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Li Ziqi et son Eden sichuanais

26 avril 2019  2  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensDevant les réalisations du génie artistique chinois, mélange d’ingéniosité et de bon goût, il m’arrive souvent de me demander : « Comment font-ils ? » Pour la cuisine, les thés, j’ai déjà reçu des réponses. Très peu, en fait, comparé à un univers de connaissances que je n’aurai jamais, à un si grand pays et à des cultures si variées.   

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Li Ziqi a fabriqué de ses mains son four à bois en argile. Elle lui a fait deux cheminées en forme d’oreilles de chat. Il apparaît souvent dans ses vidéos. Ici, elle y fait rôtir des cerises au sucre.

C’est pourquoi j’admire le courage de l’auteur culinaire anglaise Fuchsia Dunlop, qui a appris le chinois pour comprendre la cuisine chinoise. « La prolifération des langues régionales, écrit-elle, est très frustrante pour l’étranger qui apprend le chinois. On peut potasser son mandarin et s’initier un tant soit peu à quelques dialectes locaux, mais dès qu’on s’aventure dans une autre région, on ne comprend pas un traître mot de ce que les gens se disent entre eux. Pourtant, quand il s’agit de cuisine, cette extraordinaire diversité régionale est une bénédiction : plus on se penche sur ce qu’on a coutume d’appeler cuisine chinoise, plus celle-ci grandit et se ramifie, comme une image fractale conçue sur ordinateur. »

Confit de pamplemousse au miel, remède traditionnel contre les refroidissements, par Li Ziqi.

Lors de mes nombreux voyages en Chine, j’ai beaucoup appris sur la cuisine, sur la préparation de certaines denrées, sur les thés, sur la fabrication d’objets traditionnels. Dans le Fujian, j’ai vu fabriquer des plateaux en lamelles de bambou tressé pour sécher les feuilles de thé. Visitant une fabrique de tables à thé, j’ai vu des hommes ciseler le bois en forme de dragons, de poissons et de vagues déchaînées sans le moindre plan ou croquis. Chez A Dai, dans les montagnes du Zhejiang (voir cet épisode et les sept précédents), j’ai assisté au pressage de l’huile de théier, au séchage des canards. En Guangdong, à Feng Huang, j’ai vu des hommes rouler des feuilles de thé fraîches entre leurs pieds nus, à l’ancienne, et j’ai contemplé, entre 4 heures et 8 heures du matin, dans une maison du XVIIe siècle, toutes les étapes de fabrication du doufu local. J’espère que ce n’est pas fini. Mais hors de ma présence en Chine, peu de gens m’ont autant appris que Li Ziqi.

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Li ZIqi fait ses meubles en bambou toute seule.

Li Ziqi est une jeune blogueuse vidéo chinoise qui a trois millions d’abonnés sur sa chaîne Youtube, plus de deux millions sur sa page Facebook et une quantité astronomique sur Weibo (le Youtube chinois). Une star, peut-on dire. Mais elle mène une vie relativement retirée, celle-là même que dépeignent ses vidéos tournées dans le Sichuan rural. Et le cinéma, encore moins Hollywood, ne s’est pas encore intéressé à elle. Tant mieux : pour une fois qu’une « influenceuse », et pas des moindres, transmet quelque chose d’authentique, un monde de douceur, de paix, de créativité et d’harmonie avec la nature au lieu de quémander des nuits d’hôtel et d’étaler sa superficialité sur Instagram, on a envie que ça dure le plus longtemps possible. Une influenceuse ermite : vous saviez que ça existait ?

Soupe sucrée à la gomme de pêcher, excellente pour le teint. Par Li Ziqi.

Les vidéos de Ziqi sont toutes tournées autour de la ferme où elle vit avec sa grand-mère. Leur durée varie entre quatre et sept minutes. Chacune la dépeint, en vêtements traditionnels ou en robe mousseuse, occupée à une préparation culinaire ou à la fabrication d’un objet, au fil des saisons : soupe de gomme de pêcher au début du printemps, pêches au sirop en été, tout un salon en bambou fait de ses propres mains à partir de la bambouseraie voisine, avec canapé à deux places, tabouret, table basse et lit de repos. On la voit couper à la machette de larges tiges de bambou vert, les charger sur ses frêles épaules, et quelques minutes plus tard, le mobilier est prêt, jusqu’aux coussins brodés, et la grand-mère s’y assoit en mangeant des gâteaux. Ikea peut aller se rhabiller.

Ziqi fabrique des meubles en bambou vert parce que, dit-elle, « les canapés du commerce sont à dix mille yuan ».

Mais à aucun moment ce n’est du chiqué : chaque étape de la fabrication est parfaitement décrite, de la taille à l’assemblage en chevilles de bambou, et jusqu’au passage des tiges au feu pour les courber. Tout est si détaillé qu’à la fin de la vidéo, on se dit qu’on pourrait le faire. De même, les recettes de cuisine (pour peu qu’on reconnaisse les ingrédients) sont de véritables petits modes d’emploi auxquels aucun élément ne manque.

Haricots longs séchés et en pickle, pieds de porc braisés.

Tout, de la cuisine au bricolage, est fait à partir d’éléments que Ziqi va chercher dans la nature qui l’entoure, accompagnée de ses chiots et d’un agneau. Le reste provient de son verger, de son potager ou de son jardin fleuri.

li ziqi

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Des cerises de son verger, Ziqi fera trois préparations : cerises macérées à l’alcool de riz, confiture de cerises et cerises rôties au four.

Outre le charme que dégage chaque vidéo, Ziqi, mine de rien, est en train de créer une véritable encyclopédie des artisanats traditionnels chinois, de la menuiserie de bambou aux cosmétiques maison (cire d’abeille de ses propres ruches, hibiscus séché, roses parfumées) en passant par la teinture pour tissus aux peaux de raisin ou la couvaison de canetons par des poules. C’est aussi un manuel d’autosuffisance rurale qui peut servir ailleurs qu’en Chine. Ajoutons à cela l’ancienne notion chinoise de piété filiale, manifestée par les soins tendres attentifs que la jeune Ziqi prodigue à sa grand-mère.

Vous vous êtes toujours demandé comment on fait le doufu (tofu) à base de soja frais ? Démonstration complète, avec en prime la célèbre recette sichuanaise du mapo doufu.

Parfois, un éclair de modernité — iPhone, Macbook Air — traverse l’écran, nullement perturbant tant cette jeune femme incarne une vie intemporelle, intensément vécue au présent, sans souci de progressisme ni de passéisme. Il y a là un secret de l’âme chinoise qui se rend visible : une culture du temps cyclique, saisonnier, une certaine façon de se mettre en accord avec l’éternité. En toute honnêteté, parler de « cours de taoïsme » (pour qui a des yeux pour voir et un cœur pour sentir) n’est pas excessif.

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Une bonne méthode pour dénoyauter des cerises : les enfiler sur un bâtonnet. Les noyaux tombent tout seuls et l’on peut dénoyauter une dizaine de cerises à la fois. Vous noterez en passant que quand Ziqi fabrique des meubles en bambou, ce n’est pas de la frime : elle se donne vraiment des coups de marteau sur les doigts.

C’est que toute cette scène bucolique ne repose pas sur une mode, un caprice narcissique ou un désir de faire joli, bien que la vidéaste ne perde pas une occasion d’embellir l’image par une fleur dans un coin et que ses longues tresses et ses chignons soient toujours impeccables. Li Ziqi a eu une vie avant de se retirer dans les monts du Sichuan, où elle est née. Son enfance fut douloureuse. À peine ses parents divorcés, elle était orpheline. Quand elle eut quatorze ans, sa grand-mère, qui l’élevait, tomba malade et Ziqi dut quitter l’école. Plus tard, elle fut DJ dans un bar. Elle ouvrit aussi une boutique en ligne pour vendre ses créations, mais c’est par ses vidéos que le succès lui vint réellement. Elle prit donc ce chemin pour ne plus le quitter, vivant à la fois dans la solitude et en contact avec des millions d’internautes.

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Au menu ce soir : pieds de cochon braisés aux haricots verts séchés.

Ses vidéos claires et bien cadrées, admirablement montées, semblent issues de techniques sophistiquées. En réalité, tout est filmé à l’iPhone, par elle seule dans les premiers temps, l’appareil posé sur un pied. À présent, elle a une petite équipe d’assistants, mais l’attrait visuel et la grâce rustique de ses films n’ont pas changé.

Vous pouvez découvrir les magnifiques vidéos de Li Ziqi sur sa chaîne Youtube. 
Ainsi que sur sa page Facebook.
Et, si ça vous dit, sur son compte Weibo

À la petite cuillère
Textes : Sophie Brissaud
Toutes photos et vidéos © Li Ziqi.

 

 

 

 

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2 réflexions sur « Li Ziqi et son Eden sichuanais »

  1. gisele

    bonjour sophie merci pour la traduction je viens de vous découvrir et j espère que pour toutes ces videos nous aurons les textes en français ou en anglais cordialement sisu

    Répondre
  2. Raphaelle

    Bonjour,
    C’est un très bel article. J’aime beaucoup Li Ziqi. Je trouve son mode de vie tellement inspirant ! Je cherche partout à connaître les noms de ses ustensiles, ingrédients et modes de cuisson qui me font juste rêver et que j’aimerais bien reproduire chez moi autant que faire de peut (quitte à cuisiner au bois, autant ne pas investir 10000€ dans une cuisinière à bois qui finalement aura une utilisation limitée !). Si vous avez des pistes je suis preneuse ! En tout cas merci beaucoup pour cet article que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire.

    Répondre

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