Jérôme Bocuse –  » Je suis de ceux qui montent les marches une à une. « 

10 mai 2017  0  DÉNICHÉ SUR LE WEB
 

signature-food-and-sens Retrouvez le chef Jérome Bocuse dans une longue interview sur le magazine en ligne : le-tout-lyon.fr … suivez les projet du chef héritier de la galaxy BOCUSE.

Extraits :

Héritier d’un nom lourd à porter, tant son père a marqué l’histoire de la haute gastronomie, Jérôme Bocuse est allé chercher de l’autre côté de l’Atlantique une légitimité que beaucoup n’auraient sans doute pas manqué de lui contester dans l’Hexagone. Fort du brio avec lequel il a assuré le développement de ses activités à Orlando au cours des 20 dernières années, il est désormais reconnu en France tout autant qu’aux Etats-Unis et porte haut le prénom qu’il a su associer à son illustre nom de famille.

Votre installation très jeune aux Etats-Unis fait que l’on vous connaît finalement assez mal, même ici à Lyon, où le nom de Bocuse est pourtant indissociable de l’histoire de la ville. Alors comment résumeriez-vous en quelques phrases votre parcours culinaire ?

J’ai fait des études secondaires tout à fait classiques jusqu’au baccalauréat, puis, une fois mon service militaire achevé, je suis parti pour New York, où j’ai suivi les cours d’une école de cuisine. Mon père a été très rapidement attiré par les Etats-Unis et il a voulu que je vive cette expérience, car il était convaincu que j’en tirerai profit. A l’époque, le Pavillon France d’Epcot Center était déjà ouvert, puisque je suis parti en 1988 alors que l’inauguration du parc remonte à 1982. Je suis resté à New-York pendant deux ans. Une fois mon diplôme de cuisine en poche, j’ai enchaîné avec l’université, à Miami cette fois, où j’ai obtenu un Master en Hospitality Management. Finalement, j’ai débarqué au Pavillon France d’Epcot Center en 1996. A l’époque, il y avait les trois associés d’origine : mon père, Roger Verger et Gaston Lenôtre.

Votre père vous avait-il programmé pour prendre la direction de cette affaire ?

Non, je n’étais pas entré au Pavillon France d’Epcot Center dans l’intention d’y faire carrière, mais plutôt pour m’inscrire dans l’aventure de l’entreprise familiale. Et puis c’était Disney, un univers fabuleux et je considérais que ce serait une expérience intéressante à vivre. A cet égard je ne m’étais pas trompé, mais le séjour éphémère a duré beaucoup plus longtemps que prévu et 20 ans plus tard je suis toujours installé là-bas. Avec une différence de taille cependant, puisque j’ai repris l’affaire en 2001.

Avec ce long séjour aux Etats-Unis, qui se prolonge d’ailleurs, vous sentez-vous finalement plutôt Français ou plutôt Américain ?

Je me sens fatalement un peu les deux. Je crois que c’est logique, car j’ai désormais passé plus de la moitié de ma vie aux Etats-Unis. Dans ma tête, les choses sont d’ailleurs très claires et je n’imagine pas un seul instant revenir m’installer à demeure en France. Malgré tout, aussi surprenant que cela puisse paraître et quel que soit mon attachement aux Etats-Unis, je crois néanmoins que je me sens Français avant tout. J’ai en quelque sorte l’impression d’être un ambassadeur de la cuisine française. C’est une véritable fierté.

Un ambassadeur qui voit passer beaucoup de monde à sa table…

Oui, le Pavillon France d’Epcot Center reçoit environ 1 500 clients chaque jour, qui pour plus de 97 % sont américains et ne connaissent bien souvent pas du tout notre gastronomie. Comme c’est une première expérience pour beaucoup d’entre eux, il y a tout un travail d’éducation à réaliser autour de plats simples, des plats du terroir, qui racontent l’histoire de notre cuisine : une blanquette de veau, un boeuf bourguignon… Une cuisine traditionnelle, au travers de laquelle nous voulons les amener à découvrir les bases de notre art gastronomique. Enfin, c’est aussi pour moi une façon de faire connaître notre ville de Lyon et sa tradition culinaire.

Vous insistez beaucoup sur cette cuisine de terroir ; est-ce une façon de rappeler que vous accordez énormément d’importance à vos racines françaises ?

Sans doute. Les racines ne se perdent jamais. C’est quelque chose que l’on a en soi et qui participe pleinement de la personnalité que l’on s’est construite. Ce qui ne m’empêche pas de jeter un regard totalement différent sur la France lorsque je reviens à Lyon. Il est évident que je ne ferais pas la même analyse des choses si j’avais évolué ici pendant ces 20 dernières années. Une chose est sûre : je suis convaincu que cet éloignement m’a permis de m’affirmer, ce qui n’aurait sans doute pas été aussi aisé aux côtés de mon père. Il a une très forte personnalité et finalement le timing a été bon, puisque je suis revenu en France après avoir fait mes preuves aux Etats-Unis.

La qualité des produits a toujours été au coeur de la démarche de Paul Bocuse ; est-ce aussi une préoccupation majeure pour vous ?

Bien sûr et je reprends naturellement à mon compte son leitmotiv : « Sans bon produit, on ne peut pas faire de bonne cuisine. » C’est le fondement même de notre activité. Ce message passe d’ailleurs de mieux en mieux aux Etats-Unis, où il y a une nouvelle mode qui s’appelle « farm to the table. » Les Américains découvrent aujourd’hui une évidence qui est au coeur de la cuisine de Paul Bocuse depuis plusieurs décennies. A Collonges, le jardin existe depuis le siècle dernier et il est clair que mon père a été l’un des leaders et l’un des ambassadeurs de cette vague de cuisiniers qui plaçaient ostensiblement la qualité du produit au centre de leur démarche.

L’influence de votre père dépasse largement les frontières de la gastronomie à proprement parler, car il a aussi donné naissance à une approche « business » de la cuisine. Quels sont aujourd’hui les contours du groupe Bocuse ?

Sur Lyon, nous avons 250 salariés dans le groupe Pôl Développement, pour un chiffre d’affaires de 26 M€. Ensuite, à l’international, il y a des licences qui sont séparées de Paul Développement bien que je m’en occupe également. Enfin, il y a JBI (Jérôme Bocuse Incoporated) aux Etats-Unis, qui réunit 300 salariés pour 36 M$ de chiffre d’affaires à Orlando. En revanche, je suis à la tête de cette affaire.

Quel avenir pour le groupe Pôl Développement à Lyon, en France et à l’international ?

A Lyon, je crois que nous avons à peu près fait le tour de la question. Aujourd’hui nous avons l’ambition de regarder un peu plus loin, même si je suis convaincu que nous devons rester à proximité de notre terre d’origine. Nous étudions néanmoins la possibilité de faire quelque chose du côté d’Annecy, où nous pourrions décliner notre savoir-faire dans l’esprit brasserie. En revanche il n’est pas spécialement question d’aller à l’étranger, pas plus au Moyen-Orient qu’en Asie. Ceci étant dit, je précise qu’en général je ne me projette pas sur le long terme. J’aime bien avancer par paliers, en me fixant des objectifs à court terme, même s’ils semblent moins ambitieux, plutôt que de faire de grands projets sans bases solides. Je suis de ceux qui montent les marches une à une.

Et parmi ces marches que vous entendez gravir une à une, est-ce que des projets de diversifications pourraient apparaître ?

Oui, nous avons une gamme de restauration large, avec les brasseries d’une part et des établissements proposant une cuisine traditionnelle plus élaborée, d’autre part, comme Fond Rose et Marguerite. Ce dernier établissement va connaître une évolution sensible à l’avenir. Nous travaillons en effet sur un nouveau concept, basé sur la cuisine italienne. Tout devrait être opérationnel à l’automne. Nous avons un chef, Francesco Santin, qui a passé 5 ans en Floride et qui a également travaillé à l’Auberge du Pont de Collonges. C’est à lui qu’il reviendra de mettre en place cette belle table italienne à Lyon.

Est-ce difficile de prendre en mains et de donner un nouvel élan à un groupe marqué pendant plusieurs décennies par un personnage aussi exceptionnel que votre père ?

Oui et non. Comme je le dis fréquemment aux journalistes qui m’interrogent sur ce sujet, on ne va pas réinventer la roue, mais on veut être sûr qu’elle roule et qu’elle roule bien. Je considère que ma mission est plus de prolonger le travail qui a été accompli par mon père pendant des années et de le pérenniser. Pour cela, je peux compter sur des équipes, aussi bien en cuisine et en salle que dans les services administratifs, qui doivent garder cet ADN que mon père a initié. J’ai à mes côtés des hommes clés, comme Paul-Maurice Morel, le directeur du groupe, ou comme nos chefs MOF, mais aussi les managers de chaque établissement. En fait, c’est par l’implication de tous que nous pouvons relever ce défi.

Votre management est-il influencé par votre formation et par votre culture finalement très américaine ?

Il est incontestable que j’ai appris beaucoup de choses aux Etats-Unis, pendant ma formation, mais aussi au fil de ma prise en mains des affaires. Au départ, je voulais tout manager et être présent partout, à toutes les étapes du processus de décision. Mais je me suis vite rendu compte que cela ne pouvait pas fonctionner durablement. J’ai donc pris le parti de lâcher la bride à mes collaborateurs, de les responsabiliser. Je veux qu’ils prennent leurs responsabilités, quitte à faire des erreurs. Les erreurs ne sont pas graves ; elles permettent d’apprendre et donc de progresser. Je veux avoir à mes côtés des personnes qui ont grandi avec l’entreprise, qui ont appris et qui deviennent autonomes. Au final, d’un dirigeant qui voulait tout contrôler à l’origine, je suis devenu un dirigeant qui délègue énormément. C’est quelque chose que je n’ai pas appris dans les livres ni sur les bancs de l’école, mais au quotidien, dans l’entreprise.

Le nom de Paul Bocuse est également associé au Sirha et au Bocuse d’Or. Comment avez-vous reçu la victoire d’un chef américain lors de la dernière édition ?

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Est-ce que cette victoire au Bocuse d’Or a fait parler aux Etats-Unis ?

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Peut-on dire qu’une cuisine gastronomique typiquement américaine est en train de naître ?

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Vous avez évoqué les émissions de téléréalité consacrées à la cuisine ; ce type d’émission est-il aussi bon que cela pour assurer le développement de la cuisine ?

Disons que cela a permis d’enclencher un mouvement, de mettre en avant la cuisine, les chefs… Avant ce n’était pas du tout une préoccupation pour les Américains. Mais je reconnais qu’à un certain moment, il y a eu un peu d’excès. D’ailleurs ces émissions s’essoufflent un peu aujourd’hui.

Quelles sont les places fortes de la cuisine aux Etats-Unis ?

Sans surprise il s’agit des grandes villes : New York, Los Angeles, Chicago… Ensuite quand on se penche sur l’Amérique profonde, c’est-à-dire le Midwest, il est évident qu’il y a encore beaucoup de choses à faire. Là-bas il n’y a quasiment que des chaînes. Les jeunes chefs n’ont pas encore pris position sur ces territoires.

A vos yeux, reste-t-il des pays à fort potentiel dans lesquels la cuisine gastronomique a encore un travail de défrichage à réaliser ?

En Amérique centrale et du Sud, qu’il s’agisse du Mexique, de l’Argentine, du Brésil ou du Pérou, il y a encore beaucoup de travail à faire. Au Pérou et au Brésil, il y a eu un engouement fort lié à l’émergence de quelques chefs qui sont entrés dans les « fifty best », mais cela s’adressait plus à une élite, dans quelques places fortes comme Sao Paulo. Ensuite, il faut bien comprendre que la crise économique qui frappe ces pays ne favorise pas le développement de la cuisine gastronomique. Mais ce sont des pays dont on ne parlait pas jusque-là dans le monde de la cuisine et qui peu à peu vont pas. Bien sûr qu’il y a des problèmes, mais aux Etats-Unis aussi et les Américains gardent pourtant cette culture, qu’ils soient Démocrates ou Républicains, qui les incitent à avancer et à croire au lendemain.

Cela vous amène-t-il à travailler sur de nouveaux projets de développement aux Etats-Unis ?

Oui, j’ai beaucoup de projets de développement aux Etats-Unis dans le cadre de JBI, mais je ne peux pas encore en dire plus car j’ai une clause de confidentialité avec Disney. D’ici quelques mois cependant, je devrais pouvoir annoncer des évolutions. Pour le moment, je ne suis présent que sur Epcot Center, où nous avons triplé notre chiffre d’affaires en 20 ans.

Avant de conclure, revenons un instant sur le Sirha. Comment envisagez-vous son avenir ?

Je tiens avant tout à préciser, si tel est le sens de votre question, que le Sirha est à Lyon et qu’il restera à Lyon. Il ne peut pas se déplacer à Paris car il a une âme et des racines qui sont lyonnaises. J’insiste donc sur ce point : il n’est pas question de transférer le Sirha dans une autre ville. Ceci étant dit,nous avons déjà décliné cet événement dans d’autres pays, à Istanbul, en Hongrie, à Shanghai, à Mexico, à Rio. Mais il s’agit d’événements de moindre importance, qui n’ont pas le prestige du produit Made in Lyon.

Vous passez l’essentiel de votre vie aux Etats-Unis, quel regard jetez-vous sur le pays et sur son évolution ?

Une forte personnalité du monde du business a pris les commandes du pays et sans prendre parti de quelque façon que ce soit pour un camp ou pour l’autre, je constate que l’activité économique est plutôt bien orientée. Pour l’heure, les mesures de dynamisation du marché qui ont été prises par Donald Trump n’ont pas fait diminuer notre activité. Au contraire. Il y a incontestablement un nouveau boom économique qui rappelle la dynamique que nous avons connue il y a une quinzaine d’années. Les Américains sont donc partagés entre optimisme et inquiétude. Pour ma part, je vois plus facilement le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Mais c’est le cas de la plupart des Américains. C’est la grande différence avec la France, où justement on regarde avant tout ce qui ne va pas. C’est vraiment le gros handicap de notre pays. Personnellement, je considère qu’il faut toujours essayer d’aller de l’avant et ne pas s’appesantir sans arrêt sur ce qui ne marche pas. Bien sûr qu’il y a des problèmes, mais aux Etats-Unis aussi et les Américains gardent pourtant cette culture, qu’ils soient Démocrates ou Républicains, qui les incitent à avancer et à croire au lendemain.

 

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