Jean-Basptiste Klein : « Pour qu’un sommelier soit médiatisé, il doit soit travailler pour un grand chef, soit être titré » – Interview

02 novembre 2016  1  Non classé
 

signature-food-and-sens  Jean-Basptiste Klein est avant tout un sommelier qui a su garder ses valeurs malgré les prix et les récompenses qu’il a obtenus. Meilleur jeune sommelier de France en 2011 et plus récemment Meilleur Jeune Sommelier du Gault&Millau 2017, il se prépare maintenant pour les épreuves du Meilleur Sommelier de France dont la phase finale aura lieu le 6, 7 Novembre prochain à Toulouse.

Qui est Jean-Baptiste Klein, comment en arrive t-on à concourir pour le titre de MSF ? Que représente pour lui le titre de MSF ? Comment se prépare t-il ?

 

On ne peut aimer le vin sans le vivre comme une passion. Pour vous, d’où vient-elle ?

Je ne conçois pas que l’on puisse faire ce métier sans être passionné et dans tous les cas, un sommelier va progresser plus vite s’il est passionné. Dans mon cas, j’ai eu mon premier contact dans le monde du vin en BEP avec Frédéric Simon, professeur de crus des vins au CFA Joseph Storck de Guebwiller qui a la passion du vin et le sens de la transmission. J’avais eu aussi l’occasion de découvrir des vins et de les déguster dans le restaurant où je faisais mon apprentissage en cuisine. A l’issue de cette expérience, je suis allé en mention complémentaire sommellerie à La Verte Vallée avec Romain Iltis, Meilleur Sommelier de France 2012. J’ai commencé les concours et je suis arrivé second au concours des vins de Hongrie, finaliste au concours des vins du Val de Loire et troisième au concours Chapoutier du Meilleur élève sommelier de France. Ce dernier m’a permis de partir tout frais payés en Australie à la découverte d’une autre vision du vin, j’ai pu rencontrer les vignerons et cela m’a beaucoup motivé pour continuer.

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Pour vous, quel sommelier a le plus marqué votre carrière ? Pourquoi ?

Romain Iltis qui se préparait aux concours du Meilleur sommelier de France m’a fait comprendre que je voulais devenir sommelier. J’ai ensuite fait une saison d’hiver au Chabichou à Courchevel et je suis entré comme commis sommelier chez Marc Meneau. J’étais sous la direction d’Emmanuel Weiss qui est maintenant caviste à Mérignac et j’ai rapidement pu prendre des responsabilités, jusqu’à sélectionner certains vins à mettre à la carte. Cela m’a permis d’évoluer très rapidement dans le métier de sommelier. Laurent Blanchon, le chef sommelier de Régis Marcon fait un travail magnifique dans l’ombre du Chef. Il fait un grand travail sur le vieillissement des vins, sur la carte et il est heureux avec sa cave mais on ne le verra jamais faire des concours. Il m’a beaucoup appris sur la relation client, sur le coté humain du métier, surtout dans un restaurant 3*. Au Moulin de Mougins, j’ai pu travailler en collaboration avec Franck Thomas, MOF, Meilleur sommelier de France puis Meilleur sommelier d’Europe qui collaborait en tant que consultant. J’étais responsable de la cave, j’achetais les vins, j’avais le soutien et l’appui de Franck Thomas. Nous avons en parallèle travaillé sur les concours avec ses méthodes de travail, ses formations, sa vision décomplexée du vin.

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Franck Thomas

Que représente le titre de MSF pour un sommelier ? Qu’est-ce qui vous motive à passer le MSF ?

C’est une référence qui va parler aux gens et amener la reconnaissance des professionnels. Lorsque j’ai commencé les concours à la sortie de l’école avec le Meilleur jeune sommelier de France, je recherchais dans le titre, la reconnaissance de mes 4 années de travail. Une fois que j’ai gagné le titre de Meilleur jeune sommelier de France, la suite logique était de passer le Meilleur sommelier de France mais ce n’est pas une fin en soi. Je vis les concours comme des challenges, c’est un moteur qui me permet de ne pas m’endormir sur mes lauriers.

Un concours est aussi quelque chose de très personnel. Dans mon cas, je veux aussi voir jusqu’où je peux aller, quelles sont mes limites mais je ne fais pas de concours pour l’esprit de compétition, pour me mesurer à d’autres et me dire que je suis le meilleur. C’est une épreuve sur soi, un remise en question sur notre place dans le métier, nos connaissances, nos compétences. Je voulais voir si je suis capable de m’imposer des contraintes, de travailler pour le concours, d’allier la vie privée et la vie professionnelle sereinement.

 

Quelle différence faites-vous entre le MSF et le MOF ?

Le MSF est comparable à une épreuve sportive. On s’entraine et on a une épreuve à un jour J dans laquelle il faut être le meilleur. Il n’y aura qu’un seul MSF. Pour le MOF, on se soumet à des ateliers (presque similaires). La finale est une mise en scène de service, les clients étant le jury, ils valident ou non l’expérience et le vécu professionnel du candidat. À ce titre, il peut y avoir plusieurs MOF sur une même session. Me concernant, le MOF a presque plus de valeur à mes yeux que le MSF.

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Prépare t-on le concours du MSF et le MOF de la même façon ?

La préparation du MOF est presque similaire au MSF, mais la différence réside dans le fait qu’il faut pour le MOF se mettre dans une situation de service.

Le foncier est très important. C’est en quelque sorte toutes les connaissances théoriques et des actualités. Il faut réviser ses connaissances dans les livres, sur internet, rester informer de l’actualité, se faire ses fiches de travail. Je le fais depuis plus de 8 ans, et je mets mes fiches constamment à jour. Il faut ensuite être en salle, travailler tous les jours sur le relationnel client. On vit beaucoup de situations que l’on pourrait retrouver dans les épreuves. Durant les jours de congé, on se met dans les conditions du concours avec des personnes qui l’ont déjà fait, on respecte le timing, les ateliers, etc. La dégustation à l’aveugle se fait aussi tous les jours, à l’oral, à l’écrit sur des vins, des eaux de vie,… Je vais aussi souvent sur des salons, à la rencontre des vignerons, au minimum 3 ou 4 domaines chaque semaine, je m’ouvre aux vins du monde etc.

 

Quelles sont les difficultés pendant un concours ?

L’assimilation et l’écoute de la consigne de l’épreuve. Il faut réussir à faire le vide pour bien écouter les consignes, le timing, faire attention à ne pas mal les interpréter ou à ne pas oublier certains points. L’attente est aussi un moment difficile par exemple quand on attend son tour et quand on attend les résultats.

 

Un concours est presque un passage obligé pour un sommelier pour être reconnu nationalement et internationalement. Les grands sommeliers sont souvent classés par rapport à leurs performances dans les concours. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pense pas que faire un concours soit indispensable. Il y a des sommeliers très compétents et connus qui n’ont jamais fait de concours. Chaque sommelier peut se créer son univers, son réseau de vignerons, de personnes du monde du vin,… Toutes ces personnes reconnaissent un sommelier compétent sans qu’il soit nécessairement titré. Pour prendre l’exemple de Laurent Blanchon, je peux vous dire que lorsqu’on voit sa carte des vins et la cave qu’il a montée, on sait que c’est une personne exceptionnelle et compétente. Après, pour qu’un sommelier soit médiatisé, il doit soit travailler pour un grand chef, soit être titré car un sommelier n’est au final qu’un maillon de la chaine entre le chef, le viticulteur et le client.

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Laurent Blanchon

Vous avez été cuisinier, est-ce que cela vous aide aujourd’hui dans votre métier de sommelier ?

Oui bien sûr ! Je peux comprendre les plats très rapidement, les expliquer aux clients en étant à l’aise et faire des accords plus originaux. J’ai souvent vécu la situation où le client qui avait une question la posait au sommelier. On doit connaitre et savoir expliquer les plats, les garnitures, les sauces, les fromages aussi bien qu’un maître d’hôtel. De plus, lorsque je vois un élément d’un plat je l’associe presque toujours à un vin et je suis maintenant en mesure de faire un accord extrêmement précis.

 

La magie d’un repas gastronomique à la française, c’est quand l’accord presque parfait mets/vins sublime le moment à table. Cela nécessite une belle complicité avec le chef de cuisine. C’est votre cas, vous êtes toujours proche du chef de cuisine ?

Au Clos des Sens, J’étais très proche de Laurent Petit. Au début on construisait l’ordre des menus ensemble pour jouer avec les vins et les plats. Dans certains cas, si je lui disais que l’association des saveurs de certains plats ne fonctionnait pas, il les retravaillait. Je goûte maintenant souvent les plats avec Olivier Nasti et je lui fais découvrir des vins, c’est un vrai échange et on a vite trouvé une belle complicité.

 

Avez-vous un mentor qui vous aide à vous entrainer ? Comment cela se passe-il ?

Non, mais je suis allé voir Romain Iltis quelques fois pour faire des entrainements. Je me suis aussi entrainé avec Pierre Jacob qui est un concurrent, mais j’ai toujours vécu comme ça, dans un esprit d’entraide. Je me suis toujours entrainé avec mes concurrents, comme Maxime Brunet qui a gagné le MJSF juste après moi. Récemment j’ai encore travaillé avec Emmanuel Nasti car il avait un peu de temps mais personne ne m’a coaché à proprement parler.

Emmanuel Nasti

Vous avez certainement analysé les épreuves des années précédentes pour vous préparer. Comment celles-ci ont-elles évolué ?

Au niveau des connaissances, cela devient de plus en plus difficile dans le sens où le concours est très général. On doit être au courant de tout ce qui se boit dans le monde, il y a quelques années on avait quelques livres qu’il fallait connaitre, aujourd’hui on a internet. Il ne faut pas se perdre, rester concentré sur l’essentiel. Techniquement, on voit moins de décantage à la bougie, les épreuves techniques sont plus une mise en situation proche de ce qu’on peut vivre chaque jour dans la salle de restaurant.

 

Si vous gagnez, vous allez fêter votre victoire en ouvrant quelle bouteille ?

C’est une question difficile !… Je ne peux pas donner de référence précise mais ce sera certainement un vin vinifié de manière naturelle, avec une histoire particulière…

  

Au niveau mondial, les vins étrangers grignotent constamment des parts de marché aux vins français. Qu’en pensez-vous ?

Les vins étrangers se développent en France, mais à mon sens pas assez car nous avons peu d’importateurs et sur les 3 ou 4 sociétés qui se répartissent le marché, on se retrouve tous avec les mêmes vins étrangers. Je trouve que l’intérêt de travailler des vins étrangers est de découvrir des cépages que nous n’avons pas en France, des manières de vinifier, des styles de vins qu’on ne trouverait pas chez nous. C’est à nous de les mettre en avant et de les vendre. Par exemple, comme on vend de plus en plus de vins au verre je trouve que sur un menu 6 plats, on doit avoir de la place pour au moins un ou deux vins étrangers qui ont une histoire et un sens.

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Par rapport au titre du Gault&Millau, pensez-vous que vous auriez eu le prix si vous étiez resté dans votre établissement précédent ?

Difficile à dire. Je sais que mon retour en Alsace a fait parler de moi et que le lieu où l’on travaille joue certainement sur l’obtention d’un prix comme celui du Gault&Millau. Ce fut malgré tout une sacrée surprise pour moi.

 

Vous étiez en Savoie avant, en Alsace maintenant. Comment cela se passe t-il quand un sommelier déménage ?

On a autant en poids de bouteille qu’en meuble ! (Rires) Sinon, j’essaye de toujours laisser une partie de mes bouteilles chez mes parents pour ne pas être tenté de toucher à certaines bouteilles qui seraient peut-être bu trop jeunes… 

Photo Rémi Ohayon – Facebook

Comment fait-on pour garder la tête sur les épaules après tant de distinctions et alors même que vous préparez un autre concours très important ?

Il ne faut pas voir le vin comme quelque chose d’élitiste et garder les pieds sur terre. Je vois le vin de manière très simple et je bois quelques fois des appellations très modestes lorsque je suis avec des copains. Il m’arrive même de vouloir servir ces vins à certains clients en place d’un très grand cru. Quelquefois c’est simplement un coup de coeur car on connait le vigneron qui travaille depuis 20 ans dans sa vigne avec passion et on veut le défendre. Il faut comprendre qu’un sommelier ne produit rien et prend moins de risque qu’un vigneron, cette année certains ont tout perdu à cause de la grêle alors que mon salaire ne bougera pas.

 

Comment vit-on les sacrifices de l’excellence ?

J’ai pris conscience que j’ai mis beaucoup de choses de coté pour avancer plus rapidement dans mon métier. Maintenant j’ai réussi à tout combiner et je le vis plutôt bien. Je suis en couple avec la sommelière de l’Auberge de l’Ill qui me comprend et qui a aussi la passion du vin. Elle m’aide beaucoup à préparer les concours et me soutient. J’étudie beaucoup, je lis beaucoup sur le vin et c’est presque un passe-temps de lire et de regarder des vidéos sur le vin. La passion prend le dessus et quand on va sur des salons, qu’on goûte des vins avec des copains, qu’on va au restaurant, je ne le vis pas comme un sacrifice…. 

Interview réalisée par Guillaume Erblang-Rotaru
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