Jacques Maximin « Pour moi le MOF est l’équivalent d’un titre de champion du monde en Formule 1! »

16 septembre 2022  0  MADE BY F&S
 

signature-food-and-sens Interview du chefs MOF Jacques Maximin / Parrain des Etoiles de Mougins

Le chef Jacques Maximin est LE chef le plus emblématique d’une génération aujourd’hui disparue ! Vice Président du concours  « Un des meilleurs ouvriers de france », chef formateur à l’école Ducasse de Meudon, il est aujourd’hui le parrain des Etoiles de Mougins répondant dans ce cadre à quelques questions >

Jacques Maximin, d’où vous vient le goût de la cuisine ? Je suis tombé dans la marmite tout petit comme on dit. Originaire d’une petite ville côtière à côté de Berk-sur-Mer dans le Nord-Pas-de-Calais, j’ai grandi dans un lieu où l’on faisait un peu tout : café, tabac, restaurant, buraliste, station d’essence. On y proposait une restauration familiale et lorsque ma mère était débordée, avec mon frère, nous lui donnions un coup de main. J’aimais bien ça. La cuisine c’était déjà la maison en quelque sorte. Plus tard, au lycée, j’ai eu quelques problèmes de discipline, il a fallu que je me ressaisisse. J’avais déjà ce goût de la cuisine en moi, et je me suis lié d’amitié avec le Chef de la cantine. Durant les vacances, il s’occupait de l’Hôtel de la plage à Merlimont-Plage, où je l’aidais durant mes congés. Puis je me suis lancé à fond dans l’apprentissage en cuisine, ça m’a sauvé et c’est à cette époque que ma trajectoire s’est vraiment décidée.

Vous avez révélé votre talent dès cette époque ? À cet âge-là, on ne parle pas de talent. Il faut d’abord s’accrocher. Ce qu’on regarde, c’est votre aptitude au travail, votre courage, votre sérieux, votre endurance, le geste, la passion. C’est un métier difficile, avec des horaires compliqués. Le talent, il vient plus tard, une fois que vous êtes bien formé, que vous avez un solide bagage et que vous pouvez vous exprimer seul, dans votre propre cuisine. Là on voit ce que vous arrivez à faire. J’ai commencé à me révéler vraiment lorsque j’ai travaillé à « La Bonne Auberge » à Antibes, qui avait 2* au Guide Michelin. Puis il y a eu le Chantecler au Negresco où je me suis vraiment épanoui…

Que représente la cuisine pour vous ? C’est viscéral, c’est une passion, je ne vis que pour ça. Même après 58 ans de carrière, j’ai toujours le même entrain. Dès que j’arrive dans une cuisine, je tourne, je vire, je regarde les produits, j’imagine ce qu’on pourrait en faire.

Quelle différence faites-vous entre cuisine et gastronomie ? La cuisine au départ, c’est celle qui nourrit la famille. La gastronomie, c’est anoblir cette cuisine familiale en passant par une technique plus élaborée, des idées innovantes, un produit de haute qualité. Cela demande un long travail. La cuisine ce n’est pas simple, ce serait trop facile !

En quelques mots, comment définiriez-vous votre propre cuisine, votre empreinte sur le patrimoine culinaire français ? Peut-on dire que «La courgette à la fleur et aux truffes» est votre «plat signature» ? Vous savez, j’ai écrit au fil de ma carrière plusieurs livres de cuisine avec plus de 500 recettes, il n’y a pas que la courgette ! Mais c’est un plat qu’on retient car je l’ai vraiment créé de toute pièce. J’étais alors au Negresco. J’étais très proche des Auda, fournisseurs à Carros, qui produisaient au départ du basilic puis qui se sont mis à faire de la courgette. Nous avons longuement travaillé ensemble sur le produit, la variété, le calibre de leur futur produit que je voulais travailler. La courgette est très utilisée dans la cuisine niçoise, soit le corps, soit la fleur, en beignets. Moi j’ai innové en gardant la fleur accolée au légume. Puis j’ai voulu sublimer le tout en y ajoutant de la truffe. La recette a remporté un succès retentissant. Bien sûr, le fait de l’avoir proposée à la table d’un palace plutôt que dans une baraque à frites a renforcé son aura. Ce fut pour moi un vrai tremplin.

Vous êtes donc un Ch’ti qui a réinventé la cuisine niçoise ? Tout à fait, j’ai toujours regardé les plats traditionnels de ce terroir et essayé d’en faire autre chose en travaillant les produits différemment. Et je ne suis pas le seul ! La cuisine méditerranéenne a souvent été réinventée par des Chefs qui venaient d’ailleurs. Louis Outhier qui avait obtenu 3* à L’Oasis de Mandelieu-la-Napoule venait de Belfort, Roger Vergé multi-étoilé ici à Mougins venait de l’Allier, Jo Rostang de La Bonne Auberge à Antibes venait de Grenoble… Les gens d’ici sont comme des enfants gâtés, ils ne réalisent pas forcément la chance qu’ils ont d’avoir tant de beaux et bons produits. Nous, les étrangers, nous sommes arrivés avec un nouveau regard. Je me rappelle de mon éblouissement lorsque j’ai débarqué ici tout jeune, en 1965, et que j’ai découvert le marché du cours Saleya ou celui de la Condamine à Monaco. Je croyais rêver, je n’avais jamais vu ça de ma vie. Une telle profusion de saveurs, de couleurs… Il n’y avait pas ça dans le Nord-Pas-De-Calais. Bien sûr, c’était inspirant. J’ai voulu sublimer toutes ces ressources à ma façon.

On évoque souvent votre insatiable inventivité. Quelles sont vos sources d’inspiration ? Le produit bien sûr. Mais parfois aussi, des rencontres. Lorsque je travaillais au Negresco par exemple, j’ai côtoyé pas mal d’artistes, dont mon ami César, qui m’a inspiré. Comme lui, j’ai voulu faire une compression. J’ai choisi l’agneau, et j’ai eu l’idée de le travailler à la façon d’un tian de légumes. Un plat était né : «Le tian d’agneau». La créativité est une vraie démarche, une envie. Tout au long de ma carrière, je me suis creusé pour essayer de sortir des sentiers battus, c’est ce qui me plaît, ce qui me fait vibrer.

Vous êtes aujourd’hui un maître pour toute une génération de jeunes cuisiniers… Quels étaient vos modèles au début de votre carrière ? À 20 ans, j’avais comme idoles Paul Bocuse, Jacques Troisgros, Jean Delaveyne, Roger Vergé … À l’époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux, alors je suivais ce qu’ils faisaient grâce aux bouquins spécialisés, aux pages « cuisine » des magazines féminins. Je regardais à la télévision la première émission culinaire française «Art et magie de la cuisine» avec le Chef Raymond Oliver qui répondait aux questions de la présentatrice Catherine Langeais. Quinze ans plus tard, je suis rentré dans la grande cour au Negresco, et toutes ces idoles de ma jeunesse sont devenus des amis.

Vous avez justement côtoyé une de vos idoles, Roger Vergé, au Moulin de Mougins… Quel souvenir gardez-vous de cette époque mouginoise ? Après avoir travaillé sur la Côte d’Azur en 1965, je suis remonté dans le Nord. Au début des années 1970, je travaillais pour le palace l’Hermitage à la Baule, mais je souhaitais revenir dans le Sud. Mon Chef m’a alors proposé de m’aider à rentrer chez Vergé qui faisait ses débuts au Moulin de Mougins. Je n’ai pas réfléchi longtemps. Je suis arrivé en 1972, l’année de sa seconde étoile. Nous étions 25 cuisiniers avec un Chef de cuisine qui donnait les instructions de Roger Vergé. Lui était très occupé en tant que patron et Chef, il voyageait beaucoup avec Paul Bocuse et Gaston Lenôtre, nous ne le voyions pas tout le temps. Très vite cependant, j’ai constaté qu’il réalisait une cuisine très personnelle, cela m’a conforté dans le sentiment qu’il fallait pratiquer une cuisine d’auteur, avec une identité propre. C’est l’enseignement fort que j’ai gardé de cette expérience.

Aujourd’hui vous revenez à Mougins en tant qu’invité d’honneur du festival «Les Étoiles de Mougins». Que ressentez-vous ? Comment définiriez-vous ce festival ?
Je suis très heureux d’être l’invité de ce fabuleux festival placé sous le signe des rencontres, dans un lieu qui a une riche histoire culinaire. C’est presque un pèlerinage pour nous les Chefs de venir dans ce merveilleux village qui a compté dans l’histoire de la gastronomie française, notamment grâce à Roger Vergé. Le festival n’a rien à voir avec les grands salons professionnels et commerciaux. C’est un lieu de convivialité, d’échanges, d’hommage à ceux qui ont fait avancer l’histoire de la cuisine… Je suis d’autant plus honoré d’être l’invité de cette 14ème édition qu’elle est dédiée à une thématique qui m’est chère : les Meilleurs Ouvriers de France.

En 1979, vous-même avez remporté le concours de Meilleur Ouvrier de France – Cuisinier… Quel souvenir gardez-vous de ce concours ? Quel rôle a joué cette distinction dans votre carrière ? J’ai toujours eu en ligne de mire ce concours, synonyme d’excellence. C’est pour moi l’équivalent d’un titre de champion du monde en Formule 1 ! C’est la plus haute distinction professionnelle qui puisse y avoir dans le métier de cuisinier. Lorsque j’ai travaillé chez Roger Vergé, celui-ci venait de l’obtenir, alors j’ai eu le temps de discuter avec lui, de bien analyser le savoir-faire, les compétences qui étaient nécessaires. En 1976, je me suis présenté, la même année que Joël Robuchon. Lui est passé, pas moi. Mais je n’avais pas dit mon dernier mot. En 1979, alors que j’étais au Negresco, j’ai de nouveau tenté ma chance. Je me sentais plus confiant, plus serein, j’avais plus de liberté dans ma cuisine, et j’ai décroché le précieux titre. Celui-ci renforce peut-être un peu la considération que vos pairs ont pour votre travail, cela vous conforte dans votre position, mais je ne l’ai pas fait pour ça. C’était un défi personnel pour voir jusqu’où j’étais capable d’aller, mais pas question de me reposer sur mes lauriers par la suite !

Aujourd’hui, vous comptez parmi les pilotes du concours des MOF ? Quel niveau d’exigence traduit-il ? Le concours a bien évolué depuis mon époque. Aujourd’hui, il faut déjà répondre à 60 questions pointues sur le métier de cuisinier et des thèmes liés. Il y a une évaluation d’anglais et deux grandes épreuves de demi-finale et finale. C’est très exigeant. Mais aussi plus créatif, avec des thématiques libres où l’on veut voir le candidat s’exprimer pleinement et nous donner sa vision contemporaine de la cuisine classique.

Vous avez obtenu deux étoiles Michelin, deux ans seulement après votre arrivée au Negresco en 1978, un exploit ! Racontez-nous… Quand le patron d’un palace tel que le Negresco vous confie les rênes des cuisines à 30 ans, vous avez un sacré challenge à relever. Alors quand commencent à tomber une étoile, puis deux, forcément vous vous dites : OK, mission accomplie, je suis sur la bonne voie. C’est une très grande joie, une fierté pour les équipes. Et vous remerciez ceux qui vous ont fait confiance, qui vous ont donné les moyens d’aller au bout vos ambitions car c’est une des clés de la réussite. Lors de la première étoile, je me souviens d’une réunion dans un salon, où tout le personnel applaudit et où la patronne Mme Augier prononce un discours de circonstance. Lors de l’obtention du second macaron, ce fut encore plus grandiose. Mais là, ce n’est plus la même chose. On entre vraiment dans la cour des grands, il faut garder les pieds sur terre. On commence à ressentir de l’angoisse, va-t-on réussir à garder ces deux étoiles ? Car c’est bien cela le plus difficile, les garder…Et puis la troisième est désormais dans le viseur, les patrons commencent à y croire, vous aussi, mais peut-on y arriver ? Tout cela est à la fois fabuleux, déstabilisant et motivant.

Lors de cette 14ème édition des Étoiles de Mougins, vous présiderez également le jury de l’emblématique «Concours Roger Vergé – Jeune Chef», qu’attendez-vous des candidats ? Alors là, nous leur donnons simplement un thème et nous les laissons complètement libres, nous voulons voir ce que la nouvelle génération a vraiment dans les tripes. Nous allons juger l’intelligence de la recette, dans sa conception, son imagination, sa technique et bien sûr, le goût.

Depuis quelques années, vous êtes dans une démarche de transmission, à travers vos livres, le consulting, ou encore l’école d’excellence de votre ami Alain Ducasse où vous partagez votre savoir-faire…Vous venez même de remporter le prix de la «Transmission» décerné par le magazine Le Chef. C’est un rôle dans lequel vous vous épanouissez ? En réalité, ce n’est pas nouveau pour moi. J’ai passé mon temps à donner, à transmettre et partager toutes ces recettes griffonnées sur des coins de papier dans des livres ou autres. Ce métier m’a tout donné, alors si je peux rendre et partager en retour durant les années qui me restent à vivre je le fais volontiers et avec beaucoup de passion, c’est dans mon ADN.

Pour conclure, quel est votre regard sur la nouvelle génération de Chefs ? Et l’engouement des Français pour la gastronomie, la profusion de livres et d’émissions de cuisine ? C’est très bien de voir cet intérêt pour la cuisine, mais le risque avec ces émissions, c’est de faire croire à la jeune génération qu’en deux ou trois ans, ça y est, c’est fait, on est arrivé. C’est totalement faux. La réussite nécessite beaucoup de travail, et rien d’autre. Celui qui veut brûler les étapes, il va droit dans le mur. C’est un métier où l’on ne cesse jamais d’apprendre. Moi-même, aujourd’hui encore je me nourris de nouvelles choses. On n’est jamais arrivé en réalité. Les Chefs qui émergeront à l’avenir seront ceux qui auront la force et la patience d’apprendre. Puis de poser leur empreinte. Rien d’autre.

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