Philippe Frenchefs : La cuisine française et l’art du savoir-faire face au défi du faire-savoir !

16 novembre 2024  0  Food&Sens Broadcast MADE BY F&S
 

signature-food-and-sens Philippe Frenchefs : La cuisine française et l’art du savoir-faire face au défi du faire-savoir !

La gastronomie française, souvent perçue comme le berceau de l’excellence culinaire, fait face à des défis croissants dans un monde où les dynamiques évoluent à grande vitesse. Si elle reste une référence incontestée, sa capacité à dialoguer avec une scène internationale en plein essor est mise à l’épreuve. Philippe Frenchefs, observateur avisé du milieu gastronomique, pointe du doigt trois axes cruciaux pour permettre à la France de maintenir son rayonnement : un nécessaire équilibre entre tradition et créativité, un changement de mentalité pour sortir des frontières et une meilleure appropriation des outils modernes de reconnaissance tels que les guides et classements internationaux. La gastronomie française ne manque ni de savoir-faire ni d’héritage, mais elle doit apprendre à s’ouvrir pour mieux s’adapter aux attentes contemporaines et internationales ! 

Retrouvez ici l’interview de Philippe Frenchefs réalisée en marge du festival gastronomique Gastromasa 2024 à Istanbul !

Tradition et créativité : une opposition illusoire

Pour Philippe Audier, la gastronomie française porte un paradoxe apparent : une immense richesse de savoir-faire mais une difficulté à la projeter dans un récit contemporain. Si les traditions culinaires françaises incarnent un héritage inestimable, elles peuvent aussi enfermer certains chefs dans une vision conservatrice. « La France est reconnue pour son savoir-faire, mais ce qui manque aujourd’hui, c’est le faire-savoir, » insiste-t-il. Dans un monde où les cuisines émergentes redéfinissent les codes, les chefs français doivent impérativement sortir de leur zone de confort pour rester pertinents.

Ce décalage est particulièrement visible lorsque l’on compare la scène française à celle de l’Amérique latine ou de l’Asie. Ces régions n’hésitent pas à explorer des techniques nouvelles tout en valorisant des ingrédients locaux, créant ainsi un équilibre entre audace et respect des racines. Philippe Frenchefs met en avant le cas de la gastronomie hispanophone : « Ils collaborent, voyagent, racontent leurs histoires avec une solidarité et une ouverture d’esprit admirable. » Cette stratégie leur permet de capter l’attention des médias et de conquérir de nouveaux publics, là où la France reste parfois perçue comme trop tournée vers elle-même !

La créativité, selon lui, ne signifie pas trahir les traditions, mais les réinventer pour mieux dialoguer avec les attentes d’aujourd’hui. Cela implique de ne pas figer les recettes dans une nostalgie muséale, mais de les transformer en expériences sensorielles et narratives capables de captiver une clientèle moderne. « Un plat traditionnel ne devient vivant que lorsqu’il dialogue avec son époque, » résume Philippe Frenchefs, rappelant que la gastronomie est avant tout un langage, et non une archive.

Enfin, cette synergie entre tradition et innovation ne peut exister sans une stratégie claire de communication. Là où des cuisines émergentes misent sur la transparence et des récits inspirants, « les chefs français doivent apprendre à raconter leur cuisine au-delà des frontières, » ajoute Philippe Frenchefs. Voyager, rencontrer d’autres cultures gastronomiques, et construire des passerelles avec des chefs internationaux sont autant de moyens d’insuffler une nouvelle dynamique positive pour les chefs ! Philippe Frenchefs parle de ce sujet comme d’une mission à la fois ambitieuse et nécessaire pour développer le rayonnement de la cuisine française sur la scène mondiale.

L’enjeu des mentalités : sortir de sa zone de confort

Philippe Frenchefs identifie un obstacle central à la modernisation du rayonnement gastronomique français : une certaine méconnaissance des réseaux internationaux par le fait qu’historiquement, les chefs français ont construit leur renommée sur leur présence quasi constante en cuisine, maîtrisant chaque détail de leur établissement. Si cette présence est précieuse pour garantir un haut niveau de qualité, elle peut également freiner leur ouverture vers l’extérieur. « Beaucoup de chefs français restent attachés à l’idée qu’ils doivent être présents à chaque service, ce qui limite leurs opportunités de voyager ou de participer à des événements internationaux, » explique-t-il.

Pourtant, dans un monde globalisé où les collaborations et les échanges sont des leviers essentiels de visibilité, l’organisation interne devient une compétence stratégique. Selon Philippe Frenchefs, cette absence de mobilité est également liée à des contraintes financières et ce bien que ces derniers expriment l’envie de la volonté de se déplacer. « Voyager, rencontrer d’autres chefs, s’ouvrir à d’autres cultures : c’est un état d’esprit avant tout, un investissement personnel pour faire vivre sa marque et sa cuisine, » souligne-t-il. À titre d’exemple, il évoque les Best Chef Awards à Dubaï, où seuls deux chefs français étaient présents et ce, malgré leur large représentation dans les classements ! Cette faible participation illustre un décalage entre la reconnaissance des talents français et leur engagement sur la scène internationale.

Philippe Frenchefs insiste également sur l’importance de sortir d’une vision purement hexagonale de la gastronomie. Si les chefs français excellent dans la maîtrise des produits locaux et des recettes patrimoniales, ils doivent apprendre à s’adresser à une clientèle internationale. Cela ne signifie pas renier leur identité, mais plutôt apprendre à la présenter sous un angle universel. « La gastronomie, c’est du partage, mais cela nécessite de franchir les frontières, qu’elles soient géographiques ou mentales, » explique-t-il. Des cuisines comme celles du Pérou ou de la Corée ont su jouer sur cet équilibre, mettant en avant des identités fortes tout en dialoguant avec le reste du monde.

Enfin, Philippe Frenchefs appelle à une réflexion collective puisque bien que la profession soit en manque de personnel il faut que les chefs trouvent des moyen pour leur permettre de représenter leur cuisine à l’international ! « L’absence du chef ne doit pas être perçue comme une faiblesse, mais comme une opportunité pour son équipe de monter en compétences, » insiste-t-il. Ce changement de mentalité est indispensable pour permettre aux chefs français de se libérer de leur cuisine le temps de rayonner ailleurs, et ainsi insuffler une dynamique nouvelle à la gastronomie française.

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Des guides et des classements pour relancer la dynamique

Philippe Frenchefs met en lumière un paradoxe essentiel dans la gastronomie française : l’importance cruciale des guides et des classements pour faire rayonner la cuisine, face à un manque persistant de temps, de compréhension des intérêts stratégies de nombreux chefs pour s’y investir pleinement. Historiquement liés au guide Michelin, symbole ultime d’excellence, les chefs français restent attachés à cet héritage, mais ils peinent à s’approprier d’autres outils de reconnaissance internationale, comme les 50 Best ou les Best Chef Awards. « Le guide Michelin fait partie de notre ADN gastronomique, mais la scène mondiale ne se limite plus à cela. Les classements internationaux offrent une visibilité indispensable dans un marché globalisé, » explique-t-il.

Ces distinctions, bien qu’elles ne garantissent pas immédiatement une augmentation de clientèle, permettent de bâtir une marque personnelle forte. Pour Philippe Frenchefs, l’enjeu dépasse la simple obtention de récompenses. Ces guides et classements sont des plateformes de communication puissantes, capables d’ouvrir des opportunités de collaborations, d’attirer des investisseurs ou encore de positionner un chef sur la scène mondiale. « Aujourd’hui, un chef n’est pas seulement un artisan, il est une marque. Et comme toute marque, il doit s’appuyer sur des médias pour exister et se faire connaître, » affirme-t-il.

Cependant, cette stratégie demande un changement de mentalité et une compréhension des dynamiques internationales. « Beaucoup de chefs français méconnaissent encore certains classements comme les Best Chef Awards, qui sont pourtant parmi les plus influents au monde, » regrette-t-il. Philippe Frenchefs insiste sur la nécessité pour les chefs de s’informer, de s’impliquer dans ces réseaux et de voir ces classements comme des tremplins et ce, non pas seulement pour remplir leur salle, mais pour construire une présence globale. « Ces distinctions permettent de rencontrer des homologues, d’échanger, de voyager, et d’initier des projets. C’est une dynamique B2B aussi essentielle que le lien avec le client final. »

Enfin, Philippe Frenchefs souligne l’importance de diversifier les approches. Là où les guides comme le Guide Michelin reste centré sur la clientèle locale, d’autres outils favorisent les collaborations internationales. « Les guides ne sont pas seulement des récompenses, ils sont des leviers de crédibilité et de rayonnement, » explique-t-il. En les combinant avec une stratégie d’ouverture et de communication, les chefs peuvent transformer ces distinctions en véritables moteurs de croissance. Il rappelle que « le meilleur moyen de se faire connaître de ses clients reste de faire rayonner sa marque à travers ces plateformes. » Pour Philippe Frenchefs, les guides et classements ne doivent plus être perçus comme une fin en soi, mais comme des outils parmi d’autres pour s’imposer sur une scène de plus en plus concurrentielle.

La collaboration internationale : un moteur sous-exploité

Philippe Frenchefs souligne un point souvent négligé dans la stratégie des chefs français : l’importance des collaborations internationales. Alors que de nombreux pays, comme l’Espagne ou le Pérou, ont fait de ces échanges un pilier de leur dynamisme gastronomique, la France semble encore hésitante à embrasser cette tendance. « Les collaborations, qu’il s’agisse de dîners à quatre mains, de festivals ou de projets communs, permettent non seulement de croiser les savoir-faire, mais aussi de créer une visibilité mutuelle entre chefs, » explique-t-il.

Ces échanges sont pourtant des leviers puissants pour attirer l’attention des médias et élargir sa clientèle. « Quand un chef français participe à un événement à l’étranger ou invite un chef international, cela génère une émulation. On ne parle plus uniquement de cuisine, mais de dialogue culturel, »affirme Philippe Frenchefs. Pourtant, il pointe un frein : un manque de réseaux et d’organisation pour faciliter ces rencontres. Les chefs étrangers, bien que curieux de travailler avec leurs homologues français, sont rarement invités dans les établissements hexagonaux, une situation qu’il juge regrettable.

Philippe Frenchefs voit également dans ces collaborations une opportunité de repenser la façon dont la gastronomie française est perçue à l’international. « Aujourd’hui, les cuisines émergentes comme celles de la Corée ou du Pérou misent sur une identité nationale forte, mais elles l’enrichissent grâce à des influences extérieures. La France, en revanche, a parfois tendance à se replier sur elle-même, ce qui peut donner une image figée, » analyse-t-il. En travaillant avec des chefs d’horizons variés, les Français pourraient moderniser leur image tout en partageant leurs techniques et traditions.

Enfin, Philippe Frenchefs insiste sur le rôle clé de l’événementiel pour dynamiser les collaborations. « À l’étranger, les restaurants multiplient les événements spéciaux : soirées thématiques, focus sur un ingrédient ou collaborations internationales. Ces initiatives créent une raison supplémentaire pour les clients de venir, tout en fidélisant une clientèle exigeante et connectée, » explique-t-il. Selon lui, la gastronomie française gagnerait à intégrer ce type d’approche, en s’appuyant sur son héritage pour créer des expériences uniques et mémorables.

Pour Philippe Frenchefs, la collaboration internationale n’est pas seulement un moyen de renforcer la notoriété d’un chef ou d’un restaurant : c’est un outil essentiel pour inscrire la gastronomie française dans une dynamique mondiale. « Nous avons tout à gagner en invitant des regards extérieurs et en partageant notre expertise. C’est ainsi que la cuisine française continuera de briller, non pas comme une tradition figée, mais comme une culture vivante et en dialogue avec le monde, » conclut-il.

Pour Philippe Frenchefsl’avenir de la gastronomie française repose sur sa capacité à se renouveler sans renier ses racines. Ce renouvellement passe par une hybridation essentielle entre tradition et modernité où la créativité permet de réinventer des récits culinaires sans trahir leur essence. Cependant, cette transformation ne peut s’opérer qu’en adoptant un nouvel état d’esprit : celui d’une ouverture internationale. Voyager, collaborer, raconter son histoire sont autant de clés pour redonner à la cuisine française la place qu’elle mérite sur la scène mondiale. Enfin, les guides et classements doivent être vus comme des outils stratégiques, non seulement pour attirer les clients, mais aussi pour construire une marque forte et durable.

À l’heure où les cuisines émergentes, de l’Amérique latine à l’Asie, se montrent audacieuses et proactives, la France a tout à gagner en s’inspirant de cette dynamique. La tradition française est un socle solide, mais c’est en construisant des ponts vers l’extérieur qu’elle continuera à écrire son histoire. Entre respect du passé et ambition pour l’avenir, la gastronomie française est à la croisée des chemins, prête à rayonner si elle accepte de franchir ses propres frontières.

Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa

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