Gault & Millau – Entretien avec le nouveau Directeur Général Zakari Benkhadra : « Je vais d’abord être à l’écoute des équipes, analyser le expériences et même les échecs. »
Gault & Millau traverse une tempête sans précédent, racheté en janvier 2019 par un groupe familial russe et en pleine crise sanitaire actuelle, le remplacement du Directeur Général Jacques Bally fort apprécié par les chefs a mis a jour une situation complexe. L’arrivée de Zakari Benkhadra va t-elle permettre de redresser la situation ? Le nouveau DG y croit fortement, sa mission sera compliquée, mais l’homme est un redresseur d’entreprise, il dispose de nombreux réseaux et de l’appui du nouveau propriétaire.
F&S lui a posé quelques questions …
Zakari Benkhadra – Formé à la gestion, il commence sa carrière dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration (Hyatt Hôtel). Puis il se dirige vers la marketing et le conseil (Young & Rubicam). Il poursuit sa carrière dans l’univers de lifestyle (Souleiado). Curieux, prolixe, efficace et visionnaire, il navigue entre le Groupe Vivendi, la direction du développement de Paris Expo, puis la Direction Générale de Saint Clair le traiteur. En 2007, Zakari Benkhadra rejoint Alain Ducasse et prend la tête d’Alain Ducasse Education. Il développe activement la stratégie de la filiale et son image. Membre du COMEX, après avoir redressé la structure, créé le 1er Master de Pâtisserie Française, fédéré plus de 35 nationalités il quitte la structure en 2014 en laissant derrière lui un bilan irréprochable. Il conseille alors et accompagne les plus grands acteurs de la gastronomie et créé le Salon de la Pâtisserie. En 2018, Zakari fonde l’Institut Culinaire de France dont il structure l’ingénierie pédagogique et les partenariats institutionnels. C’est aujourd’hui fort d’une expérience globale et fédératrice qu’il s’attable pour diriger Gault & Millau.
Nous avons discuté avec un homme ambitieux qui répond avec du sourire dans la voix et une belle humeur contagieuse. Un patron qui connait les acteurs de la gastronomie, chefs, producteurs, directeurs et veut les satisfaire et répondre aux attentes des clients et des lecteurs du guide dont il veut faire avec les propriétaires, le premier guide mondial. Avec le souci de dénicher et accompagner les jeunes talents comme Henri Gault & Christian Millau, au début de l’aventure, qui partageaient leurs coups de coeur pour des restaurants hors des sentiers battus.
Food&Sens – Jacques Bally était un ancien du groupe Ducasse, vous également. Peut-on voir une influence du chef Alain Ducasse dans le Gault & Millau ?
Zakari Benkhadra – Non, absolument pas, Alain Ducasse est un chef parmi les autres, sincèrement il n’a aucune influence sur le Gault&Millau. On lui prête beaucoup de choses, d’actions. Il est un homme d’influence certes et surtout un visionnaire qui sait jouer d’audace pour avancer, faire avancer ses entreprises et ses collaborateurs, et la place de la gastronomie française dans le monde. Il est, contrairement à d’autres, quelqu’un qui fait ce qu’il dit, attentif aux autres, à ses équipiers à qui il donne les moyens de faire.
Food&Sens – Comment passe-t-on de directeur d’école et de centre de formation à DG d’un des guides gastronomiques les plus populaires au monde ?
Zakari Benkhadra – j’ai eu l’honneur de créer cette école avec ambition d’en faire un établissement capable d’égaler les autres grandes écoles pour faire rayonner la technique, le savoir-faire français, l’excellence de la gastronomie française dans le monde.
Je suis aujourd’hui fier, flatté, honoré et remercie le destin de me donner la chance d’intégrer la grande maison Gault & Millau pour lui donner le peps et l’aura qu’elle mérite, lui donner un nouveau souffle, la redynamiser, consolider la confiance des partenaires, des clients des restaurants et des lecteurs du guide. Nous devons nous projeter vers l’avenir, nous mettre à la page, coller aux attentes des clients et lecteurs, aux nouvelles habitudes de consommation, les guider vers le bien-manger. J’ai aussi comme volonté et ambition de révéler et accompagner les jeunes talents comme l’ont fait, dans les années 60, Henri Gault & Christian Millau au début de l’aventure qui partageaient leurs coups de coeur pour des restaurants hors des sentiers battus . j’ai rencontré dernièrement Pierre Gagnaire qui m’a confié « je suis un fils du Gault & Millau »? Henri Gault & Christian Millau m’ont découvert, accompagné pour me développer, monter et éclore, être ce que je suis aujourd’hui. Quel bel hommage…
Food&Sens – Vous reprenez les rênes du guide G&M en pleine crise Covid et dans des conditions d’organisation interne compliquées. Quelle va être aujourd’hui votre principal challenge pour les mois à venir ?
Zakari Benkhadra – Les crises sont des opportunités pour tout mettre à plat, réfléchir. Je vais consulter tous les acteurs du guide -chefs, partenaires, lecteurs, clients – pour repositionner le guide. Il faut ramener dans leurs cuisines les chefs qui s’en sont éloignés, exagérément, les soutenir à former et transmettre, à mettre en place des équipes formées à l’excellence, mais aussi a savoir lâcher quand le moment est venu. Comme l’ont fait Joël Robuchon et Alain Ducasse.
Photos des chefs lors des célébrations des 50 ans du Gault&Millau au Moulin Rouge à Paris avec la création de « L’Académie Gault&Millau«
Food&Sens – Votre propriétaire est un investisseur russe, avez-vous poser vos conditions pour reprendre la machine G&M ? Si oui, lesquelles ?
Zakari Benkhadra – Inutile, Vladislav Skvortsov, sa famille et ses collaborateurs ont en eux l’ADN du guide. Ils sont des gens raffinés, bienveillants qui connaissent parfaitement l’univers de la gastronomie, Leur ambition est de faire du Gault & Millau un guide mondial. Sincèrement. Je n’ai aucun doute sur leur engagement.
Food&Sens – Vous connaissez bien l’univers de la restauration. Que représente pour vous la marque G&M. Pouvez-vous définir ses valeurs ?
Zakari Benkhadra – Une marque assurément, qui représente la contemporanéité de la gastronomie, une marque qui va aller chercher les talents, les découvrir, les faire connaitre, les accompagner vers le succès avec des events, les mettre en lumière dans l’arène complexe et difficile qu’est la gastronomie aujourd’hui.
Food&Sens – Nous imaginons que vous avez repris le guide en connaissance de cause, passage difficile en cette période de crise économiques. Avez-vous établi un plan de bataille ?
Zakari Benkhadra – Pas de plan de bataille, je ne suis pas un guerrier ! Je vais d’abord être à l’écoute des équipes, analyser le expériences et même les échecs. Je vais faire un audit, dans un premier temps des chefs pour savoir ce qu’ils pensent du guide, connaitre leur souhait et leurs attentes. Je vais auditer tous les acteurs du Gault&Millau pour pouvoir prendre les bonnes décisions après connaissance de son état et mûre réflexion.
Food&Sens – En quelques années, plusieurs codes classiques de la restauration gastronomique sont tombés, une nouvelle vision plus libérée s’installe, moins traditionnelle, moins poudrée … Comment voyez-vous ces nouvelles tendances ?
Zakari Benkhadra – Il ne faut pas renier le passé, l’essence même de la gastronomie, les fondamentaux, les origines, l’âme. Oui nous devons changer mais avec intelligence, parcimonie pour aller vers le futur. Nous devons éduquer les milleniums, leur apprendre à aller sur un guide plutôt que Tripadvisor. Nous nous sommes éloignés de la clientèle des restaurants, nous devons être attentifs, à l’écoute des clients qui fréquentent les restaurants invitent et s’invitent. Il faut que le système change, moins de snobisme dans les grandes maisons, la nourriture ne doit pas être snob, je suis anti snob ! je suis aussi anti musée, les établissements doivent bouger, revoir leur manière de recevoir.
Food&Sens – Nous vivons en ce moment une fin de génération de grands chefs, une autre émerge, c’est le sens même de la vie. Les grandes toques s’accrochent, parfois perdent leurs âmes pour continuer à exister. L’an dernier G&M a catégorisé les chefs … allez-vous continuer dans cette voie ?
Zakari Benkhadra – Certains chefs devraient spontanément prendre du recul, laisser les fourneaux pour se consacrer à la formation, à la transmission des valeurs, à la promotion des nouveaux talents et de la gastronomie française. Je ne sais pas encore si ces catégories vont rester, évoluer. Nous devons d’abord réfléchir sur le pourquoi de ces classements, mettre les chefs qui sont au sommet depuis longtemps, hors classement pour laisser la place à la suite, aux jeunes chefs.
Food&Sens – Marc Esquerré reste en place, c’est aussi un élément important de l’organisation du G&M à venir ?
Zakari Benkhadra – Oui, son rôle reste à définir. Marc est un homme intelligent qui va savoir faire la transmission, la transition de manière élégante. Il a cette dynamique indispensable pour mettre en selle de nouveaux talents. Nous devons occuper le terrain. Gault & Millau a une histoire, une expertise, une connaissance pointue. Je ne suis que le catalyseur de tous les acteurs du guide.
Food&Sens- Gault & Millau va t’il s’intéresser plus au monde des pâtissiers, c’est un univers très actif en ce moment ?
Zakari Benkhadra – Les Pâtissiers, laissés-pour-compte des restaurants ! Je me souviens dans les années 80 dune visite dans les cuisines du Ritz avec le chef. Nous sommes passés devant la pâtisserie, aucun regard, je ne sais même pas si le chef connaissait le nom du pâtissier ! Oui nous allons nous intéresser aux pâtissiers mais aussi aux boulangers – dans un repas tout commence par le pain – et aux fromagers. Tous ces artistes qui travaillent avec sens, sensibilité et amour.
Food&Sens – Question piège – Citez-nous vos trois chefs préférés, ceux chez qui vous estimez toucher le somment de l’excellence culinaire ?
Zakari Benkhadra – Une de mes plus belles expériences je l’ai vécue à L’Espérance, à Saint-Père, chez Marc Meneau. J’ai eu de grands moments de grâce dans la simplicité chez Michel Guérard et chez Jacques Maximin. Je savoure encore le souvenir d’un Carpaccio de Langoustine chez Joël Robuchon. J’en ai encore le goût en bouche…