Quand un journaliste répond au chef Guillaume Sanchez
Le chef Guillaume Sanchez avait houspillé une partie de la presse dans une publication dénonçant un système a sens unique où certains journalistes dans certains de leurs errements n’hésitent pas à se faire « rincer » sans pour autant prendre en compte le travail fait par les chefs devant leurs fourneaux et les difficultés qu’ils traversent… cliquez ICI
Le journaliste Stéphane Méjanes jamais en manque de bons mots et d’une analyse bien pesée a répondu au chef … cliquez sur les link pour retrouver les publications.
Que faire avec le post énervé du 30 août sur Instagram (https://tinyurl.com/56358et5), signé Guillaume Sanchez (chef-propriétaire de NESO*), mettant la « presse » en accusation, tout le monde dans le même grand sac malodorant ? Cliquer sur « J’aime » parce qu’il y a du vrai, quand bien même on n’est pas d’accord avec l’intégralité du propos ? Porter la contradiction en commentaire, noyé dans la foule des gens qui approuvent voire surenchérissent ? Dans un cas, on fait mine d’être beau joueur pour avoir la paix, pour brosser la majorité bruyante dans le sens du poil. Dans l’autre, on risque d’offrir sa dépouille de condamné d’office en pâture à la meute excitée par l’odeur du sang.
Dans un premier temps, j’ai opté pour le plus simple : rien. Mais, détourner le regard d’un problème ne l’a jamais fait disparaître. Cassez le thermomètre, la fièvre ne tombe pas. Pour une fois, ce qui est excessif n’est pas insignifiant. Je ne me sens pas particulièrement visé mais au moins interpellé et certainement concerné. Il m’a donc semblé plus responsable de répondre, au risque de donner le sentiment de me justifier, de m’accuser. On viendra forcément me faire ce reproche (parmi d’autres), je suis sans peur. Quant à ceux qui n’en peuvent plus que j’ouvre ma gueule, je les encourage à aller voir ailleurs, j’y suis rarement.
Attention, c’est un peu pas mal très beaucoup long, arrêtez vous là ou faites des pauses.
À PRENDRE ET À LAISSER
Par souci de transparence, précisons d’emblée que Guillaume et moi nous connaissons, évidemment. Le petit monde de la food, tout ça. Nous ne sommes ni amis ni intimes. Nous entretenons depuis plusieurs années des rapports que je qualifierai de respectueux mais complexes, entre accords et désaccords, fâcheries et réconciliations, nourris d’assez longues conversations, toujours stimulantes car le garçon a oublié d’être con et, preuve en est, ne mâche jamais ses mots. Nous avons même fomenté un projet de livre ensemble, dont je continue à penser qu’il pourrait contribuer à changer un peu la donne, sans suite à ce jour. Nous ne nous sommes pas parlé depuis un moment. J’avoue de mon côté avoir pour le moins perdu le fil de ses contradictions à lui (nul n’est parfait), entre paroles et actes, engagements sincères et partenariats opportunistes, médiatisation et silence. Je ne juge pas « les choix que peut faire un entrepreneur pendant la crise » (de quel droit ?), mais je m’autorise à questionner la qualité du grand écart. Ça ne disqualifie pas ses propos sur les errements de la « presse », ça les nuance, dirons-nous.
Venons-en au texte (enfin ! soupirent ceux qui sont arrivés jusque là).
Je passe rapidement sur tout ce qui relève visiblement du règlement de compte. Les premières lignes renvoient sans doute à un article ou à une prise de parole sur tel ou tel restaurant. Ça m’a échappé. J’aurais aimé remonter à la source pour me faire un avis éclairé. Je n’ai pas davantage compris les références aux « mauvaises émissions » et aux MP, trop crypté pour moi. Quant aux saynètes drolatiques sur la poudre dans le nez et le téléphone dans la mie de pain, ça m’est totalement étranger. Quoi qu’il en soit, je vois mal comment on peut dégager des généralités pertinentes au doigt mouillé, à partir d’observations personnelles sur des comportements individuels. J’ai déjà du mal avec les sondages.
Je ne m’étendrai pas trop non plus sur la nécessité de régler ou pas son addition, j’ai souvent répondu à cette question, jusque dans un petit pamphlet. En résumé, payer ne garantit ni la justesse du travail journalistique ni son indépendance. Les critiques littéraires reçoivent les livres, les critiques cinéma assistent à des projections privées, et même les journalistes politiques sont bien souvent embarqués. On peut le regretter, on peut tenter de faire autrement, la presse va si mal aujourd’hui que bien rares sont les médias proposant de défrayer leurs journalistes. Pour moi, c’est 1 fois sur 10. Je décline énormément d’invitations, j’en accepte certaines, et je me donne désormais (après des années de vaches maigres) les moyens de payer le plus souvent possible, quitte à « manger ma pige ». Je trouve cependant minable de considérer la gratuité comme un dû, de se lever et de partir sans même faire semblant de chercher à régler. Ces goujateries justifient parfaitement le courroux des chef.fe.s.
TRIANGLE INFERNAL
Le vrai sujet soulevé par Guillaume, à mon humble avis, c’est le fonctionnement ambigu du trio journalistes, chef.fe.s, bureaux de presse. Pas nouveau mais pas tranché.
Je connais peu de chef.fe.s refusant toute sollicitation des journalistes. Ils estiment au mieux que c’est utile (flatteur) pour leur image et leur entreprise, au pire que c’est un mal nécessaire. L’histoire de la gastronomie fourmille depuis toujours de dialogues, de controverses, d’amour et de haine entre les un.e.s et les autres, enrichissants ou délétères mais jamais anodins. Libre aux chef.fe.s de décider de ne plus parler à la presse mais c’est une posture qui réduit le champ de la réflexion, qui ne permet pas de dire la complexité de ces rapports.
Dans l’autre camp, je ne connais quasiment aucune consœur ou confrère, salarié.e.s ou independant.e.s, n’ayant pas accepté au moins une fois d’écrire un dossier de presse, ou de participer d’une manière ou d’une autre à un quelconque support de communication. Certain.e.s le cachent, c’est leur droit, d’autres non, c’est leur affaire aussi. Je fais partie de ceux qui le confessent sans gêne. Si je devais me passer de cette source de revenus, j’aurais changé de métier. D’ailleurs, j’ai sans doute changé de métier. Mais je suis suffisamment aligné avec moi-même pour pratiquer les deux exercices sans me perdre, sans que l’un ne nuise à l’autre, qu’on me juge sur ma production pas sur ma position. Longtemps, je me suis astreint à ne pas écrire pour la presse sur un client. Or, j’ai la chance d’être souvent appelé (ça peut s’arrêter à tout moment), ça finit par représenter un volume conséquent. Dans le lot, il y a heureusement de jolis projets (presque tous, en fait), globalement en accord avec mes valeurs et mes engagements. Il m’est donc arrivé, une poignée de fois, de déroger à ce pacte avec moi-même, de chroniquer un lieu dont j’avais rédigé les éléments de langage. Je trouvais injuste de ne pas recommander de bonnes adresses, sous un angle d’ailleurs plus informatif que critique, sous prétexte que l’on m’avait engagé pour raconter leur aventure. Qu’on me jette la première pierre, je n’en tire aucune fierté mais j’assume. Je ne suis ni un modèle ni un repoussoir, je ne mérite ni éloge ni opprobre, c’est juste mon histoire. Je n’ai au final pas du tout le sentiment d’appartenir à une coterie uniforme dont les membres se ressembleraient tous, dont les mœurs seraient en bloc condamnables.
Au milieu, les bureaux de presse, corporation pas plus monolithique qu’une autre, font le travail pour lequel les chef.fe.s les rémunèrent (personne ne les y oblige), chacun à sa manière, auprès des journalistes mais aussi des influenceur.se.s, dont la plupart copinent et se font d’ailleurs « rincer » tout autant. Dégât collatéral : tout le monde parle de la même chose au même moment, parfois dans les mêmes termes (il m’arrive de reconnaître mes mots de communicant, simplement copiés/collés). Dénicher une pépite en dehors de ce cercle (vicieux ?) est devenu de plus en plus rare. Mais, il y a aussi des tas de chef.fe.s qui s’en fichent pas mal, vivent heureux car cachés, parce que la vérité de ce métier, c’est de durer, et pour ça, ce ne sont ni les journalistes ni les influenceur.se.s qu’il faut convaincre, mais de « vrai.e.s » client.e.s, qui viennent et reviennent, et qui en parlent autour d’eux. Le coup de projecteur du début ne garantit pas le succès à long terme.
Quand on jette tout ça dans la marmite, on obtient une bouillie parfois comestible, parfois indigeste. Le système s’auto-alimente et, à part quelques coups de gueule comme celui-ci, la grande famille de la gastronomie semble s’en accommoder, caresses dans le dos par devant et crachats à la gueule par derrière. Pas très satisfaisant. C’est pour cette raison que j’ai voulu répondre à Guillaume, aussi calmement et honnêtement que possible. On utilisera probablement ces mots pour me dénigrer, me discréditer, peu m’en chaut. Je souhaitais pour ma part ne pas stigmatiser telle ou tel, ni creuser le fossé entre deux mondes, on n’en peut plus des divisions, juste faire entendre une autre voix pour prolonger le débat lancé, certes avec une forme d’outrance, sur un sujet qui mérite d’être traité sérieusement (comme d’autres bien plus graves).
À la disposition de toutes celles et ceux qui voudraient échanger sans se jeter des casseroles à la figure.
Bisous.
Stéphane Méjanès 01/09/2021
quelle belle plume et quels propos sensés, je suis fan !