Jessica Préalpato : à Londres, elle signe un nouvel Afternoon Tea au Carlton Tower Jumeirah et développe un projet d’ouverture d’une boutique à Paris. Une interview F&S
Après avoir œuvré pendant sept ans aux côtés d’Alain Ducasse, l’ancienne chef pâtissière du restaurant étoilé du Plaza Athénée écrit le nouveau chapitre de sa carrière. Entre projet de boutique à Paris, et travail de consultante, elle vient de créer à Londres un nouvel Afternoon Tea, pour l’hôtel de luxe The Carlton Tower Jumeirah. Jessica Préalpato y signe une formule audacieuse, faible en sucre et forte en goûts, qui flirte habilement entre innovation et gourmandise, le tout réinterprétant joyeusement l’Afternoon tea traditionnel. Cela donne des finger sandwiches transformés en mini-croissant à la truffe, des scones déclinés en quatre versions différentes (dont des versions salées), et un assortiment de pâtisseries indexées sur la saisonnalité. Le résultat est sensible, de haute volée. Quant à la chef-pâtissière, elle s’est prêtée volontiers au jeu des questions de l’interview. Un échange à retrouver ci-dessous.
F&S : Bonjour Jessica. Parlez-nous de votre nouvel Afternoon tea ?
Jessica Préalpato : L’objectif était de proposer quelque chose de différent de ce qui se fait habituellement. Nous souhaitions faire goûter aux clients de nouvelles saveurs. Ainsi, nous servons par exemple un scone aux orties.
F&S : Bien qu’elle reprenne les codes de l’Afternoon tea (à savoir, des mini-sandwiches d’abord, suivis de scones, puis de pâtisseries), votre formule revisite entièrement la version classique. Comment trouve-t-on le juste équilibre entre une expérience gustativement intéressante, mais qui ne déstabilise pas le client pour autant ?
J.P. : Avant de lancer officiellement l’Afternoon tea, nous avons d’abord fait plusieurs testing, afin de prendre en compte les différents feedbacks. Cela nous a permis d’ajuster notre offre. Au départ, on avait fait des choses très poussées, mais on a réduit un peu suite aux testings, pour ne pas perdre le client non plus. Pour le chocolat par exemple, on ne peut pas faire trop amer ; ça ne plairait pas à la clientèle.
F&S : Cet Afternoon tea développe un lien fort avec le Kew Gardens (vaste parc et jardin botanique situé en bordure de Londres, connu mondialement pour son institut de recherche, et pour la vastitude des espèces de plantes/fleurs/arbres qu’il rassemble). Pouvez-vous nous en dire plus ?
J.P. : On s’est en effet inspiré du Kew Gardens, qui est immense. J’y suis allée quatre fois, pour explorer ce que l’on peut y utiliser culinairement. Il y a le châtaigner par exemple, mais aussi la lavande, le romarin, les herbes botaniques, ou encore des herbes médicinales. On a d’ailleurs utilisé des éléments rapportés du Kew Gardens pour réaliser nos essais.
F&S : Dans le sillage d’Alain Ducasse, vous êtes devenue le chantre de la desseralité, donc des desserts (très) peu sucrés. Retrouve-t-on cette tendance à l’Afternoon tea du Carlton Tower Jumeirah ?
J.P. : Tout à fait. Ici aussi, nous sommes dans la quête des bons produits, naturellement sucrés parce que c’est leur saison. On fait également beaucoup de réductions de fruits. Par ailleurs, nous veillons à nous fournir localement le plus possible. Notre rhubarbe, par exemple, est sourcée en Angleterre. Toute la crèmerie qu’on utilise nous vient aussi d’Angleterre ; ainsi que nos plantes et nos herbes. Bien sûr, sourcer localement m’a demandé un important effort de recherche, notamment pour la mise en place d’un réseau avec les producteurs. Mais on y arrive ; d’autant que le chef-pâtissier de l’hôtel, Jérôme Beraudo, avec qui je collabore, travaille ici depuis un moment ; il connaît de bons fournisseurs.
F&S : La fermeture récente du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée vous a forcée à aborder un tournant dans votre carrière. Comment le vivez-vous ?
J.P. : C’est bien de retrouver de la liberté ; de pouvoir faire ce que l’on veut. Le Plaza Athénée est une très belle maison, et l’univers du restaurant était assez incroyable ; mais le changement fait du bien. Désormais, j’essaie de faire des choses plus simples, et de me dire que c’est bon aussi. Parfois, il faut savoir faire simple ; j’ai du mal à revenir à ça, mais je m’y mets progressivement. Disons qu’il faut trouver un juste milieu. Et faire confiance à son propre jugement.
F&S : Quels sont vos projets actuels ?
J.P. : En plus de ma collaboration avec le Carlton Tower Jumeirah, je travaille toujours pour Monsieur Ducasse, pour qui je fais des missions ponctuelles. En parallèle, je développe un projet de boutique à Paris. Il s’agira d’une boutique de desserts/pâtisseries, avec aussi une partie vente à emporter. Enfin, j’ai le projet de sortir un livre de cuisine pour enfants, autour de desserts faciles à réaliser, beaucoup constitués à base de fruits. Je veux quelque chose de différent, de fun, aussi suis-je en quête de la maison d’édition appropriée.
F&S : Ces dernières années, Londres voit fleurir de plus en plus de concepts pâtissiers portés par des Français, comme récemment Cédric Grolet au Berkeley. Londres est-il devenu le nouveau Paris ?
J.P. : C’est vrai qu’entre l’arrivée prochaine à Londres de Yannick Alléno ou de Yann Couvreur, et l’arrivée récente de Cyril Lignac ou de Philippe Conticini, les Français sont bien présents. Moi je trouve ça bien. Yann Couvreur est un de mes chefs pâtissiers préférés, ses créations sont bonnes et généreuses, donc c’est très bien qu’il ouvre à Londres. Quant à Cédric Grolet, je suis allée tester son salon de thé/boutique le mois dernier au Berkeley, et c’était très bon, comme toujours. L’endroit est magnifique, le design très travaillé.
F&S : Vous qui êtes maman d’un enfant en bas-âge, parlez-nous du challenge de trouver un bon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, dans une profession où les plages horaires quotidiennes sont amples ?
J.P. : Il faut une bonne organisation. Lorsque j’ai eu ma fille, je travaillais encore au Plaza Athénée. Monsieur Ducasse m’a dit : « on n’a pas besoin de vous le soir ». J’ai donc formé une sous-chef, pour qu’elle me remplace le soir. Moi j’étais là en journée, je faisais tout avant de partir, et ne quittais pas les lieux avant d’avoir tout goûté et tout contrôlé. Et ça s’est bien passé. Depuis, je m’organise toujours en fonction de ma fille. Elle est ma priorité. De fait, au début je me mettais beaucoup de barrières ; j’hésitais par exemple à accepter cette nouvelle collaboration à Londres. Mais c’est une question d’organisation ; une fois qu’on a trouvé la bonne nounou, tout devient possible ! (Rires). Et puis, si on se met des barrières, on n’avance plus… Mais c’est vrai que c’est compliqué pour les femmes ; ce sont souvent elles qui arrêtent de travailler à la naissance d’un enfant…
Propos recueillis par Anastasia Chelini
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