Iratze

Mathieu Moity à Iratze (Paris) : comme au coin du feu

24 février 2017  0  À la petite cuillère Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sensParfois, je trouve que les gens ressemblent au lieu où ils sont nés. Cela ne me vient pas à l’esprit avec tout le monde, mais Mathieu Moity, natif de Bayonne et chef du restaurant Iratze, me paraît une émanation directe de sa région de naissance, comme s’il était sorti tout entier de son sol et de son climat. L’humain aussi est un produit de terroir, il ne faut pas l’oublier : ce sourire lumineux, d’un bleu limpide, rappelle la clarté irisée de la côte basque, son soleil filtré par l’humidité des collines. Son être exprime cette impression de début du monde, d’innocence naturelle que procure la verdure basque en toute saison. Sa sensibilité à fleur de peau, la gentillesse qui émane de lui, m’évoquent la douceur climatique changeante de la face atlantique des Pyrénées. Mathieu ne travaille pas seulement les produits de son terroir, il incarne celui-ci et ses quatre éléments : terre, eau, feu, air. Mais je vous vois me faire les gros yeux : OK, j’arrête la géographie. Parlons restaurant.

Iratze

Iratze signifie « fougère ». Si vous avez eu la chance de visiter les hauteurs du pays Basque, vous vous souvenez certainement de cette rousseur végétale qui revêt les pentes, court à flanc de colline et flamboie quand elle capte la lumière frisante des levers et couchers de soleil. Ça va peut-être vous faire rire, mais Mathieu me rappelle irrésistiblement cette rousseur des collines basques. On retrouve cette racine irat- dans plusieurs toponymes près de la Rhune, dans la forêt d’Iraty et, par extension, dans le fromage de brebis AOP ossau-iraty. À Paris, Iratze signifie que Mathieu, après pas mal de balades de fourneau en fourneau (Iñaki, Frenchie, Bras, Benjamin Toursel, Romain Tischenko, William Ledeuil, Ô Divin aux Buttes-Chaumont), se retrouve enfin chez lui, sous le signe de la fougère.

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La table d’hôtes.

Stylisée, la plante est découpée dans une plaque de métal qui ornera bientôt la façade. Pour l’instant, elle orne la table d’hôtes. Cette table d’hôtes est un des jeux qui ont cours ici : une table de dix couverts à réserver, un menu de neuf plats et un grand plat unique à partager. Ce soir-là, c’était un superbe gigot d’agneau.

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Mathieu et Yann.

Le restaurant est le fruit de la collaboration de Mathieu Moity, de Yann Brasseur (ex de Bones, rebaptisé Jones après le départ du chef James Henry) et de l’entrepreneur et fin palais Didier Feuillet.

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Le décor, à la fois classique et original, met en confiance, tout en plages de gris et de brun relevées par les rouges du motif patchwork choisi pour revêtir les chaises. Il est chaud et confortable : il n’y a pas de cheminée, mais on a l’impression qu’il y en a une. Un bar accueille le visiteur, occasion de s’arrêter pour un menu tapas au comptoir ou juste pour un cocktail mixé de main de maître par Charles, le barman. Afrae, l’épouse de Yann, et Jess, la sommelière australienne, complètent l’équipe de salle. L’équipe de cuisine se compose de Mathieu, Baptiste, Axel et Supen.

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Baptiste, le second.


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Supen et Axel.

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Le pain, provenant de la boulangerie de Ten Belles, est un pur délice. « Quand on mange certains pains dans les restaurants, dit Mathieu, ils n’accompagnent pas vraiment la nourriture, ils ne se font pas oublier. J’aime celui-ci parce qu’il tient son rôle de pain. C’est le meilleur que j’aie goûté à Paris. »

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Nous avons accompagné ce dîner d’un clos-milan 2006, dont le beau grenache naturel fait mentir (comme souvent) la réputation un peu lassante accolée aux « vins nature » : vif, frais, chantant, tendu, maîtrisé.

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Ceviche de lieu jaune, trévise.

Si j’ai parlé de jeu à propos de la table d’hôtes, c’est parce que c’est un peu sous ce principe que se présente un dîner à Iratze. Mathieu joue des ingrédients comme d’une palette et cette palette est un exercice qu’il nous fait pratiquer sur fond de gourmandise et d’appétit. « Je n’ai pas choisi ce métier pour ne pas échanger », déclare Mathieu. Pour lui, ne pas trop décrire les plats crée un dialogue. « Tu poses l’assiette, tu n’es pas obligé de tout expliquer. Chez le client, une démarche gustative s’amorce : qu’est-ce qui se passe derrière ? En mangeant, il commence à décortiquer, de façon très simple, sans réfléchir. Il est attiré, interpellé par la garniture, et un travail psychologique se met en place. Si tu lui expliques tout, il a tendance à chercher toutes les saveurs, alors que s’il doit les rechercher seul, naturellement, il crée son propre cheminement. »

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Pour que le jeu s’épanouisse, il faut du travail, il faut des bases. Et des bases, il y en a ; elles vous sautent au cou, on les rencontre à chaque bouchée. Par exemple la cuisson de ce vert de poireau (avec poutargue, tarama et œufs de saumon) grillé à la plancha, partie du légume généralement filandreuse et ingrate. Mathieu réussit à l’attendrir, à le faire chanter. Les feuilles extérieures sont presque carbonisées, l’intérieur est doux et fondant. Si c’était du blanc de poireau, ce serait facile. Mais c’est du vert et c’est un tour de force.

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On monte encore en puissance avec cette tête de veau : Mathieu l’a poêlée croustillante, savoureuse, et accompagnée de robustes chips de topinambour dont le moins que je puisse dire est qu’elles en ont dans le slip. Le cresson, croquant, ne se défend pas mal non plus.

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Je dois m’attarder sur ce ris de veau. Le produit de base est blanc, ferme, scrupuleusement choisi, cuit à la seconde près. Le choix, pour l’accompagnement, des lamelles crues de la première rhubarbe de la saison est un coup de génie : ça croque, ça électrise le palais, en contraste avec le crémeux élastique du ris. Des petits oignons viennent apporter un croquant plus moelleux. C’est superbe.

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Le dessert : bergamote curd et noisette.

Chaque assiette de Mathieu se révèle un jeu de piste : une bouchée de poisson, de viande, un légume, un fruit, une herbe, un peu de sauce. Que se passe-t-il ici, comment les ingrédients communiquent-ils entre eux, comment les ordonner dans la dégustation ? Tout cela, nous devons le deviner, ou l’inventer. Nous traçons notre propre chemin sur l’assiette : en surface, en épaisseur. C’est probablement le secret qui se cache derrière son style d’assemblage très particulier : la vague de Hokusai, un tourbillon qui emporte tous les ingrédients et les recompose dans une dimension un peu décalée. Cela ne s’explique pas : cela se goûte. Je peux rejouer ?

Iratze – 73, rue Amelot, Paris XIe. Tél. 01 55 28 53 31. Métro Saint-Sébastien-Froissart, Chemin-Vert, Richard-Lenoir. Ouvert seulement le soir, du jeudi au lundi. Comptoir ouvert dès 18 heures pour les tapas du jour ; tables réservées à partir de 19 h 15. Tapas de 4 à 17€, Carte-menu entrée-plat-dessert 44€, menu dégustation à table d’hôtes (10 couverts) à 20 h 30, 68€ par personne.

Les propos de Mathieu sont extraits de son interview vidéo sur l’excellent site Bruit de Table.

À la Petite Cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

 

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