Les Caves de Prague (Paris) et le retour de Patrice Gelbart
Ne vous laissez pas intimider par la barricade municipale. Derrière, il y a un lieu qui vit, qui verse du vin et qui fait à manger. Il y a aussi une histoire à raconter. Celle d’un chef nommé Patrice Gelbart, originaire de Gaillac (Tarn). Région magnifique, souvent comparée à la Toscane. À Salles, il possédait Aux Berges du Cérou, inoubliable restaurant gastronomique niché dans une vallée verdoyante et paisible, si paisible que le lieu dut fermer en 2010.
Mais ce chef-là, ceux qui l’aiment le suivent. Jusqu’à Paris, où il est quelque temps chef invité au Verre Volé, puis dans son bistrot Youpi & Voilà !!, rue Vicq-d’Azir, où il développe le concept de cuisine philanthropique. Expérience close en avril 2015, mais pas tout à fait, car Youpi ne meurt jamais, il se délocalise : l’été dernier au Café Joubert à Fayssac (toujours dans le Tarn), et depuis juin, de façon très soft, aux Caves de Prague, dans le XIIe — rue de Prague, artère dont le feng shui gastronomique ne cesse d’augmenter, puisqu’on y trouve déjà l’excellent restaurant Table et l’épicerie méditerranénne Agrology. C’est là qu’il cuisine maintenant, avec son fidèle coéquipier Stéphane Camboulive. Cuisine du marché, produits frais et de qualité, dit l’ardoise. Vous pouvez lui faire confiance. La cuisine de Patrice est fraîche, sensible, colorée, originale et généreuse, empreinte de modestie et d’un style très personnel, intact à travers tous les lieux où le chef se pose.
La salle est belle, on s’y sent bien. La double exposition produit une superbe lumière ; l’espace est ample et chaleureux, simplement décoré par les étagères de bouteilles.
Dès l’entrée, Patrice explique : « On a été invités. Non, en fait, on s’est imposés. Le caviste servait des casse-croûte à partir de 16 heures. On lui a dit : pourquoi ne pas servir à déjeuner ? Et voilà, on l’a fait. »
J’annonce : « Je prends une photo du bar. — Tu fais bien de dire “le bar” et non “ la cuisine”, répond Patrice. Tiens, regarde… »
Deux plaques à induction portables, un bain-marie, un frigo et un petit four, voilà leur cuisine. « En fait, on est un camion fixe ! » Ils ont des idées de développement, d’amélioration, peut-être ouvrir le soir ? On verra : pour le moment, dans leur cambuse, ils font avec ce qu’il ont. Mais quand on a du talent, des idées (des tas !), de la débrouillardise et un grand respect des produits, on peut tirer beaucoup d’un tel équipement. Ils le démontrent chaque jour, et pour un prix plus que raisonnable.
Où que Patrice travaille, chez lui ou chez les autres, il se passe toujours quelque chose de spécial. Et quand il a un lieu où se poser, dans le Tarn ou à Paris, il faut en profiter. Je ne saurais donc trop vous conseiller d’aller déjeuner aux Caves de Prague. C’est, encore et toujours, de la cuisine philanthropique, car Patrice a beau être un chef intermittent, il ne manque pas de suite dans les idées et ne quitte jamais son étoile des yeux.
« J’ai du mal à limiter les portions », avoue Patrice — on est philanthropique ou on ne l’est pas. C’était déjà le cas à Youpi & Voilà et ça n’a pas changé, même s’il affirme se soigner. Le poulpe grillé, betterave crapaudine, crème de betterave vinaigrée et pomme Granny Smith arrive tiède, la parfaite température pour ces ingrédients. Un bel équilibre entre douceur, acidité et la saveur marine du poulpe cuit tendre et légèrement grillé. Une entrée généreuse, qui pourrait être un plat.
Avant-après. Image post-poulpe, juste pour vous donner un aperçu des assiettes chinées par Patrice et Stéphane.
Intermède proposé par le chef : une petite assiette de civet de lièvre aux gnocchis poêlés. Patrice joue avec bonheur sur tous les registres : cuisine fine et inventive, accords inattendus, gibiers et mijotages intemporels.
Haddock façon brandade déstructurée : le haddock cru en lanières est posé sur une purée de pomme de terre. Olives noires de Kalamata, crème de piquillos, salicornes, segments d’orange. Savoureux et représentatif du style du chef.
Flan aux œufs garni de fruits secs hachés. Patrice est pâtissier-confiseur de formation ; sa préférence va aux desserts de grand-mère, qu’il réussit fort bien.
Chez un caviste, la carte des vins est sur les étagères. Beaucoup de bouteilles bio et nature (droit de bouchon : 3 €). Ici, un alsace nature bien frais, agréable assemblage riesling-sylvaner de Florian Beck-Hartweg.
Les Caves de Prague, 8, rue de Prague, Paris XIIe. Tél. 01 72 68 07 36. Ouvert du mardi au samedi pour le déjeuner seulement, de midi à 15 heures. Formule du jour (entrée + plat ou plat + dessert)
15 €, sur place ou à emporter. Carte environ 20 €. Verre de vin de 4 € à 7,50 €. Boutique caviste de 11 heures à 23 heures, casse-croûte à partir de 16 heures, mais sans Patrice et Steph.
– À la petite cuillère –
Texte et photos : Sophie Brissaud