GrandCœur, la table parisienne de Mauro Colagreco
Au dernier paragraphe d’un post tout récent sur Food&Sens, le chef Mauro Colagreco dit quelque chose de très juste et de très sensé à propos à propos d’un énième classement des restaurants mondiaux : « Je ne crois pas que cela ait un sens d’avoir un guide de plus, avec toujours cette idée de dire qui est meilleur que l’autre. Il n’y a pas un meilleur, il y a des cuisines différentes. » Ça paraît l’évidence même, mais on a de la chance d’avoir des chefs de la trempe de Mauro pour nous ramener à l’essentiel, aux bases de la restauration, à l’acte sacré de faire à manger. Ces valeurs de simplicité et d’authenticité me rappellent son pain du Partage.
Le pain du Partage, présenté au début de chaque repas à Mirazur, accompagné d’huile d’olive aux écorces d’agrumes et d’un poème de Pablo Neruda.
Tout cela tombe bien, Mauro fait aujourd’hui l’objet de notre rubrique « À la petite cuillère », dont l’escapade chinoise est finie (jusqu’à la prochaine fois). Tant qu’à revenir dans l’Occident compliqué, autant que ça en vaille la peine. Raison de plus pour vous parler de GrandCœur, l’adresse parisienne du chef.
Rappelons l’essentiel sur Mauro Colagreco : cuisinier d’origine argentine aux racines italiennes, doublement étoilé et joliment placé dans la liste des 50Best, ex-Passard boy replanté entre Riviera et Côte d’Azur dans son restaurant Mirazur à Menton, à cheval sur la frontière italo-française ; voilà pour le who’s who. Un style très individualisé, inspiré, généreux, poétique ; une cuisine latine, ouverte au monde, arc-en-ciel, nourrie d’influences sud-américaines et méditerranéennes. Je n’ai pas employé le terme « replanté » par hasard, car avec Mauro, on pense toujours à la botanique, au fruit, à la fleur, à la luxuriance. Je ne parle pas seulement du magnifique potager que Mauro cultive chez lui à Menton, mais aussi du charme agreste de ses assiettes, de sa façon de traiter le végétal comme une œuvre d’art. À chaque fois qu’on s’approche de l’univers de Mauro, quelque chose de magique n’est pas loin. Ces quelques images d’un repas à Mirazur, je crois, en témoignent.
Deux plats servis au Mirazur : tortellini et arlequin de légumes.
Cet univers aurait pu rester dans le Sud, mais Paris a bénéficié d’une grâce. Depuis le printemps 2015, avec l’aide de Julien Fouin, éditeur et créateur de restaurants (Glou, Jaja, Beaucoup et quelques autres), Mauro a son restaurant dans le Marais.
La nature profondément latine du chef ne pouvait trouver meilleur cadre que cette cour historique partagée avec le Centre de danse du Marais, dont les entrechats et autres levés de cuisse se laissent admirer à toute heure à travers les hautes fenêtres, au son du piano et du jazz. Mais rien de tout cela ne saurait nous distraire de l’élégante cuisine de Mauro.
Je reviendrai plus en détail une autre fois sur GrandCœur, car ma visite coïncidait avec une occasion spéciale, un de ces dîners collaboratifs dont raffole ce chef épris de partage : je n’oublierai jamais le menu à quatre mains qu’il réalisa avec Andre Chiang de Singapour en juillet 2014. Mais ce soir-là, Mauro nous proposait un 10 Manos (dix mains) en cinq plats avec quatre autres chefs argentins (Narda Lepez, Fernando Trocca, German Martitegui, Guido Tassi), Tato Giovannoni, meilleur barman d’Amérique latine, et la sommelière Paz Levinson qui nous fit déguster quelques superbes crus blancs et rouges de la région de Mendoza.
L’événement mobilise la communauté argentine de Paris. Il fait encore tiède à Paris cet automne, la terrasse déjà très latine se latinise encore davantage. On n’est plus vraiment à Paris, mais on se sent bien au cœur du Marais. C’est déjà du plaisir.
Le plaisir s’accentue avec deux savoureux cocktails, tout en subtilité et en amertume, concoctés par Tato Giovannoni. Agrumes, maté, plusieurs variétés de tomate…
Une spécialité de Mauro, cette soupe de poissons de roche servie avec un toast à l’aïoli : une perfection. Bouillon savamment réduit, cuisson des poissons au juste point…
Après le bœuf argentin servi avec haricots et maïs grillé, un dessert de courge confite servie avec un yaourt de brebis. Croquant et onctueux, excellent accord avec le soleria, étonnant liquoreux orangé obtenu (comme son nom l’indique) par la technique de la solera.
Quand Mauro ne convie pas d’autres chefs à œuvrer avec lui, Rafael Gomes, naguère son sous-chef à Mirazur, est aux commandes, assisté du Sicilien Nino Laspina. La carte nous fait faire un tour de France, d’Europe et du monde : poisson en escabèche aux agrumes ; burrata des Pouilles et marmelade de tomates confites ; tarte aux cèpes, noisettes du Piémont et taleggio ; et cette fameuse soupe de poissons de roche. Les desserts ont la sagesse de rester simples : tarte tiède aux coings, glace au lait cru ; crème caramel au dulce de leche ; poire au vin épicé, crème Chantilly.
Nous aurons l’occasion de reparler ici de GrandCœur, car tout ce glamour ne doit pas vous faire oublier que le lieu est aussi fort pratique : les menus du déjeuner sont une affaire, et l’on peut aussi venir goûter l’après-midi (soupe du jour, terrine, club sandwich, salade…). Parfait pour une halte entre musée Picasso ou Carnavalet et expo à Beaubourg.
GrandCœur, 41, rue du Temple, Paris IVe. Tél. : 01 58 28 18 90. Métro Rambuteau. Ouvert du mardi au jeudi de midi à 23 heures, vendredi et samedi de midi à 23 h 30, et le dimanche de midi à 18 heures. Menus déjeuner servis du mardi au vendredi : 23€ (entrée-plat ou plat-dessert) et 30€ (la totale), carte environ 55€, carte du goûter environ 15€.
À la petite cuillère
Texte et photos : Sophie Brissaud
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