« La forme de l’eau », une romance qui naît grâce à des œufs – un film de Guillermo Del Toro

11 mars 2018  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens « La forme de l’eau », une romance qui naît grâce à des œufs  – Dire que la nourriture rassemble et unit, ce n’est pas un vain dicton. Dans « La Forme de l’eau », film de Guillermo del Toro tout juste couronné de quatre oscars, la romance aquatique (et follement poétique) qui se développe au long du film prend naissance grâce à des… œufs. Comme quoi, partager des aliments, ça crée du lien.

Pour ceux qui n’auraient pas vu le film, il relate l’histoire d’amour (passionnée et passionnante) entre Eliza, femme de ménage muette et réservée, et une créature marine à forme humaine, prisonnière du laboratoire gouvernemental ultra secret dans lequel Eliza travaille. Sur fond de guerre froide entre les États-Unis et les Soviétiques, une romance improbable croît inexorablement entre ces deux protagonistes, l’un comme l’autre privés de paroles, et pourtant tellement prolixes dans l’art de communiquer. Pour entrer en contact avec le mystérieux homme-poisson, Eliza prend ses repas à ses côtés, s’asseyant quotidiennement sur le bord du bassin dans lequel il est retenu enchaîné. Quant à son premier geste d’interaction avec l’amphibien humanoïde, il se fait par le biais d’un œuf, qu’elle dépose sur le bord du bassin à son attention. Par ce geste sans parole, tout est dit : elle ne lui veut aucun mal (la créature est sur ses gardes, car par ailleurs torturée par un sombre anti-héros aussi cruel que borné, l’infâme Strickland.)

Ainsi la « romance sans paroles » (Verlaine) prend-elle son essor, tandis qu’en arrière-plan, la tension gronde en crescendo dans le laboratoire secret, qui prévoit de supprimer l’homme-poisson. Si l’on taira ici le dénouement du film, on retiendra en revanche le rôle que la nourriture et les repas prennent dans la progression du conte, rapprochant sans cesse plus avant ces deux êtres jusqu’alors voués à leur solitude.

L’importance déterminante de la nourriture se retrouve également du côté d’un autre personnage important du film, Giles, ami et confident d’Eliza. Lui se retrouve régulièrement à devoir ingurgiter des parts de tarte de couleur verdâtre, qui n’allurent rien de bon, et n’exhalent que la chimie d’un colorant particulièrement tenace. Mais voilà : si Giles mange de cette tarte (en se forçant), c’est parce qu’il est amoureux du barman la servant. L’affaire tournera court ; comme si, finalement, une mauvaise tarte augurait d’un mauvais type (le barman s’avère être un infect raciste homophobe), et donc d’une impossible histoire. Les œufs qu’Eliza prépare étant au contraire sains, nourrissants, donc symboliques de vie (et d’éclosion possible d’une histoire). On peut tout conclure.

Si Giles est éconduit par le serveur et ses tartes, ce sont les sandwichs qu’Eliza lui prépare qui l’aident à vivre, sans lesquels il avoue qu’il mourrait sans doute de faim. Des sandwichs qui viennent maintenir leur lien, nourrissant leur amitié au sens propre comme au figuré.

Strickland, le sadique directeur de laboratoire, a quant à lui maille à partir avec la nourriture. Il ne mange pas (on ne le voit qu’une seule fois attablé, devant un plat qu’il s’apprête à manger seul, donc hors partage et hors-jeu de la convivialité coutumière d’un repas). Tout ce qu’il fait en terme d’absorption d’un contenant, c’est de croquer à tout-va des bonbons de couleur verte (même couleur chimique que la tarte citée ci-dessus), à un rythme de plus en plus accéléré et soutenu, et de plus en plus effrayant. En parallèle, il avale frénétiquement des médicaments, parfois sans eau. Ça en dit long sur le caractère déréglé du personnage, qui ne s’alimente pas correctement, échappant résolument aux repas et à leur dimension de partage. (Des détails non anodins dans la narration du réalisateur, qui en révèlent beaucoup sur les personnages, fonctionnant comme autant d’indices dévoilant qui ils sont vraiment.)

Un quatrième personnage important du film présente à son tour sa relation à la nourriture. C’est Zelda, la collègue de travail d’Eliza, qui parle constamment de cuisine, et qui se montre par ailleurs très maternelle avec Eliza. Comme si, finalement, il y avait un lien implicite entre cette façon qu’elle a de prendre soin d’Eliza, et cette cuisine soignée et généreuse qu’elle prépare quotidiennement pour son mari (par ailleurs un pauvre type mal dégrossi, qui mange les bons plats de Zelda mais qui « ne dit jamais merci ».) Bref, derrière le côté un peu simpliste et un brin cliché du parallèle, une vérité scintille : cuisiner pour les autres, c’est faire preuve d’un bon cœur (que ce soient des hommes ou des femmes qui cuisinent, d’ailleurs.)

Enfin, le professeur Hoffstetler, touchant scientifique soutenant la cause de l’homme-poisson, ne reste en vie en tant qu’espion russe que tant que son référent (ou chef de réseau) prend des repas lorsqu’ils se retrouvent, ou que son acolyte mange du gâteau. Leur ultime rencontre finit mal – il n’y a pas, cette fois, de repas ou d’en-cas, comme lors des rencontres précédentes. Pas de repas, pas de vie, donc.

Outre ce rôle de personnage que l’alimentation épouse dans le film, laissez-vous transporter par l’univers entêtant de ce conte, porté par une bande-son magnifique, et par un romantisme échevelé. Un conte où le monstre n’est pas celui qu’on croit, et où l’amitié comme l’amour sont les seuls facteurs de salut. On vous le recommande.

Par Anastasia Chelini

Bande annonce du film : https://www.youtube.com/watch?v=e5AW-_ZPpDg

FACEBOOK TWITTER
VOTRE CLASSEMENT
  • Je suis fan (100%)
  • Mmmm interessant (0%)
  • Amusant décalé (0%)
  • Inquiétant (0%)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *