Marc Veyrat au magazine Le Point : « Je suis en dépression depuis le 20 janvier. J’ai l’impression que mes parents sont morts une deuxième fois. »

24 juin 2019  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens Cette quête insensée des étoiles fait parfois perdre toute notion de réalité à certains chefs, ça semble être le cas avec Marc Veyrat. Les étoiles Michelin sont-elles aussi importantes que ce que l’on veut bien le dire ? Quelle valeur peuvent avoir ces étoiles par rapport à une vie, une famille ou au bonheur ?

À bientôt 70 ans comment peut-on encore se raccrocher à des choses aussi éphémères que les étoiles Michelin ? N’y a t’il pas des choses plus importantes dans une carrière de chef ?

 Le journaliste au magazine Le Point THIBAUT DANANCHER a échangé avec le chef Marc Veyrat après la perte de sa troisième étoile.

Retrouvez l’article original en cliquant ICI

EXTRAITS

INTERVIEW. Le grand chef, qui a perdu sa troisième étoile en janvier, a pensé à mettre fin à ses jours. Il décidera en septembre s’il rend ses deux étoiles.

« Bonjour, rappelez-moi d’urgence, s’il vous plaît. » C’est par ce très court SMS à l’allure de SOS que Marc Veyrat nous a demandé de le joindre samedi. Le grand chef auréolé dans sa carrière de trois fois trois étoiles au Michelin et de deux fois 20/20 au Gault & Millau avait besoin de parler. Parler de « la perte injuste » de sa troisième étoile un an après l’avoir décrochée à La Maison des bois à Manigod. Au cours de cet entretien téléphonique de trente minutes au Point, la toque de 69 ans nous a soutenu qu’il a été victime d’un coup de « buzz » du Michelin et n’a pas digéré l’entretien qu’il a eu au siège du guide rouge à Boulogne-Billancourt. « On veut me faire retourner au CP », s’insurge-t-il. Confessions d’un homme en dépression qui a eu des « idées noires » et dira en septembre s’il rend ses deux étoiles.

Le Point : Pourquoi avez-vous choisi de sortir de votre silence ?

Marc Veyrat : Je n’osais pas prendre la parole, mais là, ça me paraît vital aujourd’hui. Je suis mal à l’aise face au virage qu’a pris le Michelin. Avant il récompensait l’exceptionnel, maintenant il consacre le sensationnel. Il ne juge plus la cuisine mais tout ce qui tourne autour. Depuis quelques années, il fait même financer dans plusieurs pays étrangers ses guides par les offices de tourisme. Où est l’indépendance ? Je m’inquiète de ce que vont subir nos jeunes chefs en France avec ce système qui n’est plus l’ADN originel du Michelin.

Vous sous-entendez que vous avez été victime de ce changement d’orientation du Michelin avec la perte de votre troisième étoile en 2019…

Accepter de gagner des étoiles, c’est aussi accepter d’en perdre. Je connais parfaitement les règles du jeu et sais pertinemment qu’elles ne sont pas attribuées à vie. Je n’ai aucun problème avec ça. J’ai déjà rendu mes trois étoiles en fermant mon Auberge de l’Éridan à Veyrier-du-Lac, en 2009, pour des raisons de santé et j’ai très bien vécu sans. Le retrait de ma troisième étoile cette année à La Maison des bois à Manigod a été un coup de « buzz » monumental pour le Michelin, qui est déconnecté de la réalité, en perte de vitesse, et ne vend plus beaucoup de guides papier en France. Rétrograder Veyrat, c’est tellement porteur ! Certains de mes confrères m’assurent que j’ai aussi payé au prix fort d’avoir refusé de porter la veste du Michelin à la cérémonie 2018 à Paris lorsque j’ai décroché ma troisième étoile.

Il s’est forcément passé quelque chose au niveau de l’assiette pour que le Michelin vous fasse passer de trois à deux étoiles…

J’ai sollicité un rendez-vous au siège à Boulogne-Billancourt. J’ai été reçu avec ma compagne pendant une heure trente le 12 mars à 9 heures par Gwendal Poullennec, le directeur monde des guides Michelin, qui était assisté d’un de ses collaborateurs. Quand je lui ai demandé pourquoi j’avais perdu ma troisième étoile, voilà les deux justifications qu’il m’a avancées : « Vous mettez dans un de vos plats une simple tranche de cheddar. Nous avons également trouvé que votre saint-jacques était cotonneuse. » Je suis resté bouche bée, car, d’une part, ce n’est pas du cheddar mais une préparation très technique à base de beaufort que j’utilise dans un de mes classiques baptisé Le torchon disparaissant de Mémé Caravis ; d’autre part, il est impossible que ma saint-jacques soit cotonneuse car je la fais cuire dans une coque de fruits de la passion. Comment peut-on avoir autant de pouvoir en étant aussi incompétent  ? J’ai eu en face de moi un amateur. Je me suis levé pour quitter la pièce et il est revenu me chercher au moment où j’allais passer la porte du bureau. La nouvelle direction du Michelin n’a pas le niveau d’un Bernard Naegelen (NDLR, directeur du guide Michelin jusqu’en 2000).

N’avez-vous pas digéré cette entrevue ?

Je ne la digérerai jamais. Je suis persuadé que le Michelin n’est pas venu me contrôler à La Maison des bois. Aucun inspecteur ne m’a présenté sa carte. J’ai demandé des preuves d’additions. On m’a répondu que ça ne se faisait pas déontologiquement. Si le Michelin n’a rien à dissimuler, pourquoi ne me fournit-il pas des factures ? Qu’il le fasse, et après on pourra discuter. J’ai ressenti de l’arrogance et un manque d’humanité à mon encontre. J’ai près de 70 ans, j’ai plus de cinquante ans de cuisine derrière moi, j’ai formé de nombreux chefs devenus étoilés et on veut me faire retourner au CP. On n’enlève pas la troisième étoile à Marc Veyrat, interdit ! On peut me la remettre, la douleur restera éternelle et indélébile. Le Michelin ne pourra jamais réparer le mal terrible qu’il m’a fait.

Vous estimez que le niveau de votre cuisine n’a pas baissé…

…/… pour retrouver l’article en intégralité cliquez ICI

Dans quelles circonstances avez-vous appris la perte de votre troisième étoile ?

Ma compagne a reçu sur son portable le dimanche 20 janvier à 19 h 54, la veille de la cérémonie du Michelin, un SMS de la part du directeur monde : « Bonjour Monsieur Veyrat, je vous adresse mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. Auriez-vous la possibilité de me rappeler lorsque vous avez ce message, s’il vous plaît ? Sincère salutation, Gwendal Poullennec, le guide Michelin. » Je dormais après avoir effectué mon dernier service de la semaine le dimanche midi. Ma compagne m’a réveillé. J’ai joint Gwendal Poullennec, qui m’a annoncé la mauvaise nouvelle par cette phrase laconique : « Nous sommes dans l’obligation de vous retirer une étoile. » C’était surréaliste. Par SMS il me souhaitait ses meilleurs vœux pour l’année 2019 et par téléphone il m’annonçait que je perdais ma troisième étoile. Ça m’a choqué !

Est-ce que cette rétrogradation a eu une conséquence sur votre activité ?

Non, pas du tout ! Bien au contraire. Mon chiffre d’affaires est même en hausse de 10 % par rapport à l’année dernière.

Comment vous portez-vous cinq mois après le retrait de votre troisième étoile ?

Je suis en dépression depuis le 20 janvier. J’ai l’impression que mes parents sont morts une deuxième fois. Vous imaginez la honte que j’éprouve : je suis le seul chef de l’histoire à avoir décroché une troisième étoile et l’avoir perdue l’année suivante. Tous les matins, je me réveille avec ça en tête. Je suis à bout, j’ai du mal à dormir, je ne mange quasiment plus, je pleure, je fais des malaises. J’ai dû faire une cure pour me soigner et je prends des médicaments. J’ai eu des idées noires. J’ai envisagé le pire. Ça m’est passé par la tête à plusieurs reprises. J’ai voulu rejoindre mon copain Bernard Loiseau là-haut. Ma compagne a eu peur, elle a caché mes cachets, mes fusils de chasse… Si je suis encore là, c’est grâce à elle et au soutien de mes quatre enfants.

Envisagez-vous de rendre vos deux étoiles ?

Plusieurs chefs m’ont encouragé à le faire. Si je les rends, je serai totalement libéré. Je me donne l’été pour y réfléchir et je prendrai ma décision en septembre.

FACEBOOK TWITTER
VOTRE CLASSEMENT
  • Je suis fan (67%)
  • Mmmm interessant (22%)
  • Inquiétant (11%)
  • Amusant décalé (0%)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *