Andorra Taste … Rencontre avec les chefs des sommets !
Dominique Homs-Vailhé
Qu’ils soient installés dans les Alpes françaises ou à Bilbao, qu’ils s’appellent Jean-Rémi Caillon, Frédéric Molina ou encore Akhond Ishaq, ils ont tous les trois été des invités privilégiés de l’Andorra Taste 2024 en tant que Chefs de Montagnes .
Leur histoire, leur passion, leur façon de vivre leur cuisine…ils se sont confiés à Food&Sens dans une ambiance amicale et gourmande.
Jean-Rémi Caillon est le chef de l’Alpage à Courchevel 1850 restaurant de l’hôtel L’Annapurna tout nouvellement étoilé à Tours en 2024. Son itinéraire aux pianos est déjà placé sous le signe de la voie lactée en tant que chef adjoint de Nicolas Sales à La table du Kilimandjaro , 2 étoiles au Guide Michelin. Approché par Sandra Pinturault, soeur d’Alexis, le champion de ski, du groupe familial éponyme, vieille famille de Courchevel depuis plusieurs générations, Jean-Rémi est séduit par leurs valeurs communes. L’amour du travail bien fait, l’amour de leur région et de ses savoirs-faire, l’amour de la Planète…
Un besoin d’authenticité
L’Annapurna est en 2023, entièrement restauré pour sa cinquantième saison. Tout est sélectionné dans du Made in France et seules les entreprises de la région sont sollicitées pour les travaux. Une volonté farouche de travailler en circuit court que l’on retrouve dans l’esprit du chef Jean-Rémi Caillon. Cuisines et salle à manger sont aussi relookées en un temps record permettant à l’Alpage d’ouvrir ses portes fin 2023. En salle, les pieds de tables sont en granit du Mont Blanc, le bois de chêne des plateaux vient d’Alberville, les couteaux sont l’œuvre d’un artisan qui travaille au bord du lac du Bourget, Timotimo Forges, la vaisselle est signée de Anne Marmotan, céramiste en Tarentaise.
Pour ce qui est du recyclage des déchets, le groupe ayant plusieurs restaurants, c’est un Biodigesteur qui transforme les restes alimentaires en une poudre qui est ensuite redistribuée aux producteurs. Une démarche verte et durable qui compte beaucoup pour Jean-Rémi et ses équipes.
Ce sens du local, du circuit court, le chef s’applique à être une locomotive dans le milieu des restaurateurs. Pour affiner son réseau de producteurs voisins, il a même organisé un système de collecte en petit camion, directement à la source, avec les confrères chefs qui ont joué le jeu …peu à son goût mais il est très remonté pour en réorganiser le fonctionnement et reste persuadé que c’est une vraie solution pour faciliter la vie de tous ces intervenants de haut vol. “ …chez nous, c’est le client la star du moment, pas forcément le chef, c’est un partage essentiel, il doit participer dans l’échange et profiter du moment sans se sentir étriqué dans un système sans liberté, il doit se laisser aller au plaisir gustatif, aux sensations que chaque bouchée lui inspire dans une ambiance musicale très soft crée par le “Couturier du son”… balade en forêt lorsque les champignons sont à l’honneur, ou encore sur les rives du Bourget lorsque les poissons du lac font leur entrée en scène…” Jean-Rémi est un pur, il n’est en aucun cas une “fashion victime” de la cuisine! Son “pays” il le vit dans chacune de ses créations culinaires. Il adore tout ce qui est végétal et s’applique avec ses équipes à mettre en valeur dans l’assiette chaque légume qu’il trouve au fil des saisons: l’hiver on braise les endives ou on les transforme en purée avec les racines, elles sont servies avec le yuzu des Alpilles et une truite au safran du Mont Jovet, des carottes ou des rutabagas…
Côté dessert, il est secondé par Téophane Faucher, son chef pâtissier. Un binôme qui joue dans un sans faute ses partitions gourmandes. Téophane appartient à cette nouvelle génération de pâtissier qui se réapproprie les techniques d’antan: “.. on fait la cueillette de nos herbes, on cherche à retrouver ces goût que nos grands mères savaient si bien sublimer. Le beurre et le lait cru, la double crème de ferme, retravaillés bien sur, dans plus de légèreté, je m’adapte au produit et ce n’est pas le produit qui s’adapte à moi…j’utilise beaucoup les fruits de saison sous différentes formes pour des desserts tout à la fois savoureux et plus originaux; je m’éclate avec la pâtisserie à l’assiette comme ce dessert autour de la pomme, je veux que l’on sente la pomme, je n’ai plus envie de gel et de mousse …”Un bel accord de sensibilité pour cette “dreamteam gourmande qui entrecroise produits et techniques, sucré et salé pour ne pas rompre le rythme d’un diner, dans une totale harmonie gustative .
Akhond Ishaq: Une histoire de vie !
Il est aujourd’hui à la tête du premier restaurant végétarien de Bilbao “Garibolo”mais son parcours de vie mériterait à lui tout seul une série sur Netflix! Ce pakistanais est né sur les contreforts de l’Himalaya à 2500m d’altitude. L’ainé d’une modeste famille nombreuse, il doit, après la disparition subite de ses parents, travailler pour faire vivre ses frères et soeurs. A 14 ans il s’engage déjà dans un restaurant. Les expéditions partent nombreuses de son village, durant l’été. Pour gagner plus il s’engage comme Sherpa cuisinier…mais un jour, l’ascension tourne mal et trois des 5 alpinistes disparaissent dans la tempête. Il reste alors seul à 5700m d’altitude avec un espagnol, chacun d’entre eux refusant de laisser l’autre comme le suggèrent les secours qui ne peuvent pas approcher. Cela va durer 22 jours avec pour seule nourriture, quelques oeufs et de la farine. Les hélicoptères arrivent enfin mais seul l’espagnol est assuré…le sherpa ne peux pas être remonté ! Reste qu’encore une fois, l’alpiniste refuse d’abandonner Akhond et tous deux rejoignent enfin la terre ferme épuisés mais vivants ! L’histoire ne s’arrête pas là…pour remercier le sherpa de lui avoir sauvé la vie, l’espagnol l’emmène avec lui en Espagne, le loge et l’aide à trouver un restaurant pour travailler, nous sommes en 2012. Lui qui n’avait “jamais” vu de poisson avant 21 ans apprends à les cuisiner…” chez moi au Pakistan il y avait très peu de viande là ou je vivais a cause du froid et de nos modestes conditions de vie. Il y avait du blé que l’on stockait pour les hivers rigoureux qui duraient plus de 6 mois, des carottes, des pommes de terre que l’on enterrait pour éviter qu’elles ne gèlent …en montagne lors des expéditions nous emportions des oeufs et de la farine et nous faisions la cuisine dans un genre de cocotte minute …” Après la crise sanitaire Akhond arrive à racheter le restaurant végétarien le plus connu de Bilbao!
Son restaurant ne désemplit pas et la qualité de ses assiettes fidélise une clientèle de plus en plus nombreuse. Beaucoup de salades, de soupes, de riz et de pâtes travaillées, beaucoup de légumes et de produits essentiellement de saison.
Les jus de fruits naturels sont fait à la minute . Un long parcours pour en arriver là, et pour pouvoir enfin faire venir du Pakistan son épouse et ses trois enfants. Une belle histoire de vie dont la cuisine est le fil conducteur !
Frédéric Molina: Le sens du vrai
Ils sont venus en famille représenter la haute montagne savoyarde , Frédéric Molina, chef du Moulin de Léré, https://moulindelere.com/ (une étoile rouge et une étoile verte au Guide Michelin) dans la vallée du Brevon, proche de Thonon-les-Bains en Haute-Savoie, était accompagné de son épouse et collaboratrice, Iréne (Prononcer Iréné) . Cette dernière a officié longtemps comme sommelière mais est aujourd’hui une maitresse de maison à part entière, au plus proche de ses clients. Une mission qui va à ravir à cette charmante jeune femme de nationalité espagnole qui vit avec son époux une aventure gastronomique nourrit d’une philosophie vertueuse où le “tout à côté” fait loi ! Sa carte est un voyage dans les produits exceptionnels qu’il ne cherche que dans sa région. Avec sa seconde, Margot Bruguière présente aussi sur Andorra Taste, ils jouent une partition engagée au coeur d’un circuit court et restreint qui compte 35 producteurs, pêcheurs, cueilleurs d’herbes et de fleurs , quelques chasseurs et des maraichers Bio. Toutes les semaines ils vont eux-même chercher les produits. A mi-chemin entre les sommets du Chablais et le lac Léman, leur histoire gourmande se raconte en trois chapitres pleine nature: Le léman tout en bas offre ses poissons sauvages, comme la perche qui est un plat traditionnel du lac que Frédéric se plait à cuisiner différemment. En filet, au sel et au vinaigre de pomme, associé à de l’huile de riz sauvage, une brunoise de rhubarbe et des œufs de brochet salés “le caviar du Léman ”quand aux arrêtes elles sont frites dans de l’huile d’ail et apportent un craquant très attendu en bouche!
La forêt est la deuxième étape dans la dégustation, cette forêt où est nichée un authentique moulin de meunier du 17 ème et qui cache 5 chambres et une salle de 25 à 30 couverts, une intimité qui plonge les épicuriens dans un monde ou la nature sublime ne génère que des ondes positives. Là, c’est le royaume des champignons, des cèpes, des herbes, des fleurs, qui trouveront leur place de l’entrée au dessert “J’ai envie de reproduire le paysage des sous bois dans mes assiettes …”
Tout en haut, c’est le royaume des myrtilles, des airelles, des framboises et des mûres sauvages, des bourgeons de sapin…qui eux rejoignent les desserts que Frédéric interprète lui même autour de la légèreté “Je n’ai pas de chef pâtissier, avec mon menu dégustation unique, le palais est essoufflé et l’on n’a pas forcément envie de finir sur une pâtisserie. Je travaille sur le fruit, le légume, on a des pêches de vignes, on ajoute des fleurs de trèfles, du thym sauvage, de la tagette du jardin, un sorbet à l’huile d’épicéa et un jus de mûre avec du miel et du verjus…cela vaut bien un gâteau ? …” Une adresse où la nature se déguste à pleines papilles .