Dans l’ombre des chefs avec Kristian Brask Thomsen, Ambassadeur Bon Vivant, bâtisseur d’un nouvel ordre gastronomique !
Dans un monde gastronomique obsédé par les classements, les étoiles et les récits calibrés pour séduire les foules, Kristian Brask Thomsen se distingue comme une voix singulière et iconoclaste. Cet ancien restaurateur danois, devenu mentor, diplomate culinaire et stratège, défend une vision profondément humaine de la gastronomie, où l’authenticité et l’endurance surpassent les apparences. Lors du festival Gastromasa, il a captivé l’audience avec une réflexion riche et critique sur le rôle des chefs, des restaurants et de la gastronomie en tant que langage universel. « La cuisine n’est pas un spectacle, c’est un art de vivre, un moyen de reconnecter les gens à ce qui compte vraiment », a-t-il affirmé avec la verve et la passion qui le caractérisent. À travers son agence Bon Vivant, il bâtit un véritable écosystème gastronomique où les talents s’épanouissent dans un esprit de partage et de collaboration, défiant les normes d’une industrie souvent trop rigide.
Une carrière ancrée dans l’héritage et le dépassement des conventions
Kristian Brask Thomsen ne s’est pas improvisé ambassadeur des chefs. Son parcours, riche et pluriel est profondément ancré dans l’héritage gastronomique. En tant qu’ancien restaurateur à Copenhague dans les années 1990, il a appris à maîtriser les rouages de l’industrie culinaire, du service au concept. Mais c’est sa capacité à sortir des sentiers battus qui lui a permis de se distinguer. « J’ai vu le meilleur et le pire de ce métier et c’est en combinant ces expériences que j’ai décidé de créer quelque chose d’unique », confie-t-il. Cette unicité, il l’a incarnée en fondant Bon Vivant, une agence qu’il décrit comme une « ambassade culinaire mondiale » destinée à défendre et à magnifier les talents culinaires tout en construisant des ponts entre les cultures !
Loin de se limiter à une fonction de représentation classique, Bon Vivant se veut un laboratoire d’idées et de projets innovants. Kristian Brask Thomsen a ainsi introduit l’idée des tournées mondiales de chefs, qu’il compare à celles des groupes de rock. Ces « world tours » offrent une plateforme aux chefs pour s’exprimer dans des contextes variés – festivals, symposiums, dîners privés – tout en mettant en lumière la diversité des traditions culinaires. « La gastronomie est un art vivant, et comme tout art, elle doit voyager, se confronter à d’autres perspectives pour rester pertinente », explique-t-il. Cette approche audacieuse a permis à des chefs de toucher de nouveaux publics, tout en réinventant la manière dont leur travail est perçu sur la scène internationale.
Cependant, Kristian Brask Thomsen n’hésite pas à critiquer certaines dérives contemporaines de la gastronomie. « Trop de chefs se perdent dans la quête des apparences, au lieu de rester fidèles à leur mission première : cuisiner pour rendre les gens heureux ! ». Pour lui, il ne faut pas ignorer les traditions mais les réinterpréter avec sincérité et audace. À travers Bon Vivant, il aspire à préserver cette authenticité tout en repoussant les limites du possible, créant ainsi un équilibre entre héritage et innovation !
Stamina et authenticité : des critères qui transcendent le talent
Pour Kristian Brask Thomsen, le talent, bien que nécessaire, n’est qu’une pièce du puzzle dans la réussite d’un chef. Ce qui distingue réellement les grands noms des simples promesses, c’est une qualité plus rare : la stamina, cette endurance mentale et physique qui permet de persister face aux échecs, aux critiques et aux contraintes écrasantes du métier. « Les vrais gagnants, ce sont ceux qui continuent à avancer, peu importe les obstacles », affirme-t-il. Il raconte avoir vu des chefs prodigieusement talentueux échouer faute de résilience, tandis que d’autres, moins doués mais infatigables, atteignaient des sommets. Cet équilibre entre persévérance et travail acharné rappelle sa métaphore favorite : « Les meilleurs vins viennent des vignes qui doivent lutter dans des sols pauvres pour survivre. »
Cependant, la stamina ne suffit pas. Dans un monde culinaire de plus en plus dominé par l’image et les tendances, Kristian Brask Thomsen considère que rester fidèle à soi-même est devenu un véritable acte de résistance ! « L’authenticité, c’est ce que recherchent les convives. Ils veulent plus qu’un plat parfait : ils veulent ressentir l’âme du chef derrière chaque assiette », explique-t-il. Il met toutefois en garde contre les excès : certains chefs, dans leur quête de sincérité, basculent dans une théâtralisation outrancière de leur parcours ou exagèrent leurs origines pour séduire les médias et le public. Cette exploitation artificielle des récits personnels, qu’il qualifie de « surenchère narrative », menace selon lui de décrédibiliser la profession. « La sincérité ne se fabrique pas. Elle se vit ! », martèle-t-il.
Enfin, Kristian Brask Thomsen voit l’authenticité comme un antidote à la standardisation croissante de la gastronomie. Pour lui, chaque chef doit cultiver sa singularité, sans se laisser absorber par les classements ou les attentes des guides. Mais il reconnaît que cela demande du courage, car l’authenticité implique souvent d’aller à contre-courant. « Rester vrai, c’est accepter d’être vulnérable. C’est aussi accepter de diviser », confie-t-il. À travers ses collaborations, il cherche à encourager ses chefs partenaires à ne pas céder aux pressions externes, mais à développer leur propre voix culinaire. « Être chef, ce n’est pas seulement savoir cuisiner, c’est savoir qui on est et le transmettre », conclut-il avec force.
Le restaurant : dernier espace de liberté ou mirage d’unité ?
Pour Kristian Brask Thomsen, le restaurant incarne bien plus qu’un simple lieu de consommation. Il en fait un espace de liberté, un sanctuaire où les divisions sociales, culturelles et politiques s’effacent temporairement. « Le restaurant est peut-être l’un des derniers endroits où l’on peut être ensemble, quels que soient nos parcours, nos croyances ou nos idées », explique-t-il. Cette vision idéaliste du restaurant comme un carrefour de diversité repose sur sa conviction que la gastronomie, dans sa capacité à rassembler, agit comme un langage universel. La table devient alors un lieu de dialogue implicite, où chaque plat est une invitation à la découverte de l’autre.
Cependant, cette liberté n’est pas sans limites, et Kristian Brask Thomsen n’hésite pas à interroger la réalité de cette unité. Il déplore notamment que la gastronomie soit de plus en plus influencée par des dynamiques politiques et médiatiques qui en modifient la neutralité fondamentale. « Lorsque les chefs se politisent ou prennent des positions trop marquées, ils risquent de fracturer cet espace inclusif », avertit-il. Pour lui, le rôle du chef est avant tout de créer un environnement où chacun se sent accueilli, indépendamment de ses opinions ou de son statut social. « Les restaurants doivent rester des lieux où l’on se restaure dans tous les sens du terme : physiquement, émotionnellement et spirituellement » insiste-t-il, mettant en garde contre la tendance à instrumentaliser la cuisine pour d’autres objectifs.
Enfin, Kristian Brask Thomsen soulève un paradoxe : si les restaurants se veulent des espaces universels, ils restent souvent le reflet de hiérarchies et d’exclusions sociales. Leur accès, qu’il soit conditionné par le prix ou par le prestige, limite leur prétention à être de véritables espaces de liberté. « Peut-on vraiment parler de liberté quand la plupart des restaurants haut de gamme ne sont accessibles qu’à une élite ? » interroge-t-il avec une pointe d’ironie. À travers cette réflexion, il invite à repenser le rôle du restaurant non pas comme un simple théâtre de performance culinaire, mais comme un outil de transformation sociale. Pour lui, le vrai défi est de créer des expériences qui transcendent ces barrières tout en conservant l’excellence et l’intégrité de la gastronomie. « Un grand restaurant ne se mesure pas seulement à son menu, mais à sa capacité à inclure et à réunir », conclut-il.
Critique de la perfection : réhabiliter la spontanéité
Pour Kristian Brask Thomsen, l’obsession de la perfection est l’un des principaux pièges de la gastronomie contemporaine. Il pointe du doigt une tendance à tout sur-contrôler, notamment à travers la mise en place, ce travail préparatoire qui représente souvent plus de 70 % de l’activité en cuisine. « Bien que nécessaire, la mise en place est devenue une obsession dans certaines cuisines étoilées, au point de déshumaniser l’expérience culinaire », explique-t-il. Cette recherche effrénée de l’exactitude, si elle produit des plats techniquement irréprochables, tend à gommer l’énergie et l’émotion qui devraient animer chaque assiette. Selon lui, la perfection froide, bien que séduisante, ne peut rivaliser avec la chaleur d’une création spontanée.
Thomsen salue les chefs qui osent défier ce dogme en privilégiant une cuisine plus instinctive, voire improvisée. Il cite l’exemple de Bruno Verjus, connu pour sa capacité à cuisiner « à la minute », apportant ainsi une fraîcheur et une authenticité rares dans chaque service. « Une cuisine vivante ne peut être réduite à une chorégraphie rigide. Elle doit respirer, vibrer, refléter l’instant présent », insiste-t-il. Il critique également la manière dont les attentes des guides et des classements ont poussé de nombreux restaurants à standardiser leurs pratiques pour obtenir des récompenses, au détriment de leur créativité. « À force de viser les étoiles, certains chefs en oublient de faire briller leur personnalité », déplore-t-il avec amertume.
Pour Thomsen, réhabiliter la spontanéité ne signifie pas abandonner la rigueur, mais redonner une place à l’imprévu et à l’intuition dans l’acte de cuisiner. Il compare cette démarche à celle d’un jazzman, capable d’improviser tout en respectant une structure harmonique. « La vraie magie en cuisine, comme dans l’art, réside dans ces moments inattendus qui échappent à toute planification », affirme-t-il. Cette critique va au-delà du simple constat technique : elle questionne les valeurs mêmes qui sous-tendent la gastronomie moderne. Thomsen appelle les chefs à retrouver le courage d’être imparfaits, de laisser parler leurs émotions à travers leurs créations, plutôt que de se plier aux diktats de la perfection imposée. « L’excellence n’est pas dans l’exactitude, mais dans l’âme », conclut-il avec force.
Un écosystème gastronomique au service de l’authenticité
Au cœur de la vision de Kristian Brask Thomsen se trouve l’idée d’un écosystème gastronomique global, pensé pour soutenir et nourrir la diversité des talents culinaires. Contrairement aux agences classiques, souvent centrées sur la compétition et la rentabilité, Bon Vivant se définit comme un réseau collaboratif. Kristian Brask Thomsen explique : « Nous ne faisons pas que promouvoir des chefs, nous créons un environnement où ils peuvent s’épanouir sans rivalité, où chacun apporte quelque chose d’unique à l’ensemble. » Ce système repose sur la complémentarité : chaque chef est choisi non seulement pour son talent, mais aussi pour sa capacité à enrichir le groupe sans en cannibaliser les ressources. Il compare cette approche à une diplomatie culinaire, où chaque membre contribue à un équilibre collectif.
Dans cet écosystème, l’authenticité occupe une place centrale. Kristian Brask Thomsen insiste sur l’importance pour les chefs de rester fidèles à leur identité, malgré les pressions des tendances et des classements. « Rien ne détruit un chef plus vite que l’imitation ou la standardisation », avertit-il. C’est pourquoi il encourage ses chefs partenaires à cultiver leur singularité, à puiser dans leur histoire personnelle et leurs racines culturelles pour nourrir leur cuisine. Cette quête de vérité n’est pas sans défi : certains chefs, sous l’influence de leur entourage ou des attentes du public, s’égarent dans une quête artificielle d’originalité. Kristian Brask Thomsen se positionne alors comme un guide, les aidant à recentrer leur vision. « Mon rôle n’est pas de les façonner, mais de les aider à amplifier ce qu’ils sont déjà », explique-t-il.
L’un des aspects les plus novateurs de cet écosystème est la circulation des opportunités. Plutôt que de concentrer les bénéfices sur une poignée d’élus, Kristian Brask Thomsen veille à ce que chaque membre puisse profiter des occasions qui se présentent. « Si un chef ne peut accepter une invitation, il passe le relais à un autre dans le réseau. C’est un modèle fondé sur la confiance et la solidarité », détaille-t-il. Cette approche a non seulement renforcé les liens entre les chefs, mais elle a également permis à des talents émergents d’accéder à des plateformes autrefois réservées aux figures établies. Pour Kristian Brask Thomsen, cet esprit collaboratif est une réponse à un monde gastronomique trop souvent marqué par la compétition féroce et l’isolement. « Un écosystème vivant, c’est celui où chacun grandit grâce aux autres », conclut-il, en réaffirmant son engagement pour une gastronomie fondée sur le partage et l’authenticité.
Réconcilier plaisir et réflexion
Pour Kristian Brask Thomsen, la gastronomie est une manière de redonner du sens à nos vies. « Les chefs ne sont pas seulement des artistes, ils sont des passeurs d’émotions et des bâtisseurs de souvenirs », conclut-il. Dans un univers en quête de renouveau, il milite donc pour une approche qui allie hédonisme, sincérité et résilience !
Au-delà de ses critiques incisives, Kristian Brask Thomsen propose une vision profondément humaniste de la cuisine. Elle n’est pas seulement un spectacle ou une performance, mais un art universel, capable de réconcilier les contraires et de restaurer, au sens propre comme au figuré, notre lien au monde !
ropos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa