« Saveurs & Savoirs » à Uzès – Georgiana Viou, une femme cheffe indépendante, libre, autodidacte, ne se revendiquant d’aucune école
GEORGIANA VIOU – LE GOÛT DE COTONOU, MA CUISINE DU BÉNIN
Troisième rendez-vous – Georgiana Viou « Le Goût de Cotonou » – Il faut descendre des marches pour gagner le sous-sol de la librairie et découvre avec belle surprise, un amphithéâtre de pierre, tout rond, pas plus grand qu’un confetti qui nous accueille sur des marches et coussins. C’est une jeune femme débordante de belle humeur contagieuse, souriante, jouant d’humour et de gentillesse qui s’assoit face à Charles Patin O’Cohohoon, l’acolyte de toujours de François-Régis Gaudry, membre de la bande de FRG, joyeux équipier de l’émission Très Très Bon.
Une femme à la forte personnalité, indépendante, libre, ne se revendiquant d’aucune école, autodidacte, pas prédestinée pour deux sous à la cuisine. Une femme de caractère et de sensibilité, qui porte en étendard les valeurs du Bénin, pays de son enfance, et de la France, pays pour lequel elle a eu le béguin. Elle a disposé sur une petite table une assiette d’authentique semoule de manioc, une bouteille d’huile de palme et une assiette de sauce cacahuète. Elle va dérouler le fil de sa vie, avec des larmes qui perlent au bord des paupières, des émotions retenues, des sourires et des rires qui canalisent une sensibilité à fleur de peau. Comme Pierre Gagnaire et Anne-Sophie Pic, Georgiana Viou est tombée dans le monde de la cuisine tard, par hasard, peut-être parce qu’elle était là au bon moment, a fait les belles rencontres et a cette facilité innée d’adaptation, de réactivité, de facilité à saisir les opportunités qui passent et les transformer en réussite, portée par une volonté de vivre d’amour et de passion. Georgiana, la plus solaire des cheffes françaises, imprime son métissage dans sa cuisine. Elle a passé son enfance au Benin, dans une famille de femmes, dirigée par une grand-mère maitresse femme qui avait montée un empire d’import-export, recevait beaucoup dans sa belle maison, mettait les petits plats dans les grands, cuisinait et n’avait pas peur de préparer pour un déjeuner une douzaine d’agneaux. La cuisine, le repas étaient au coeur de la vie de la maison, et la petite fille a vite tout appris avec cette grand-mère. Elle a 20 ans quand elle arrive en France par amour. Georgiana intègre La Sorbonne pour être interprète-conférencière. La vie n’est pas un fleuve tranquille, elle quitte son amoureux, part avec son petit garçon, doit travailler, quitter la fac. Elle veut faire un métier qui la passionne. Les images de son enfance s’imposent avec les souvenirs de la cuisine, des grandes tablées… C’est sûr, elle sera cuisinière. Elle débarque à Marseille avec ses deux enfants. Elle apprend dans les livres. Elle ouvre une saladerie, cuisine chez des copains chefs. De rencontre en opportunités, elle s’ouvre à la gastronomie. Elle passe les sélections de la saison 1 de Masterchef, avec 600 autres concurrents. Elle présente au jury un plat simple, loup, fenouil et gingembre sans savoir qu’un membre du jury, Yves Camdeborde, a le même plat au menu de son restaurant. Pour elle l’aventure s’arrête là. Elle continue courageusement son petit bonhomme de chemin, ouvre l’Atelier Georgina. Elle rêve de cuisine plus aboutie. Yves Camdeborde l’envoie chez Itinéraires où elle va apprendre le légume, l’aimer et le respecter auprès du chef Sylvain Sendra. Elle aime cette cuisine de l’instinct, de l’instant, vivante. De rencontres en stages ici et ailleurs, elle apprend pour nourrir sa cuisine, comme les voyages et les repas chez les autres chefs nourrissent sa création. Elle ferme l’Atelier et ouvre son premier restaurant Chez Georgiana dans le quartier des Antiquaires. Le bouche-à-oreille marche et remplit le restaurant des archis, medecins, notables du quartier et bien au-delà. C’est le succès mérité, conforté par les cours quelle a pris auprès de Lionel Levy. Elle reçoit vite la visite et les papiers des guides et des critiques comme FRG, Gault & Millau et les autres. Elle ferme le restaurant, un conflit l’oppose à son associé. Ella va quitter Marseille, ville bouillonnante comme elle. Adieu Marseille, son port et sa cuisine métissée. Suit une traversée du désert durant laquelle elle peaufine un projet de restaurant à Marseille. Elle part en Afrique, retrouve son Afrique. « Quand on ne sait pas où on va, il faut savoir d’où on vient« .
Elle pense à un livre, fait beaucoup de photos pour ce livre en gestation dans sa tête. Elle rencontre Alain Ducasse, qui accepte de publier son livre dans sa maison d’édition. Le livre s’écrit au fur et à mesure des rencontres, des souvenirs, des paroles, Elle nourrit la plume de son travail. 9 mois de mots dans tous les sens. En 2021 le livre sort. Il ne ressemble à aucun autre, il traduit une cuisine orale qui se transmet par le geste et la parole. Il est à la fois livre de transmission, guide de voyage, livre de famille, de culture. Quelques temps après, elle est invitée à Nimes. Elle accepte de vivre l’ouverture de Rouge. Elle décroche une étoile, une étoile que personne n’a vu venir. Depuis elle vit cette étoile à sa manière, sans le costume d’étoilé. Sans veste blanche, sans toque, sans serviette nouée autour du cou. Elle continue à l’instinct. Du pur Viou tout simplement. Elle ne quitte jamais son chapeau qu’elle collectionne dans toutes les couleurs, comme une signature. Et garde toujours à portée de main un saladier de glaçons dans lesquels elle croque comme elle croque dans la vie avec bel appétit.
Durant ce rendez-vous, Georgiana parle, parle beaucoup, ses mains dansent, ses yeux pétillent, elle capte et emporte l’attention de tous ceux qui boivent ses paroles comme du miel. La belle et fière Béninoise emporte le public avec ses gestes et ses paroles du coeur. Une femme vraie, vivante. Une « mère » une cuisinière, une cheffe qui donne tout comme si c’était le dernier diner des clients. Une femme spontanée, volontaire, débordante de fraicheur et de simplicité, à la passion contagieuse. Un exemple qui décomplexe la cuisine. Avec douceur et humour, elle conquis le public qui est tombé en amour de cette femme volubile. Ses mots sont des images qu’elle offre généreusement.
Il est difficile de quitter cette femme à l’émotion contagieuse…