jean-François Piège : « Une recette n’est pas une prison ! »
Lors du Sirha Food Forum, Jean-François Piège a partagé sa vision de la cuisine, entre transmission du savoir, adaptation aux évolutions du métier et valorisation du patrimoine culinaire français. À travers une conversation riche et sincère, il est revenu sur son parcours, sa quête d’excellence et son dernier ouvrage, une véritable encyclopédie culinaire destinée à préserver la mémoire des recettes d’hier et d’aujourd’hui.
Dans un monde où la gastronomie évolue sans cesse, comment préserver l’essence d’un patrimoine tout en l’adaptant aux attentes contemporaines ? Jean-François Piège, à travers son dernier ouvrage et son travail quotidien en cuisine, s’attelle à répondre à cette question en faisant de la transmission son principal cheval de bataille. Pour lui, la cuisine française ne doit pas être figée dans un passé nostalgique, mais continuellement réinterprétée et enrichie.
Lors du Sirha Food Forum, il a livré un plaidoyer pour une cuisine vivante, où l’innovation se conjugue avec le respect des traditions. Plus qu’un simple exercice technique, il voit dans l’acte de cuisiner une expression culturelle et émotionnelle, un lien entre le passé et l’avenir, entre le cuisinier et le mangeur. À travers ses paroles, il invite à pratiquer la cuisine pour éviter qu’elle ne devienne une langue morte.
L’ADN de la cuisine française : transmission et réinterprétation
« Une recette n’est pas une prison. » C’est par ces mots que Jean-François Piège définit son approche de la cuisine. Pour lui, les recettes ne sont pas des dogmes immuables, mais des directions à interpréter. Il raconte ainsi comment, à travers les régions, une même spécialité peut exister sous des variantes multiples. Les ravioles de Royans, par exemple, se déclinent en différentes tailles, textures et farces selon les villages. « Il n’y a pas de vérité absolue en cuisine, il y a des histoires et des transmissions. »
Cette conception ouverte et vivante du patrimoine gastronomique s’incarne dans son travail quotidien et dans son dernier ouvrage, un recueil de plus de 1800 recettes. Ce livre, plus qu’un simple manuel, se veut un témoignage des savoir-faire régionaux et un moyen de transmettre ces trésors culinaires aux générations futures. « Une recette, c’est comme une langue. Si elle n’est plus pratiquée, elle meurt. »
Le chef insiste sur la nécessité de réinterpréter la tradition sans la trahir. Il donne l’exemple de sa tarte Tatin, qu’il réalise en cuissant séparément la pâte et les pommes, garantissant un équilibre parfait entre fondant et croustillant. « On respecte l’esprit du plat, mais on cherche à en améliorer l’exécution. »
Entre créativité et responsabilité : un chef en quête de sens
Avec ses dix restaurants en France et à l’international, Jean-François Piège est un chef multiple, mais toujours fidèle à son identité culinaire. « Un restaurant, c’est une extension de soi. Si je ne suis pas présent physiquement, mon ADN doit s’y retrouver. » Il veille à ce que chaque établissement porte son empreinte, tout en laissant de la liberté à ses équipes.
Dans cette réflexion sur l’évolution de son métier, il met en avant la nécessité d’un retour au local et au bon sens. Il raconte comment il a intégré les produits des territoires français dans son Grand Restaurant après le Covid, une manière pour lui de recentrer son travail sur une cuisine identitaire et incarnée. « Pourquoi chercher ailleurs ce que nous avons chez nous ? » s’interroge-t-il, soulignant la richesse exceptionnelle des terroirs français.
Loin de voir la cuisine comme un simple exercice technique, il y intègre une dimension émotionnelle forte. Il évoque notamment son dessert signature, un blanc-manger inspiré des îles flottantes de sa grand-mère. « C’est ma madeleine de Proust, mais je ne l’ai jamais regoûtée comme elle la faisait. Mon interprétation en garde l’essence, mais elle ne pourra jamais égaler le souvenir. »
Préserver et partager : l’importance du livre comme outil de transmission
Jean-François Piège ne se contente pas de cuisiner, il documente, archive et partage. Son amour des livres l’a conduit à rassembler une impressionnante bibliothèque culinaire, et à envisager la création d’un restaurant-bibliothèque où ces trésors pourraient être accessibles à tous. « Un livre, c’est plus qu’un objet, c’est une mémoire vivante. »
Son dernier ouvrage est conçu comme une encyclopédie culinaire, rassemblant les recettes des régions françaises, parfois oubliées, parfois modernisées. Il raconte comment il a découvert le casca saccunu, un ragoût de pommes de terre des Ardennes, ou encore la diversité des versions du barboton selon les territoires. « Ces plats modestes sont une richesse immense. Ils racontent une époque, une manière de vivre, une manière de manger. »
Il défend ainsi une cuisine accessible et ancrée dans le quotidien, loin des démonstrations techniques superflues. Pour lui, la gastronomie ne se limite pas aux grandes tables, elle est présente dans chaque foyer, dans chaque tradition culinaire régionale. « La cuisine, ce n’est pas juste un plat dans une assiette. C’est un récit, une transmission, un héritage qui se construit chaque jour. »
Une vision engagée de la cuisine entre héritage et modernité
À travers son engagement pour la transmission, la créativité et la valorisation du patrimoine culinaire, Jean-François Piège s’impose comme un passeur de mémoire autant qu’un créateur. Son approche repose sur un équilibre entre respect des traditions et quête d’innovation, avec une idée centrale : faire vivre la cuisine en la partageant.
Loin d’une vision passéiste, il défend une gastronomie vivante, évolutive et profondément ancrée dans la réalité des territoires. Son encyclopédie culinaire, ses restaurants et ses prises de parole ne sont que les manifestations d’une même ambition : faire en sorte que la cuisine française continue d’inspirer, de nourrir et de raconter des histoires.
« Notre métier, c’est faire plaisir aux autres. C’est aussi simple que ça. »
Guillaume Erblang