Carcasse, de Hendrik Dierendonck : tellement plus que du bœuf
Quand, au restaurant, on vous apporte la carte des vins, vous trouvez normal d’avoir un minimum de choix. Vous aimez qu’il y ait une sélection de plusieurs régions et origines, si possible quelques vins non français, des vins bio, du Nord, du Sud, du bordeaux, du languedoc, des blancs, des rouges, de la bulle, du vin qui se la pète, du vin modeste, du vin tendance avec une étiquette cochonne gribouillée à 3 heures du matin par des potes bourrés, du muté, du frais, du sec et du liquoreux. Et quand, au restaurant, on vous propose du steak, imaginez que ça puisse être selon le même principe. Que vous ayez un choix très étendu de vaches : vaches du Nord, vaches du Sud, vaches espagnoles (toute considération linguistique mise à part), vaches toscanes ou nippones, chairs rouges, chairs persillées, affinage de trois, quatre ou six semaines, voire davantage. Et que la carte des bovins change régulièrement selon les arrivages et les saisons. Si c’est votre rêve, n’hésitez pas une seconde : direction la côte belge et Saint-Idesbald (commune de Coxyde), où Hendrik Dierendonck, dans son restaurant Carcasse, vous offrira précisément cela.
Si ma recommandation s’adresse avant tout aux amoureux du steak, les moins amoureux (les vegans, vous avez déjà compris qu’il faut aller lire autre chose) doivent aussi y prêter attention. C’est que Carcasse, le restaurant du boucher flamand Hendrik Dierendonck, n’est pas seulement un lieu de viande : c’est un lieu de vie, un creuset où une autre restauration s’invente, se cherche, se peaufine et émet des fulgurances.
La passion du bœuf maturé et de la viande en général s’accompagne d’une grande liberté d’esprit, sans rouler des mécaniques, sans tape-à-l’œil, réservant des tas de petites surprises au fil du repas. Il y a à Carcasse beaucoup plus que du steak : une fraîcheur, une bonne humeur à bras ouverts, une espèce d’innocence.
Ma visite a été un éblouissement de tous les sens : gustatif mais aussi visuel ; cet article comportera donc beaucoup de photos. Carcasse est un endroit superbe. Le lieu, les choses et les gens sont beaux. On ressent un charme particulier, une ambiance. Qui s’attend à cela dans un steak house ? Il ne faut jamais s’attendre à rien, voilà le secret.
Chez Dierendonck, on est boucher de père en fils. Affaire de famille : la devise de Hendrik, c’est back to the roots. Démonstration : il a fortement contribué à préserver une race bovine menacée, purement locale et adaptée aux polders — la rouge de Flandre-Occidentale, qu’il sert au restaurant et à sa boucherie. Assisté par sa mère Anneke, sa femme Évelyne et sa fille Rosie, il a repris la boucherie de son père — et par « boucherie », n’entendez pas une échoppe de quartier mais un véritable palais de la viande sous toutes ses formes, assortie de charcuteries, de plats cuisinés flamands (il faut contenter tout le monde et avant tout la clientèle régionale, attachée à juste titre à ses repères et à ses chicons farcis) et de kits barbecue à emporter qui font rêver. « Sur la côte belge, me confie Hendrik, pour bien manger… C’est plutôt par ici que ça se passe. » Il ne fait pas seulement allusion à sa boucherie mais au voisinage entier. Démonstration : son Eden boucher est situé entre une somptueuse épicerie fine et une poissonnerie de premier ordre. Si vous venez passer vos vacances à Coxyde, à Nieuwpoort, à Blankenberge ou à La Panne, vous ne souffrirez pas de la faim. Il suffit de prendre le tram de la côte et de descendre à Saint-Idesbald, et voilà, vous y êtes, il n’y a qu’à traverser la rue.
Hendrik a ouvert Carcasse il y a un an et demi. Ayant déjà visité sa boucherie en octobre 2014, j’avais eu l’occasion de voir le restaurant encore en travaux. « Avant même d’ouvrir, dit Hendrik, nous avions déjà 1 500 réservations. Ici, l’avis de tous compte. Chacun peut apporter ses idées : le chef, ses assistants, le service, le plongeur. C’est important, c’est ainsi que le lieu fonctionne. »
L’élégance de Carcasse se trouve dans l’ensemble et dans les détails. Détails : le laguiole planté dans la table, le menu-livret joliment illustré comme un programme de théâtre, le décor d’objets de boucherie (scie circulaire comprise), les bocaux de vinaigres aromatisés sur les étagères, livrant un autre indice : ici, on ne fait pas que griller des viandes ; on fait aussi de la cuisine. De la vraie.
Comme on peut s’y attendre, le frigo d’affinage, planté en pleine salle, n’est pas le moindre ornement. Trains de côtes de races diverses (et nombreuses) y maturent paisiblement ; on les admire à tous les stades d’affinage et dans toutes les nuances de rouge, de l’écarlate persillé au carmin profond.
J’ai dit cuisine : le chef de Carcasse, Nicolas Wentein, tournoie du fourneau au passe, du passe au four à braise Josper, va laminer un peu de coppa maison sur la grosse trancheuse Berkel, surveille son risotto, découpe adroitement une côte à l’os qu’il a fait reposer après cuisson. Nicolas est un chef qui possède une grâce naturelle, un mouvement dansé et une gestuelle qui se voit même sur les photos. Et il en faut, de la grâce, pour être un bon cuisinier de viandes : la viande est un aliment sacré, le respect dû à l’animal perdure jusqu’à l’assiette et bien au-delà.
Le repas débute par l’arrivée du pain (excellent) et des amuse-bouche : délicieuse coppa maison et saindoux maison addictif (oui, saindoux, tradition flamande : avec morceaux, tendant vers la rillette. Les vrais gourmands comprennent).
Spécialité de Carcasse et autre démonstration du talent de Nico : les accompagnements des viandes s’écartent du cliché frites-gratin-purée (même si on les aime) pour se faire créatifs et frais : salade de betteraves au yaourt aigre-doux au goût très flamand, très bon risotto à la crème de carotte et aux salicornes, gros champignon portobello planché servi avec champignons sautés, jus d’herbes et fleurs de pois ; excellent maïs pané et frit servi dans une sauce moutarde en grains (non photographié).
Détail de la plus haute importance : à aucun moment on ne me demande quelle cuisson je désire pour la viande. Un de mes amis très amateur de bœuf avait l’habitude de répondre, à cette question, « Comme il faut qu’elle soit cuite. » Si le serveur ou la serveuse se figeait sur place sans savoir quoi répondre, il savait qu’il n’était pas dans une bonne maison. À Carcasse, on est dans une bonne maison. La viande est cuite comme il faut (à la plancha, puis au four Josper, puis repos de plusieurs minutes), laissez faire le boucher, laissez faire le chef, ils connaissent leur truc.
La voici, ma côte à l’os de vache normande. Les côtes à l’os sont affichées pour deux personnes au minimum, mais si vous choisissez dans le frigo d’affinage un train de côtes de section assez petite, il est parfois possible de vous faire une côte individuelle. Ce n’est pas le moindre intérêt du choix direct au frigo. Quel régal que cette viande : croustillante et tendre, giboyeuse, juteuse, caressée d’une bonne cuillerée de beurre fondu, assaisonnée au petit poil. Un tel traitement de la viande, un tel soin, une telle mise en valeur, c’est un hommage à l’animal que l’on a tué pour le manger. La bonne boucherie est une preuve d’amour de l’animal. Voilà une très ancienne vérité humaine passée de mode, mais qui n’en reste pas moins d’actualité. Quel dommage qu’on ne puisse pas essayer toutes ces vaches en une seule visite ! Il va falloir revenir. C’est sur la côte belge, c’est facile à trouver, ce n’est pas si loin de chez vous et — foin d’arguments, allez-y, simplement parce que c’est bon. Ce restaurant et cette boucherie sont à eux seuls une raison d’habiter dans le coin à l’année, alors étouffez dès maintenant vos regrets de ne pas être riverain.
Chaleureux remerciements à Hendrik Dierendonck, à Harm Rademan (chef de salle) et à Nico, le chef.
Carcasse
5, avenue Henri-Christiaen, Saint-Idesbald, 8670 Coxyde (Belgique). Tél. +32 (0) 58 51 72 49
Ouvert du vendredi au lundi, et le jeudi pendant les vacances scolaires. Portions copieuses, carte à s’étrangler de convoitise (carpaccio de langue de veau ; cervelle de veau, pistou ; carbonara de pied de cochon ; BBQ pork ribs ; filet pur, côtes à l’os (le best-seller), tournedos Rossini, dame blanche si vous avez encore faim). Amuse-bouche à partager entre 12 et 16 euros, plats de 26 à 45 euros (côtes à l’os tarifées selon l’origine, la race, la maturation…), desserts de 10 à 12 euros.
Ah oui, soit dit en passant : Carcasse n’a pas de hamburgers à la carte. Cela méritait d’être souligné. Prenez-en de la graine.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
Je n’ai pas la même culture poétique que vous mais … cela me parle ! Bravo pour cette belle envolée pleine d’amour
Pas encore eu l’occasion … mais très envie d’y aller !!