« Une expérience peut être oubliée, un souvenir reste » : la philosophie d’Emmanuel Renaut

18 février 2025  0  Food&Sens Broadcast MADE BY F&S
 

signature-food-and-sens Lors du Sirha Food Forum, Emmanuel Renaut, chef trois étoiles et Meilleur Ouvrier de France, a partagé sa vision d’un métier en constante évolution. Entre changements climatiques, nouvelles attentes des clients et transformation des modèles économiques, il défend une gastronomie qui sait s’adapter sans perdre son âme. À travers son expérience à Megève, il raconte comment il ajuste son approche aux aléas du monde contemporain, tout en restant fidèle à son identité culinaire et à son territoire.

Une gastronomie ancrée dans son territoire, mais toujours en mouvement

Depuis 27 ans, Emmanuel Renaut s’est imposé comme l’un des plus grands ambassadeurs de la cuisine de montagne. Mais loin de figer sa cuisine dans une vision passéiste, il a dû sans cesse s’adapter aux évolutions du climat, de la clientèle et des ressources disponibles. « Nous avons éduqué nos clients aux produits locaux, mais nous devons aussi nous ajuster en permanence à la météo, aux saisons, et à nos producteurs. »

Le réchauffement climatique bouleverse notamment les repères traditionnels. Là où, autrefois, la neige garantissait une saison hivernale stable, aujourd’hui, il faut composer avec des hivers plus courts, des étés plus longs et une fréquentation qui s’étale différemment. « Avant, nous avions des périodes de forte affluence bien définies. Aujourd’hui, l’activité s’est lissée. C’est une chance, mais aussi un défi. »

Face à cette nouvelle donne, il a développé une cuisine ultra-saisonnière, où l’on ne peut plus se contenter d’un menu figé. Les plats évoluent parfois toutes les semaines, en fonction des récoltes, des conditions de pêche dans les lacs et des cycles de la nature. « Nous travaillons main dans la main avec nos producteurs. Ce sont eux qui dictent nos cartes, pas l’inverse. »

L’incertitude comme moteur de créativité

La gestion des stocks et des équipes devient un exercice de haute précision quand on ne peut plus compter sur des approvisionnements réguliers. Emmanuel Renaut explique comment il a transformé cette contrainte en opportunité, en développant un modèle flexible où chaque restaurant du groupe peut ajuster son offre selon la disponibilité des produits.

Parmi les ajustements les plus marquants, il évoque son engagement à travailler uniquement avec des poissons de lac, au lieu des traditionnels homards ou bars de ligne. « Quand j’ai pris cette décision, beaucoup pensaient que c’était une folie. Aujourd’hui, nos clients viennent précisément pour ça. » Mais là encore, il doit composer avec la réalité des écosystèmes : certaines semaines, les poissons sont rares, et il faut réinventer les menus à la dernière minute.

Cet état d’esprit se retrouve aussi dans sa philosophie du gibier et des produits sauvages, qu’il considère comme une ressource précieuse, mais fragile. Il souligne l’importance de préserver la biodiversité locale, en limitant certaines chasses et en protégeant des espaces de quiétude pour les espèces en danger. « Nous devons être des acteurs du territoire, pas juste des consommateurs de ressources. »

Une cuisine qui crée des souvenirs, pas juste une expérience

Contrairement à la tendance actuelle qui met en avant l’expérience client, Emmanuel Renaut préfère parler de création de souvenirs. « Une expérience peut être oubliée, un souvenir reste. » Pour lui, un restaurant doit être un lieu de partage, où l’on revient avec émotion, qu’il s’agisse d’un repas étoilé ou d’une simple soupe sur les pistes.

Il insiste sur la nécessité de préserver la liberté du client, en lui offrant des choix variés, plutôt que de l’enfermer dans un menu imposé. « Je veux qu’un client puisse venir manger une côte de veau un jour, et un menu dégustation un autre. Pourquoi devrait-on lui imposer un cadre rigide ? » Cette approche, à contre-courant de nombreux restaurants gastronomiques qui privilégient des menus fixes, reflète sa vision d’une gastronomie ouverte et accessible.

Enfin, il évoque avec émotion le lien qu’il entretient avec sa clientèle fidèle. « Je vois aujourd’hui des clients qui viennent avec leurs enfants, alors qu’ils venaient eux-mêmes avec leurs parents il y a 20 ans. Ce sont ces moments qui donnent du sens à notre métier. » Cette transmission intergénérationnelle, bien au-delà de l’assiette, est l’un des piliers de sa vision de la restauration.

Conclusion : s’adapter sans renier son identité

Face aux défis climatiques, économiques et culturels, Emmanuel Renaut prouve qu’il est possible d’évoluer sans trahir son ADN. Son modèle repose sur une adaptabilité permanente, où la nature et les producteurs dictent le tempo, sans jamais céder à une standardisation qui irait à l’encontre du bon sens.

Dans un monde en mutation, il incarne une cuisine de conviction, ancrée dans son territoire, mais toujours en mouvement. Et si l’incertitude est une contrainte, pour lui, elle est avant tout une formidable source d’inspiration.

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