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Aspic (Paris), merveilleux gastro de poche

12 novembre 2016  0  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensPour escalader les contreforts de la butte Montmartre un soir de novembre sous une pluie battante, il faut avoir une bonne raison. La raison s’appelle Margaret et Chuck. Margaret et Chuck sont un couple de Californiens adorables dont j’apprécie autant l’amitié que le palais. Ce sont des gens qui savent manger et n’apprécient rien tant que la sincérité, la simplicité et l’honnêteté des goûts et des produits, de préférence aux étoiles Michelin et aux raffinements haute cuisine. Et quand Margaret dit du bien d’un restaurant qu’elle vient de découvrir, je ne prends pas l’info à la légère. Aspic est une de ces adresses. Merci, Margaret : bonne pioche.

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Aspic comme le plat traditionnel en gelée ; aspic comme la vipère, celle qu’on garde dans un bocal de gnôle dans les campagnes reculées et dont Cléopâtre s’est servie pour rejoindre l’autre monde. Aspic, enfin, comme l’as de pique imprimé sur la carte de visite. C’est une petite salle de vingt-deux couverts simplement décorée, chaleureuse et accueillante. Du goût sans ostentation : joli carrelage bleu et noir, tables en bois patiné, confortables banquettes. « Restaurant gastronomique à taille humaine », lit-on sur la page d’accueil du site web. Pesez bien ces mots : ça veut dire gastro sans grosse brigade, sans pingouins, sans star chefs qui prennent le melon, sans carte bancaire qui fond, et pour l’instant sans étoile ni destination diners. Si vous essayiez, pour changer ?

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Ouvert seulement le soir, Aspic le gastro repose sur six épaules : celles d’un chef, d’une pâtissière et d’une serveuse. Le chef, Quentin Giroud, a plaqué une carrière dans la finance pour faire l’école Ferrandi et vivre sa passion de la cuisine. Il passe ensuite à L’Épi Dupin, puis dans les cuisines du ministère des Affaires étrangères. Après un passage qu’il dit très formateur au Comptoir de Brice, le restaurant de Brice Morvan au marché Saint-Martin (désormais fermé), il travaille ensuite à Londres, au Clove Club, avant de rentrer à Paris et d’ouvrir Aspic en février 2016. Quentin est un chef surdoué, il respire la cuisine, l’incarne jusqu’au bout des doigts, fait preuve d’une inspiration presque médiumnique : c’est un natural, comme on dit outre-Atlantique. Mais il n’aime pas les grosses machines. Il aime les affaires à taille humaine (voir plus haut). Cela donne des assiettes fines, impeccables et de très haut niveau dans un lieu qui respire la simplicité et le bien-être.

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Voilà une carte des vins qu’on examine, qu’on relit, qu’on demande à garder à table (alors que l’unique serveuse a déjà versé un verre de malvoisie de Slovénie, vin blond et croquant réalisé en biodynamie, traversé de jolies ondes de fleur de tilleul). Le chef l’a composée autour des vins bio et nature, mais en évitant les erreurs des derniers. Le choix s’évade volontiers des frontières françaises (Autriche, Slovénie, Italie) et cohabite avec des rhums rares, des whiskys originaux (bretons, lorrains, corses, alpins) et — carrément — un bar à gin-tonic.

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Quelques lamelles de pancetta au poivre, accompagnées de beurre au combava, ouvrent les réjouissances.

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Velouté de potimarron. Oui, je sais, il est partout. Entre la mi-octobre et la fin de la saison des courges (et c’est long, la saison des courges, vous savez ?), tout repas bistronomique ou gastronomique commence par un velouté de potimarron ou de butternut. Mais celui-ci est traité comme une petite pièce d’orfèvrerie : huile de noisette, amandes, beaufort et poivre. Ça commence bien.

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Et ça continue fort : poulpe tiède tendre et fondant, jus de betterave, oxalis, pickle d’oignon, purée de noix de cajou, huile d’olive. Savoureuse petite assiette superbement architecturée et harmonisée, on en entendrait presque la musique. Chaque morceau de poulpe est assorti de son petit tas de purée de cajou : le chef l’a fait exprès. La quantité suffisante, c’est important pour lui.

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Du carrelet ! Eh oui. J’aime le bar, le cabillaud et le turbot autant qu’une autre, mais je n’aime pas moins ces poissons pas chers, iodés et si rarement servis parce que pas assez chics : carrelet, maquereau, vive, mulet… Le chef a lu dans mes pensées : non seulement il cuisine aujourd’hui l’un de mes poissons préférés, mais il l’a préparé comme je l’aime : croustillant, rôti sur la peau. « J’aime ce type de poisson, dit-il. Il me permet de faire des cuissons à l’ancienne : fariner, saisir, rissoler, beurrer, arroser… » Avec ça, purée de brocoli aérienne, coques et pop-corn de câpres (vous avez bien lu).

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Intermède légumier original, cette tranche de céleri-rave est traitée comme une viande rôtie, pour elle-même : chips de châtaigne, noisettes, shiitake, jus de légumes réduit, pousses de moutarde et chou-fleur romanesco râpé cru sur le tout. Comme ce qui précède, cet arrangement de goûts et de textures est délicat, symphonique, délectable.

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La viande se profilant à l’horizon, on va opter pour un verre de rouge. Ce sera bizona, un vin de Salento (Pouilles) ainsi nommé parce que la vigne est plantée sur deux expositions. Il est issu à cent pour cent de l’antique cépage negroamaro, rarement traité en monocépage. Joli vin à l’ancienne, frais, droit et distingué dans sa robe sombre, doté en fin de bouche de séduisantes notes amères.

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Bœuf de Galice, tétragone, purée de panais (Quentin a un de ces talents pour les purées…), pleurotes. Je me fais un peu gronder parce que je ne mange pas le gras de cette viande impeccable et soigneusement maturée, mais je ferai mieux une autre fois. Je suis encore en jetlag et ma limite est vite atteinte.

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Après ça, ces deux éclats de mimolette vieille arrosés de vinaigre balsamique réduit réveilleraient un mort et préparent le palais au dessert.

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Millefeuille nuageux à la crème diplomate vanille et au caramel. Ai-je besoin d’une plus ample description ou la photo suffit-elle ? Les morceaux de caramel beurré sont le petit détail qui change tout.

Et maintenant, la grosse surprise : combien croyez-vous que j’aie payé pour un tel festin ? Combien estimeriez-vous débourser si l’on vous servait cela dans une adresse chicos et médiatiquement célébrée ? Cessez de lire, n’allez pas plus loin. Dites un chiffre et allez voir la solution au paragraphe suivant.

Aspic – 24, rue de la Tour-d’Auvergne, Paris IXe. Tél. 09 82 49 30 98 et réservations en ligne sur le site. Ouvert le soir seulement, du mardi au samedi, de 19 heures à 22 h 30, autour d’un menu dégustation unique de six plats (+ amuse-bouche) à 43 €. Eh bé !

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

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