
Loïc Pétri : penser chaque assiette comme on pense une vie
Entretien avec le chef du restaurant Études, à Aix-en-Provence
Il y a ceux qui veulent marquer leur époque et ceux qui veulent en extraire quelque chose d’irréductible. Loïc Pétri ne cherche pas la postérité : il vise l’instant présent ! Non pas celui de la performance ou du récit médiatique, mais celui qui ne s’écrit nulle part. Un instant fugace, indélébile pour celui qui le vit. Et c’est la raison pour laquelle il n’a pas de signature graphique, pas de geste immédiatement identifiable, il veut que l’on ressente quelque chose qui restera, même si l’on oublie tout le reste !

Il évoque cela sans emphase. « Moi, je ne veux pas être le chef. Je veux être hôte ! » Une formule, presque anodine, qui contient pourtant tout un basculement de paradigme. Accueillir, recevoir, transmettre 1 Pas seulement cuisiner, mais créer une ambiance, une tension, une forme de présence le tout dans un monde où l’hypervisibilité du chef est devenue prédominante, Loïc Pétri propose un renversement simple en remettant l’hospitalité au centre de l’expérience !
À l’origine, il a commencé la cuisine non pas par une révélation divine ni par vocation :« Je ne pense pas que ça se soit fait sur un jour. C’est un processus long » Ce mot, processus, revient comme un fil rouge. Il y a le père qui travaille chez Métro, les cuisines qu’il observe en passant, un professeur de cuisine qui le pousse à faire un concours et puis un nom, celui de Michel Roth, qui devient l’acteur principal d’un basculement de vie lorsqu’il lui dit : « Viens à Paris! » Ce jour-là, tout bascule pour Loïc « J’ai pris un gros smack dans la gueule. Puis j’ai appris à comprends ce que c’est que le luxe ! »

Il ne s’agira pour lui pas de s’installer dans un système, mais de s’y frotter pour le comprendre. D’en saisir la mécanique, les codes, les contraintes, pour mieux les désosser plus tard. Dès le départ, Loïc Pétri sait que ce métier n’est pas valorisé socialement. « Quand je dis à mes parents que je veux être cuisinier, alors qu’à l’école je suis brillant, il y avait un vrai décalage. » Ce décalage devient moteur. Il construit donc une ambition qui n’a rien à voir avec la reconnaissance extérieure, mais avec l’exigence d’une cohérence intérieure et personnelle qui l’anime !
La trajectoire est atypique. Loïc ne se voit pas comme un artisan du produit ni un poète du dressage. Il se voit plus comme un compositeur. Un homme qui cherche l’accord juste entre le lieu, l’assiette, le rythme du service, la parole donnée, la tension de l’instant. Il l’assume sans détour : « Je fais partie de ces chefs qui n’aiment pas cuisiner parlant de la routine du métier. Ce que j’aime, c’est créer » Dans sa bouche, cuisiner désigne le faire ; créer, de penser. Ce n’est pas une posture. C’est un système, une organisation mentale !

Le centre de gravité de sa pensée tient dans ce mot simple : le moment. « On est les directeurs artistiques d’un moment. »Une phrase qui résonne comme une déclaration d’intention. L’assiette n’est pas l’unique finalité. Elle est un levier. Un vecteur parmi d’autres pour générer une expérience complète, dont le goût serait la trace la plus facile à raconter, mais rarement la plus essentielle ! Ce qui compte, c’est ce que le client emporte sans le savoir !
À l’heure des narrations calibrées et des plats sur-signés, Loïc Pétri creuse l’écart. Il veut une cuisine invisible par sa fabrication, mais marquante par son effet. « Le client ne doit pas avoir la sueur. Il doit avoir l’évidence. » Cette idée est capitale. Elle dit la volonté de cacher la complexité technique pour privilégier la limpidité de la sensation. « Le client, lui, voit un morceau de poisson. Mais il ne se dit pas pourquoi il a ce goût-là. Et c’est très bien comme ça !»

Ce refus du spectaculaire est aussi un positionnement stratégique car Loïx Pétri ne cherche pas l’épure scolaire, ni le geste intellectualisé. Il cherche la justesse contextuelle. « Peut-être que notre niveau de cuisine est en dessous d’autres tables, mais quand les gens viennent chez moi, ils me disent qu’ils ont adoré le moment. » Il y a là un projet d’une belle densité humaine plutôt que d’une performance technique. Une manière de réinventer la table non comme vitrine, mais comme lieu d’émotion partagée !
Loïc continue, parce qu’il veut aller au bout de son idée « J’ai honte de mes assiettes d’il y a un an. » Pas par masochisme, mais par méthode. Parce que seule la honte garanti la progression. Le nom de son restaurant, Études, n’est pas un effet de style : c’est un manifeste. « Quelque chose qui n’est pas apprivoisé c’est Sauvage (L’ex nom de son restaurant), quelque chose qu’on cherche à comprendre c’est Etude (Le nouveau nom de son restaurant) et la cuisine est une étude perpétuelle ! »

Dans cette logique, rien ne se fige. Pas même l’idée d’un plat signature, loic n’a d’ailleurs et selon lui toujours pas trouvé son style culinaire « Je n’ai pas encore trouvé ma cuisine. » Il ne le dit pas comme un aveu d’échec, mais comme une promesse dans cette quette perpetuelle. Il cite son riz de veau à l’anguille fumée, sans en faire un totem. « C’est gourmand, c’est cérébral, c’est étonnant. Il y a tout ce que je recherche dans un plat. » mais rien n’est stabilisé, tout est en devenir.
Le moment le plus fort de sa carrière ? « Lundi 23 mars, 13h51. L’appel que j’attendais depuis vingt ans. » Une étoile. Une confirmation. Mais là encore, pas d’orgueil. Juste une explosion intérieure, un cri seul dans une pièce vide. L’émotion est brutale, presque animale. Puis, immédiatement, le retour au travail. Parce que la vraie victoire n’est pas dans l’étoile, mais dans la constance du chemin. « Ce qui nous anime, c’est de se demander : qu’est-ce qu’on va faire mieux que la veille ? »

Il aurait pu s’arrêter là. Mais il ajoute une dernière note, plus désabusée, presque politique suite à notre question « La gastronomie, ce n’est ni une religion, ni une science. C’est une secte. » Parce que le monde gastronomique a ses gourous, ses rites, ses dogmes mouvants. Mais aussi parce qu’il sait que l’héritage n’a de sens que s’il se transmet…
Propos recueillis par Guillaume Erblang