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Londres – Interview de la cheffe Emily Roux, nouvelle étoilée au guide Michelin 2025 – « Pour tout le milieu de la restauration, c’est très compliqué actuellement. »
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Londres – interview d’Emily Roux, nouvelle étoilée 2025
Par Anastasia Chelini
Tout juste auréolé d’une première étoile Michelin, le restaurant Caractère des chefs Emily Roux et Diego Ferrari vient ajouter au quartier de Notting Hill une étoile de plus. Pour le couple, qui a ouvert son restaurant il y a six ans, la récompense du Michelin était un objectif. Dans une scène gastronomique londonienne quelque peu malmenée par le climat économique actuel, qui a vu plusieurs étoilés fermer cette année, Emily Roux fait le point pour Food&Sens, et évoque les challenges de 2025. Entretien.
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F&S : La nouvelle édition du guide Michelin Grande-Bretagne et Irlande 2025 vient de sortir, vous décernant une étoile pour Caractère. Un commentaire ?
Emily Roux : On est vraiment ravis ! On travaille pour depuis six ans. Cette étoile, c’est vraiment un aboutissement de tout ce travail, passé et présent. Toute l’équipe participe à cette étoile ; moi je leur dis toujours, vous avez tous un petit morceau de l’étoile chacun.
Comment décririez-vous la cuisine de Caractère ?
Emily Roux : Diego, qui tient la cuisine, a travaillé plus de dix ans pour Alain Ducasse à Monaco ; il a donc des bases extrêmement françaises, bien qu’il y ait des touches d’Italie dans nos menus. Mais le restaurant est quand même assez français. Moi, je tiens la pâtisserie en ce moment.
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Plusieurs étoilés londoniens ont fermé entre 2024 et 2025, comme Locando Locatelli, Pollen Street Social, Cornerstone, etc. Un commentaire sur cet état de fait ?
Emily Roux : Je pense que pour tout le milieu de la restauration, c’est très compliqué actuellement. On a des augmentations sur le prix des produits quasiment tous les mois ; en avril, il y aura également l’augmentation du salaire minimal, et l’augmentation de la contribution au National Insurance (la sécurité sociale britannique, ndlr). Je vais aussi avoir une réévaluation du loyer du restaurant dans l’année, qui va forcément augmenter – les loyers n’étant jamais revus à la baisse. Les business rates (l’impôt foncier sur les locaux commerciaux, ndlr) vont augmenter eux aussi, parce qu’il y aura moins d’aides du gouvernement, qui avaient commencé pendant le Covid. 2025 va être une année très difficile pour beaucoup de restaurants, étoilés ou non. J’ai des confrères à Mayfair, pourtant extrêmement bien placés, qui souffrent. Janvier a été très difficile ; février se présente plus ou moins bien. Pour autant, décembre a été un très bon mois ; les gens ont profité de Noël et de la joie des fêtes. Mais le mois de novembre a été l’un des pires mois qu’on ait fait depuis notre ouverture. Ça n’est pas un moment facile, pour tout le milieu de la restauration.
F&S : Le Brexit et les coûts qu’il a engendré pour le milieu de la restauration se font-t-ils toujours sentir ?
E.R. : Tout coûte plus cher à l’import ; les produits passent la douane, et certains ont besoin de certificats vétérinaires ; tout cela a un coût. Plus ou moins tous les produits français ont augmenté. C’est la loi du Brexit… On essaie de se fournir au maximum au Royaume-Uni (où l’on a la chance d’avoir des produits exceptionnels) ; mais si on a besoin d’un produit particulier, venu d’Italie ou de France, comme le vinaigre de balsamique de Modena, il faut bien l’importer. On paie plus cher, et malheureusement, on doit le refléter dans le prix du menu. C’est un cercle vicieux.
F&S : En général, diriez-vous que les restaurants gastronomiques trouvent leur public moins facilement qu’avant ?
E.R. : Oui, je pense. C’est une question d’argent, d’abord, car certains restaurants pratiquent des prix importants. Mais il y a aussi le fait de ne pas vouloir autant s’habiller qu’avant, de ne pas avoir envie de mettre une chemise-cravate pour sortir. Pourtant, il y a des étoilés qui ne prônent pas forcément ce genre de tenue ; mais ça reste encore dans l’idée des gens qu’aller dans un trois étoiles équivaut à être tiré à quatre épingles, et que le lieu sera sûrement plus austère. Au final, ça fait que les gens se disent que c’est un dîner qu’on fait une fois par an…
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F&S : Le quartier de Notting Hill dispose d’un nombre non négligeable de tables étoilées ; est-ce que cela vous sert, ou au contraire vous dessert ?
E.R. : La quantité d’étoilés au mètre carré nous sert énormément. Ce tout petit quartier de Notting Hill est très réputé et connu ; c’est le nouveau hub de la gastronomie. Avant, tout le monde était à Mayfair ; maintenant, Notting Hill, c’est devenu tout aussi bien. Et puis, ici on a une clientèle de fidèles et d’habitués.
Londres, février 2025