André Chiang – Rencontre à quelques heures de la fermeture du restaurant André à Singapour – ses choix, ses projets, ses sentiments

15 février 2018  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sensLe Restaurant André a servi son dernier dîner ce mercredi 14 février. Les deux derniers jours furent consacrés aux amis proches, à la famille, aux clients fidèles, à quelques journalistes, et aux familles des équipiers du chef André.

Je me pose à Singapour quelques heures, je suis le seul chef sollicité pour être à côté du chef pour sa fermeture, mon double n’a pas pu me rejoindre la Saint Valentin oblige, il est resté à Montpellier le coeur un peu lourd de ne pas être lui aussi aux côté de André Chiang.

18 h, je pousse la porte de cette petite maison/restaurant, plein de souvenirs me reviennent, la première rencontre avec André à Taïwan, son parcours auprès de nous, l’attention qu’il portait tout jeune à nos parents, sa fidélité et son amitié avec les trois créateurs du Jardin des Sens … puis son ascension dans le monde de la gastronomie, les repas que nous y avons pris au André, les repas à 6 mains que nous y avons faits… André est là, son épouse Pam aussi, ils sont tout sourire, bien dans leur rôle, accueillants comme quand on reçoit des amis.

Une équipe de télévision est là, au rez-de-chaussée. Une grande table d’environ 20 personnes a déjà commencé à dîner, tous des clients fidèles de Singapour. Le chef a gardé une table pour moi, il a insisté pour que je goûte le dernier repas du ANDRÉ, le chef aime faire partager ses créations. Je rejoins la salle de restaurant à l’étage qui commence à se remplir, rapidement les premiers plats arrivent, chacun a une histoire que l’équipe de salle se régale à raconter… Quelques souvenirs me transportent, il me manque tant ceux qui partagent en général ma table, mes fidèles, ceux qui ont partagé cette table avec moi…

Avant que les portes du restaurants ne se referment André Chiang a consacré du temps à Food & Sens qui a pu être parmi les proches du chef pour l’avant-dernière soirée.

Mercredi 11 Octobre 2017 le chef André Chiang, a annoncé officiellement qu’il fermé son restaurant installé à Singapour 4 mois plus tard.

Le restaurant avait atteint la place de numéro 2 dans les 50 meilleurs restaurants d’Asie et la 14 ème place dans les 50 meilleurs restaurants du monde et bien sûr obtenu deux étoiles au guide Michelin. 

Une décision mûrement réfléchie pour le chef André et son épouse Pam, perfectionniste le chef pense être allé au bout de ce qui pour lui est l’aboutissement de sa quête à faire le mieux possible, avec le restaurant André le monde entier est venu manger à leur table. 30 couverts au dîner et au déjeuner, complet plusieurs mois à l’avance, le chef aurait pu continuer longtemps ce fonctionnement.

Lors de l’annonce de la fermeture de son restaurant 2000 demandes de réservation sont tombées en une seule journée, 7000 au total dans les jours qui ont suivi. Les derniers 4 mois ont été intenses en émotion, dîner une dernière fois au restaurant André fut le souhait de nombreux gastronomes asiatiques.

Nous avons rencontré un chef André optimiste quant à l’avenir, calme, serein, qui regarde vers devant, vers Taïwan, sa terre natale où il a décidé de s’installer pour se rapprocher de sa famille, dans les deux prochains mois, il va se concentrer sur le déménagement du restaurant et l’installation de sa famille à Taïwan où il vient d’acheter une maison. Demain il part en Thaïlande pour quelques jours de repos à l’occasion du nouvel an chinois.

8 ans depuis qu’il a ouvert son restaurant André à Singapour, huit ans pour se construire une renommée internationale et développer ses propres affaires. Il confesse « chaque centime gagné nous l’ avons réinvesti », aujourd’hui il est à la tête de 7 établissements (dont le RAW à Taïwan, le Burns Ends à Singapour, Porte 12 à Paris, mais aussi MeatSmith, Bincho, The Bridge à Chengdu Chine) propriétaire aussi des murs de son restaurant André qui deviendra à la fin de l’année un nouveau restaurant dans une autre forme, un autre concept.

 

Le chef a su trouver les bons chefs, les bons collaborateurs pour mener son développement, il a aussi déniché les bons partenaires, donc il va bien sûr continuer à suivre les établissements existants, mais il fait confiance aux chefs sur place pour continuer à produire l’excellence. Chacun de ses restaurants est unique, il ne désire pas les dupliquer, il préfère à chaque fois créer un nouvel esprit, une nouvelle approche, pourtant les demandes pour multiplier les enseignes sont nombreuses.

 

Le chef et son épouse ont voulu une fermeture heureuse, entourés des personnes qui leur sont chères. André Chiang a voulu aussi rendre hommage à ses collaborateurs, ceux qui durant plusieurs années ont travaillé dur pour que fonctionne le restaurant André. Ainsi il a invité parents, amis, épouses de ses collaborateurs, de ses équipiers, certains sont venus de France, d’Allemagne, une façon de remercier toutes celles et ceux qui ont donné de leur temps, et aussi ceux qui ont accepté que leurs enfants, leurs époux travaillent autant dans un engagement personnel de chaque instant.

Pam et André Chiang, ils ont reçu leurs meilleurs clients

D’ailleurs dans la salle de restaurant, c’était très émouvant de voir les familles découvrir la cuisine du chef André, et le travail effectué au quotidien, de voir les équipiers rejoindre la table de leurs parents.

Le chef a dès le début de son installation appliqué une règle, embaucher seulement des cuisiniers sans expérience, des cuisiniers qu’il capte au tout début de leur carrière et qu’il forme à sa philosophie culinaire. Il a voulu créer une équipe de « pur-sang », il a refusé tous les candidats qui affichaient des CV avec des expériences dans de grandes tables. Il voulait que dès le début ces jeunes gens soient des équipiers pas « déformés » par d’autres techniques culinaires que les siennes, ainsi il a créé une « famille de cuisine » qui connaissait parfaitement sa cuisine.

Le chef André râpe le tolu séché sur les assiettes

Aujourd’hui, il est heureux de rentrer sur ses terres de Taïwan, il veut redécouvrir Taïwan qu’il a quitté il y a 30 ans, quand tout jeune il a rejoint la France et les frères Pourcel à Montpellier. Et puis il y a RAW, sa dernière création de restaurant, son restaurant référence, un satellite culinaire qui fait un gros succès, les réservations affluent de toute l’Asie, l’établissement correspond bien à son univers, il y réalise une cuisine inspirante et inspirée par Taïwan.

À Taïwan, il espère un jour créer un Institut de formation de cuisine asiatique, il dit  » il faut que les cuisiniers asiatiques avant de partir apprendre la cuisine à l’étranger, connaissent parfaitement la cuisine de leur pays, celle de leur racines. C’est très important d’avoir en soi des bases d’une cuisine qui corresponde à son origine pour ne pas oublier d’où on vient « . Il voudrait créer un processus de formation en ce sens, il voudrait contribuer à éduquer et transmettre son savoir. Il voudrait mettre en place une plate-forme pour la jeune génération de cuisiniers asiatiques afin de favoriser leur créativité et déclencher leur talent.

Le chef veut partager sa vie entre création artistique et création culinaire, sculpture, peinture, dessins, André Chiang vibre pour plusieurs passions, dont celle de créer de ses propres mains, il aime travailler le bois, le transformer.  Il collectionne les dons, André Chiang, il est chef cuisinier, jardinier – il a créé un potager- mais aussi céramiste… il crée sa propre vaisselle car pour lui contenu et contenant sont inséparables et doivent être également merveilleux…

Dans les mois à venir il va voyager – beaucoup – essayer de rattraper le temps, il désire mieux découvrir le monde, et s’inspirer de ce qu’il va voir. L’Asie d’abord, mais aussi l’Europe et notamment l’Italie qu’il rêve de parcourir.

À 41 ans, le chef a fait le choix de se retirer du guide Michelin, il ne sera pas non plus dans le classement des 50 Best restaurant au monde, c’est un choix réfléchi, calculé, le chef indique qu’il ne veut plus participer à cette course aux étoiles, il veut naviguer dans son univers créatif, sans avoir de compte à rendre ou être obligé de justifier ses choix, comme celui par exemple de ne servir seulement que des vins naturels à sa carte à Singapour.

« Si vous regardez les antécédents du classement des 50 Best du restaurant André, il ne fait que monter chaque année » explique le chef. « Je suis sûr que dans un an, deux ans ou cinq ans, nous pourrions atteindre le sommet que les gens attendent. Mais être le n °1 pourquoi ? Par pur ego « ? Le chef ne veut plus de cette course au classement.

« Être capable de faire son possible pour donner le meilleur, de pousser fort au quotidien, savoir être satisfait, être reconnaissant de tout ce qui vient, c’est la mentalité que nous devons avoir. La perfection n’existe pas, mais nous avons essayé de nous en approcher au maximum. Nous sentions que le moment était terminé, que nous ne pourrions pas aller plus loin. »

Mais le chef a bien l’intention de s’entourer encore de jeunes chefs talentueux, il dit « qu’un restaurant a une durée de vie limitée de 10 ans, à un moment il doit fermer afin de laisser la place pour autre chose. Au cours de ces 10 années, nous avons fait de notre mieux, dix ans plus tard, nous devons changer. Parce que nous vivons dans un monde qui change très vite. Le palais, le goût change très vite aussi, nous devons rester pertinent. Il m’a fallu 10 ans pour créer le Restaurant André. Je suis sûr que je peux prendre encore 10 ans pour créer quelque chose d’encore mieux. « 

André ne le cache pas, d’ici la fin de l’année 3 nouveaux lieux, assurément des restaurants verront le jour, mais pour l’instant mis à part celui qui va remplacer le André, il reste discret sur les autres.

Son bâtiment centenaire à l’entrée du quartier de Chinatown à Singapour restera sa maison de création pour les huit dernières années. Singapour va lui manquer, les fidèles clients aussi, dans les dernières semaines le compte à rebours a été très émouvant, il a voulu profiter de chaque instant, de chaque seconde auprès de ses équipes. Il voulait une fermeture heureuse, il l’a eue.

Les derniers repas, le chef a voulu les articuler autour des créations culinaires qui ont marqué ses 8 ans à Singapour, 28 créations culinaires dont 8 qui représentent les 8 octaphylosophies qui lui sont chères. 

“ Je suis fier de ces 10 dernières années, de ce que nous avons accompli. Merci Singapour, merci à mes équipes  »  A. Chiang

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