Richard Geoffroy – l’artiste du Dom Pérignon quittera ses fonction fin janvier

22 octobre 2018  0  Non classé
 

signature-food-and-sens Richard Geoffroy – L’homme qui a fait de Dom Pérignon un des Champagnes les plus connu au monde tirera sa révérence au mois de janvier prochain. Le quotidien Le Parisien a dressé de lui un portrait on ne peu plus complet. 

Extraits 

Richard Geoffroy fait pétiller depuis vingt-huit ans les prestigieux millésimes du champagne Dom Pérignon. Début janvier, l’artiste tirera sa révérence et passera le le relais au disciple qu’il s’est choisi, Vincent Chaperon.

Pour le rencontrer, il faut s’enfoncer dans la campagne champenoise puis grimper sur les hauteurs d’Epernay (Marne) jusqu’à l’abbaye d’Hautvillers, fondée par un neveu du roi Dagobert, là où le domaine de Dom Pérignon offre une vue époustouflante sur la côte des Blancs et la Montagne de Reims, creuset des grands crus de champagne. Le maître des lieux, Richard Geoffroy, est depuis vingt-huit ans le chef de cave de ce vin de légende servi par Charles de Gaulle à John et Jackie Kennedy, ou lors du mariage de Charles et Diana. Tiré à quatre épingles, le sexagénaire, au regard bleu pâle cerclé de ses éternelles lunettes à monture noire, est intarissable sur le domaine classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Après un coup d’œil au pressoir du XVIIe siècle, l’époque où l’illustre moine bénédictin expédiait son vin à la cour du Roi-Soleil, notre hôte nous mène à la bibliothèque, vaste salle aux murs blancs accolée à l’abbatiale et dédiée au rituel de la dégustation : « C’est un lieu de savoir et de mémoire, énonce Richard Geoffroy. A 20 m de nous, de l’autre côté de ce mur, est enterré dom Pérignon. »

Le champagne, Richard Geoffroy est tombé dans la coupe à la naissance. Président du syndicat des vignerons, son père négociait pied à pied le prix du raisin avec les barons du champagne. « C’était une figure », dit-il. Richard est le cadet. « Mes frères, plus âgés, ont fait leur vie ailleurs, j’étais prédestiné à prendre sa suite. C’était lourd à porter. »

«Mes débuts ont été assez rock’n’roll»

Adolescent, il n’a qu’une idée, fuir ce destin tracé à l’avance. « Ma rébellion n’a pas été le Larzac, mais les études de médecine. Mon père était partagé entre sa volonté de transmettre le métier de la vigne et la fierté d’avoir un fils médecin. » Il décroche son diplôme, mais n’exercera jamais. « Un été, j’ai renoncé à la médecine, et je suis revenu à mes racines. »

Il retourne à la source, devient œnologue, mais se détourne du vignoble exploité par sa famille depuis sept générations. « J’avais besoin d’un bol d’air frais. » Il boucle ses valises, direction la Napa Valley en Californie. Au sortir de la guerre du Viêt Nam, « j’y ai découvert une forme d’ouverture au monde. Il régnait, sourit-il, une grande liberté » sur les terres ensoleillées des enfants de la Beat generation.

Au nord de San Francisco, John Wright, un consultant fou de viticulture qui a ouvert en 1973 les portes de la Napa Valley au Domaine Chandon, l’initie aux techniques du vin effervescent. « C’était un ancien hippy, il avait réuni autour de lui une équipe plutôt déjantée. Mes débuts ont été assez rock’n’roll, mais c’est là que j’ai fait mes gammes. »

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A Hautvillers, il doit réveiller une belle endormie. « Dom Pérignon était enfermé dans une sorte de silence, de distance », confie-t-il. A la manière du nez chez un grand parfumeur, il part à la recherche d’un équilibre inédit des arômes. Pour réinventer un tel vin, « la technique ne suffit pas, précise-t-il. C’est un acte de création, il y faut de la magie aussi ».

Le Dom Pé 2006, «le seul qui m’ait empêché de dormir»

Fidèle à l’héritage, il ne compose qu’à partir d’une seule vendange à la fois sans mélanger les années comme le font d’autres maisons de champagne. Mis en vente après une décennie passée en cave, « chaque millésime doit être unique, souligne-t-il, avoir son caractère à lui, bien trempé et, en même temps, il doit répondre à une même vision, à un idéal esthétique. »

Si trop de pluie ou de froid menace la qualité de la récolte, il se réserve le droit de refuser le millésime. Ce fut le cas en 1997, 2001 ou 2007. A l’inverse, « en 2003, l’année de la canicule, les vignerons de Champagne ne sont pas allés au bout de la récolte, nous, on n’a rien lâché, ça a été un sacré défi pour toute l’équipe ».

Dans son panthéon personnel, il cite en second le Dom Pé 2006, le plus compliqué à réaliser, « le seul en vingt-huit ans qui m’ait empêché de dormir ». Et puis, il y a les millésimes « iconiques » issus de vendanges exceptionnelles, comme le 1996, dont le raffinement iodé envoûta le redoutable critique américain Robert Parker.

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Autre fervent admirateur, Alain Ducasse parcourt le monde avec Richard Geoffroy au gré de dîners exceptionnels. De Paris à Séoul (Corée du Sud), les deux complices marient mets sublimes et fines bulles pour des convives fortunés, passionnés de gastronomie. « Avec Richard, assure le chef triplement étoilé, on est passé de Dom Pérignon au mythe Dom Pérignon et ce mythe est universel. »

Un mythe universel doublé d’un succès commercial planétaire. « La Romanée-Conti ou Château Latour, ce sont des dizaines ou des centaines de milliers de bouteilles vendues chaque année dans le monde, rappelle Thierry Desseauve, coauteur du guide Bettane & Desseauve, Dom Pérignon, ça se chiffre en millions. » De quoi faire mousser les affaires de Moët & Chandon.

De 950 € à 3 000 € pour un 20 ans d’âge

Chez les cavistes, un Dom Pé de 9 ans d’âge se vend 150 €, 450 € si le nectar a vieilli 16 ans en cave et de 950 € à 3 000 € pour un 20 ans d’âge. Trois degrés de vieillissement que Richard Geoffroy a rebaptisé ses Plénitudes. « Il a fait des différentes étapes de maturation du vin un véritable concept marketing », explique l’un de ses œnologues.

Et ça marche ! Dans les établissements de luxe, les prix des bouteilles au blason à triple pointe s’affolent. Au bar du Plaza Athénée, le rosé 1996 Plénitude 2 est à 2 800 € et le jéroboam 2006 Plénitude 3 à 10 000 €. « Nous avons même un mathusalem de Dom Pérignon rosé 2002 à 150 000 €, glisse un employé du palace parisien. Il n’en reste que cinq exemplaires au monde ! »

Affecté comme Bollinger, Laurent-Perrier ou Taittinger par la grande crise du champagne du début des années 1990, Dom Pérignon a reconquis son rang de premier champagne au monde. Le secret ? « Richard a compris qu’une marque de luxe aussi puissante devait être incarnée », décrypte Dominique Demarville. Il va donc se servir de son image pour dépoussiérer celle de l’antique maison.

La toute nouvelle vitrine Dom Perignon au bar du Plaza Athénée Paris

« Un look et un langage uniques dans l’univers du vin »

Un rôle de porte-drapeau qu’il n’a eu aucun mal à endosser. « Il est passionné, intelligent et drôle », assure Michel Rolland, le plus connu des winemakers français, conseiller d’innombrables domaines du Nouveau Monde. « Il a un look et un langage uniques dans l’univers du vin », ajoute Thierry Desseauve. « Il est à Dom Pérignon ce que John Galliano a été à Dior, en beaucoup moins fou. »

Ses prédécesseurs ne sortaient pas de leur cave, lui adore les sunlights. Il côtoie les grandes toques comme Alain Ducasse et le chef catalan Ferran Adrià, élu meilleur cuisinier du monde. Pour célébrer ses précieuses bulles, il travaille à des campagnes de promotion ou des séries limitées avec son ami Lenny Kravitz, et des artistes aussi flamboyants que Karl Lagerfeld, Jeff Koons ou David Lynch.

Derrière ce côté paillettes, le chef de cave reste, avant tout, un vinificateur hors pair. « Quand vous vendez des millions de bouteilles, vous ne pouvez pas tricher sur la qualité du produit, tranche Michel Rolland. La grande force de Dom Pérignon est d’abord de pouvoir sélectionner les meilleurs raisins et d’avoir aux commandes un magicien tel que Richard. »

Un magicien en quête du mystérieux « umami » (« saveur » en français) qui désigne le cinquième goût après le sucré, le salé, l’acide et l’amer. « Pour moi, c’est plutôt une sensation exacerbée, une nouvelle dimension du goût », corrige cet amoureux du Japon qui va désormais se consacrer pleinement à sa nouvelle passion : la fabrication d’un saké haut de gamme.

Avant de tirer sa révérence, il passera le flambeau le 1er janvier à son successeur, Vincent Chaperon. Cet œnologue de vingt ans son cadet travaille à ses côtés depuis 2005. Son disciple a été intronisé le 13 juin à Hautvillers lors d’une cérémonie solennelle au cours de laquelle des invités triés sur le volet ont dégusté le millésime 2008 au-dessus de la grotte secrète que dom Pérignon fit creuser sous les vignes.

A la fin de cette étonnante passation des pouvoirs, les deux chefs de cave, rejoints par Dominique Foulon, le prédécesseur de Richard Geoffroy, sont allés se recueillir sur le tombeau du moine vigneron. « On s’est dit des mots simples, entre hommes, raconte Vincent Chaperon. C’était tellement émouvant qu’on s’est mis à chialer. »

La suite ? « Je vais creuser le sillon, répond Vincent Chaperon, Bordelais d’origine, petit-fils d’une vigneronne de Pomerol. La nature change. Il faudra s’adapter et continuer à innover. » Sans renier l’héritage. « Un ami new-yorkais m’a fait cadeau un jour d’une bouteille rare de Dom Pérignon 1921, achetée aux enchères, raconte-t-il. Nous l’avons dégustée. Le vin était beau, d’un jaune intense. Près de cent ans après, il avait gardé des notes de noix, de fruits secs et un bel équilibre en bouche. »

BIO EXPRESS

  1954. Naissance à Vertus (Marne), près d’Epernay, en plein cœur des vignobles de Champagne.

  1982. Décroche son doctorat en médecine.

  1984. Diplômé de l’Ecole nationale d’œnologie de Reims. Effectue un stage chez Moët & Chandon.

  1985. Dans la Napa Valley en Californie, il s’initie aux techniques du vin effervescent.

  1990. Devient le chef de cave chez Dom Pérignon.

  2005. Il confie une campagne de promotion de la marque à Karl Lagerfeld avant de travailler dans les années suivantes, avec David Lynch, Jeff Koons et Lenny Kravitz.

  2019. Le 1er janvier, il passera le flambeau à l’œnologue bordelais Vincent Chaperon pour se consacrer à sa nouvelle passion : le saké.

 

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