Bernard Boutboul : « Un manager, un patron, un propriétaire de restaurant et même un patron du CAC40, doit être sur le terrain avec ses équipes » – Interview –

05 octobre 2016  1  Non classé
 

signature-food-and-sens Bernard Boutboul est curieux de tout, et même si il connait sur le bout des doigts le monde de la restauration, il arrive encore à s’étonner et même à être impressionné lorsqu’il découvre un nouveau concept, lorsqu’il décèle une nouvelle tendance.

Il a gardé cette fraîcheur des gourmands-passionnés, ce qui ne l’empêche pas, en toute impartialité d’analyser, d’essayer de comprendre. Il entretient une vision satellitaire de l’univers de la gastronomie et des chefs, deux univers qu’il fréquente quotidiennement pour son cabinet Gira Conseil.  

Dans cette interview pour Food&Sens, il nous fait comprendre les enjeux économiques du monde dans lequel nous vivons, il analyse aussi l’évolution du secteurs, des modes, aborde l’influence montante des chefs. Visionnaire, fin connaisseur de l’univers de la food, il parcourt le monde pour mieux imaginer ce que sera la FOOD de demain, mais sans jamais perdre le bon SENS !.

Merci à Bernard Boutboul pour cette passionnante interview !

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En une phrase, que fait Gira conseil ?

Gira conseil (www.giraconseil.com) est un cabinet d’accompagnement de tous les acteurs de la consommation alimentaire hors domicile en terme de marketing, de stratégie et de développement.

Vous avez 26 années d’expérience dans la restauration. Depuis 10 ans les codes de consommation ont changé, le consommateur est devenu infidèle et zappeur, comment expliquez-vous ce changement ?

Nous vivons une mutation profonde du métier de restaurateur avec, dans un premier temps, un consommateur qui n’est pas plus exigeant qu’avant mais qui a radicalement changé son comportement alimentaire tant à domicile qu’hors domicile. Dans un second temps, nous avons une génération de restaurateurs qui est en train de mourir à petit feu alors qu’une nouvelle génération est en train d’arriver et revoit le modèle économique du restaurant qui considère le produit, respecte le consommateur et qui tarifie les prestations autrement.

Ces nouveaux restaurateurs revoient le business de la restauration et quand l’offre, la demande et les acteurs changent en même temps, vous avez une mutation totale du secteur. Nous sommes dans une phase de transition entre deux modèles de société, entre deux façons de faire, de vivre et de communiquer. Il s’agit de profondément se remettre en cause et de faire les choses autrement qu’au cours des 40 dernières années. Certains pensent encore qu’on traverse juste une tempête et qu’il va faire beau demain, mais ceux qui ne voient pas que nous sommes dans une phase de transition vont rester sur le carreau dans les mois et dans les années à venir.

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« Ce n’est pas parce que les gens sont pressés qu’ils faut leur donner à manger n’importe quoi ! » Vous avez dit que cette phrase marque un tournant dans l’évolution de l’offre de restauration rapide, c’était en 2013. Trois ans après, où en est-on ?

Il faut retracer l’histoire de la restauration en France pour comprendre cette phrase et ce qui est en train de nous arriver aujourd’hui.

Ce sont les cafés, bars et brasseries qui faisaient de la restauration rapide dans la France d’après-guerre mais ils ne se sont pas remis en cause. On en comptait 200 000 en 1960. Ils sont 32 000 aujourd’hui. Les cafés ne faisant pas leur job, on a vu apparaitre le premier McDonald’s en 1979, suivi de Quick en 1981 et en 1983 la Brioche Dorée et Paul. Entre 1979 et 2001 on vivait dans un pays très en retard sur la restauration rapide et plus axé sur les fast-food et la malbouffe.

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La France bascule en 2001 grâce à Alain Cojean qui ouvre un établissement où il vend des sandwichs, des soupes, des salades qu’il rend plus zen, plus bio, plus féminin, plus frais et plus cher. Alain Cojean a déclenché deux tendances qui font qu’aujourd’hui la France est devenue un laboratoire d’innovation et de tendances au niveau mondial pour la restauration rapide.

Un élargissement de gamme qui passe de deux produits (sandwich et hamburger) à 38 et pour comparaison, même les Américains n’ont pas 38 concepts différents. On invente des concepts de restauration rapide à base de poisson, de kebab, de bretzels, de bagel, de couscous, de nan,…

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Une montée en gamme a suivi en 2004 et en 2005 des grands chefs triplement étoilés ont monté leur sandwicherie : Alain Ducasse, Antoine Westermann, Paul Bocuse, Marc Veyrat, Guy Martin,…

Plus récemment nous avons eu un troisième épisode avec Vincent Ferniot qui en 2009 me disait ne pas comprendre pourquoi cette montée en gamme etait déstructurée. Il m’appelle deux ans plus tard pour me présenter son concept « Boco » qui vient boucler la boucle avec une restauration rapide de type service à table, mais sans service à table, dans le pays de la gastronomie. On revient à nos sources….

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McDonald’s nous a ainsi amené la restauration rapide en 1979 d’un point de vue structuré, marketé, Cojean l’a monté en gamme et Boco restructure le tout à la manière du service à table sans être servi à table. C’est la première fois qu’on peut prendre entrée, plat ou plat dessert ou entrée, plat, dessert dans une offre de restauration rapide et cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde.

Beaucoup de chefs se sont essayés à la restauration rapide et peu ont finalement réussi à percer et à durer sur le secteur. Comment expliquez-vous ceci ?

Un triple étoilé Michelin est un influenceur, ce n’est pas son objectif et c’est là où je rejoins la phrase que vous avez évoquée juste avant. Alain Ducasse, Paul Bocuse, ont tous dit à un moment différent qu’il est inadmissible qu’on serve n’importe quoi à manger aux personnes qui sont pressée. Les chefs sont ainsi partis du principe qu’il faut montrer qu’un sandwich, une quiche, une soupe peuvent être bons et ils l’ont montré en one shot, mais ce n’est pas leur but de se développer de cette manière.
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Par contre comment pouvez-vous expliquer que de nombreux chefs de cuisine s’engouffrent dans le secteur de la pâtisserie, boulangerie et chocolaterie et y réussissent ?

La France est connue pour le luxe, la mode et pour sa touche sucrée. La meilleure pâtisserie au monde est située en France, les meilleurs pâtissiers du monde sont Français. Philippe Conticini, Pierre Hermé, Christophe Michalak et ce n’est pas moi qui le dit. De plus, la structure de repas plat-dessert est trois fois plus importante en France que dans les autres pays européens. Nous avons des stars de la pâtisserie et un peuple qui aime le sucré. Il donc est normal de voir se créer des concepts de choux, d’éclairs, de madeleines mais tout ne marchera pas et par exemple quand Guy Savoy monte Goût de Brioche, il veut avant tout montrer qu’une brioche peut être de très bonne qualité sans vouloir développer son concept partout dans le monde. Comme par hasard, la brioche monte maintenant en gamme, comme c’est le cas pour les éclairs et beaucoup d’autres choses….
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Les chefs comme Thierry Marx, Cyril Lignac, Alain Ducasse, Christophe Michalak et d’autres développent leurs affaires en véritables entrepreneurs, ils ont fait de leur nom une marque. Pensez-vous que l’avenir du secteur passera par cette personnalisation ?

Je pense que Michalak est et restera un nom et que la marque Michalak n’ira pas très très loin le jour ou Christophe Michalak ne sera plus là,… On va malheureusement avoir le cas avec Paul Bocuse qui n’est pas éternel. La marque existe parce qu’il est là. On peut reproduire ce schéma avec Alain Ducasse, Philippe Conticini et beaucoup d’autres car la force de frappe de ces stars c’est l’être humain avant même leur nom. Si on avait monté L’éclair de Génie by Bernard Boutboul, il est certain que cela aurait moins bien marché alors que Christophe Adam est un pâtissier talentueux et reconnu.

Se créer un nom n’aide t-il pas les chefs à se faire connaitre du grand public ?

Nous connaissons les noms des chefs car nous sommes dans la profession mais je peux vous assurer que 90% des personnes ne les connaissent pas et que seul une poignée est connue. Le grand public ne connait pas Christophe Adam. Yannick Alléno a eu quelques histoires, donc on le connait un tout petit peu. Pierre Gagnaire, personne ne le connait et il faut aller vers Joël Robuchon et Alain Ducasse pour avoir une bonne notoriété. Vient ensuite Paul Bocuse qui est le plus cité.

Gira conseil a demandé au grand public de citer 5 grands chefs et 90% ne sont pas allés au-dessus de 3. Evidemment on cite Thierry Marx et d’autres chefs parce qu’on a pu les voir à la télévision mais sinon le grand public ne les connait pas.

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Ne pensez-vous pas que les chefs vont volontairement créer un produit grand public pour se démarquer et toucher le grand public ?

Si c’est leur objectif ils font fausse route car ils n’y arriveront jamais. Les grands chefs ne peuvent pas atteindre une cible grand public car ils ne sont pas connus du grand public et parce qu’ ils ont des prix qui font barrage à l’accès au grand public. Le Bread-makis de Thierry Marx est un chef-d’oeuvre de créativité mais c’est un produit qui ne peut pas se vendre. Les Français sont beaucoup trop traditionnels et un jambon beurre (baguette, jambon, beurre) ne doit pas être roulé à la manière d’un maki. Je prends le pari que le Bread-makis ne se vend pas mis à part à quelques bobos qui traversent Paris pour venir manger un Bread-makis de Thierry Marx et le poster sur les réseaux sociaux. À chaque fois qu’un produit a été dévié de ses origines, en France c’était un échec. 

L’arrivée des chefs dans le snack-food a inévitablement été synonyme d’une hausse de prix. Est-ce d’après-vous du à une hausse de la qualité ou à l’association d’un chef au produit, comme une marque fait grimper le prix d’un produit de qualité similaire.

Je pense que nous devons nous poser la question autrement. Est-ce que l’augmentation de prix est justifiée par le rehaussement de la qualité ? Je dois vous avouer que la réponse n’est pas évidente. Certains acteurs haut de gamme sont en train par exemple de se dépositionner à tel point que le prix n’est absolument plus justifié, que la qualité baisse et que cela n’a plus rien de comparable à ce qui se faisait au début lors de la 1ere ouverture. Ils ont voulu faire des économies d’échelle, passer à de l’industriel et sous-traiter la fabrication,…

Ces dirigeants de concepts snaking haut de gamme n’étaient-ils pas obligés de s’industrialiser pour asseoir leur développement ?

Vous touchez le nerf de la guerre, car le haut niveau ne se duplique pas ! Pour se dupliquer, il faut mettre en place des process industriels et c’est là où les ennuis commencent.

Force est de constater que les grandes marques de l’agroalimentaire proposent aujourd’hui des produits d’excellente qualité. Pensez-vous que l’on peut avoir confiance dans ce que l’on mange ?

Nous avons l’une des meilleures industries agro-alimentaire et nous sommes l’un des pays ayant la législation la plus stricte au monde ! Il n’y a jamais de morts, on est rarement malade, on mange très très bien,… N’oubliez pas qu’en 1996 puis en 2000 nous avons eu la crise de la vache folle, puis la grippe aviaire et que ces crises et les gouvernements successifs ont permis de réavaluer la législation qui est aujourd’hui au-dessus de la moyenne des normes européennes.

Je vous invite à aller voir ce qui se passe aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Asie ! Imaginez aussi que la cuisine de rue existe à Londres ! Je ne parle pas de food trucks, mais de personnes qui cuisinent dans la rue ! Cela serait impossible en France…

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Le bio et le locavore sont très tendances, les scandales alimentaires ont-ils poussé les consommateurs à mieux manger, à faire attention à leur alimentation ?

Cela y a contribué, mais ce n’est pas la raison principale qui est que le consommateur s’est aperçu qu’il perdait le goût et qu’il ne savait plus reconnaitre un bon produit d’un mauvais produit à cause d’une standardisation du goût. On a commencé par respecter davantage les saisons et on est ensuite naturellement retourné vers le producteur.

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Le marketing est-il un leurre de l’industrie l’agroalimentaire pour nous faire croire au changement alors que rien ne change vraiment ?

L’agro-alimentaire n’a pas d’autre alternative que de faire du marketing mais doit suivre la tendance de montée en gamme. Ils ne peuvent pas jouer la carte du locavore et du goût autrement que par le marketing, regardez les emballages qui précisent « fait comme grand-mère, produit d’antan, fait maison,… Soudainement tout le monde s’est mis à produire de façon artisanale…

Selon vous, quelles seront les principales préoccupations des consommateurs d’ici 5 ans ?

Les consommateurs s’expriment de plus en plus clairement sur ce qu’ils veulent et sur ce qu’ils ne veulent pas. Il y a aujourd’hui un triptyque de demande qui est la sécurité, la variété et la liberté de choix. On voit de plus en plus de restaurants qui ont tendance à rallonger leur carte tout en restant spécialisé.

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Le sushi qui était la tendance des années 2000 n’a plus la côte. On ne trouve aujourd’hui pas d’offre innovante axée sur les produits de la mer. Comment expliquez-vous ceci ?

Le sushi n’est pas vu comme une offre produit de la mer mais japonisante et elle est trop segmentante car trop chère. Les Français ne sont pas fans de poissons et encore moins de produits crus. Tout le monde a sauté dessus car cela était nouveau, mais on a aujourd’hui des problèmes de fidélisation au produit. De plus, 80% des restaurants sushi sont en Ile-de-France et en Rhône-Alpes, il y en a très peu en campagne et tout le monde ne peut pas se payer une soirée sushi.

Aujourd’hui on peut citer Juste et Mer Sea qui sont deux acteurs de la restauration rapide sur le segment premium qui proposent des plats de produits de la mer avec un ticket moyen assez élevé. Les deux restaurants fonctionnent bien avec une clientèle élitiste et des produits frais et bons mais en dehors de cela il n’y a pas de développement sur ce secteur. 5f1f4

On dit qu’il faudrait manger moins de viande rouge mais on voit de plus en plus de viandes d’appellation sur les cartes : l’angus, le Charolais, le waguy, le kobé. Les bouchers deviennent des stars, les éleveurs des idoles, dans les pays anglo-saxons les steaks houses sont des adresses que l’on s’arrache et le BBQ devient à la mode. Vous analysez ça comment ? Vous étiez d’ailleurs à Paris-Texas ce midi.

On dit qu’il faut manger moins de viande rouge alors que la consommation hors domicile n’a jamais été aussi haute mais la consommation à domicile se tasse. On voit apparaitre des flexitariens qui ne sont rien de plus que des végétariens à temps partiel. Ils disent adorer la viande mais admettent en manger un peu moins à la maison. Ils se lâchent en revanche lorsqu’ils sont hors domicile et on s’est aussi aperçu que les produits de consommation de masse sont montés en gamme depuis une dizaine d’années. Les Français aiment la viande rouge hors domicile et dès lors qu’ on la monte en gamme, commencent à se développer des steaks houses haut de gamme.

Vous étiez à Londres et aux Etats-Unis, vous avez pu mesurer l’évolution de ces marchés et des comportements. Comment se situe le consommateur français par rapport à ces deux marchés qui ont tracé les tendances depuis presque 20 ans ?

Il y a trois modèles alimentaires sur la planète. Le modèle anglo-saxon qui est déstructuré en terme de prise de repas et de plus en plus sain, soucieux de l’environnement avec un temps de prise de repas très court. Vient ensuite le modèle latin qui est à l’opposé, où le repas est une fête, un moment social très important durant lequel on mange en quantité et de manière structurée. Le modèle français est hybride, on garde des racines latines, mais avec des inspirations anglo-saxonnes. Le modèle français est difficile à comprendre pour d’autres cultures et est directement influencé par ses racines culinaires extrêmement fortes et par son patrimoine gastronomique.
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Pouvez-vous donner quelques conseils à un jeune chef qui veut s’implanter ? Que ne doit-il pas négliger ? Quelles erreurs ne doit-il pas commettre ?

Nous travaillons régulièrement avec des créateurs d’entreprise à qui nous disons sans cesse qu’il faut partir de l’emplacement et non pas du projet et on pense encore trop souvent que l’idée, le positionnement, la philosophie d’un concept pourront fonctionner partout. Il ne faut jamais raisonner dans ce sens, mais dans le sens opposé et trouver un emplacement aux caractéristiques socio-économiques qui correspondent et qui pourra faire fonctionner le concept dans les meilleures conditions de chiffre d’affaires et de rentabilité. Si on ne passe pas par ces quantification et qualification, on risque d’avoir une très mauvaise surprise.

Il y a sept strates de clientèle qui influencent le chiffre d’affaires d’un restaurant au déjeuner ou au dîner mais rarement aux deux. Les emplois, l’habitat, le passage devant l’établissement, le tourisme, les loisirs, le shopping et la clientèle d’hôtels. L’un des rares emplacements où on retrouve ces 7 strates, c’est les Champs-Elysées et il ne faut pas penser que de s’implanter sur Paris ne nécessite pas de passer par ce prisme.

Nous faisons des études de marché en province et on peut être surpris par certaines villes qui ont des strates intéressantes permettant de lancer un projet. On peut citer Nantes, Lyon, Montpellier, Toulouse et Lille mais il ne faut pas s’arrêter la. Ce n’est pas non plus une obligation de se lancer à Paris et je dirais même que c’est plus compliqué car les investissements sont plus importants et que cela fait prendre un risque conséquent aux entrepreneurs. On peut par exemple facilement monter un projet différenciant dans le centre ville de Lille, à Montpellier ou à Nantes sans avoir la contrainte du modèle économique et faire ses preuves avant de s’implanter sur Paris.

Dans la restauration qu’elle soit rapide ou gastronomique, l’humain doit rester au cœur du système, sinon naissent des offres sans âme qui lassent vite le consommateur. Le secteur souffre du manque de personnel qualifié alors même qu’il offre énormément d’emplois et de possibilités de carrière. Aujourd’hui on investit sur les équipes comme on investit sur un l’équipement. Comment expliquez-vous cette situation ?

Ce métier a été très peu valorisé au cours des 25 dernières années et ne paye plus comme avant. J’ai travaillé comme maitre d’hotel chez Hippopotamus après mon Bac et j’ai retrouvé mes fiches de paye. En 1980, je gagnais l’équivalent de 3500 euros net pour ce poste. Il s’est passé quelque chose qui n’est pas forcément lié à l’augmentation des imports et des charges. Je pense qu’on a voulu gagner de plus en plus d’argent et qu’on a moins payé le personnel. Aujourd’hui, les jeunes rêvent d’être médecin, avocat ou pilote alors que la restauration est en dernière place du classement. On en est à un point où on s’engage dans la restauration par défaut parce qu’on ne sait pas quoi faire d’autre et cela se ressent sur la prestation.

Quand on rentre dans un restaurant aux Etats-Unis, on a l’impression qu’on n’attendait que nous. Les serveurs vous chouchoutent, il viennent vous voir, s’assurent que tout se passe au mieux. En France, nous avons encore trop de restaurants ou l’on vous dit à peine bonjour, on vient à peine vous voir à table,…
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Quel est le profil des personnes qui réussissent de nos jours dans la restauration ?

Soit ils viennent de grandes écoles, soit ce sont des passionnés du ou des produits sur lesquels ils bossent. Prenez l’exemple de Paris-New-York et du groupe Big Mamma dont les fondateurs sont issus de HEC, les uns passionnés par la bonne cuisine américaine et les autres par les produits gouteux Italiens. Pour réussir aujourd’hui il faut être passionné. Mais même si on est issu d’une école hôtelière ou de HEC, et si le client ne ressent pas cette passion, ça ne marchera pas. Les restaurants indépendants qui marchent très fort sont tenus par des passionnés et ceux qui nous ont montré ça en premier ce sont les grands chefs étoilés. Ça a toujours été la passion qui a fait la satisfaction et la fidélisation du consommateur et quand les fonds d’investissement s’en sont mêlés, on a eu de moins en moins de passion.

Lorsque l’on pense créer un restaurant, on travaille sur un prévisionnel comptable, mais plus sur des études de marché qui se sont trop souvent montrées fausses. L’emplacement reste un critère important, puis il faut créer une cible client, positionner un ticket moyen, mesurer et équilibrer son investissement. Reste après ce qui n’est pas mesurable, le talent, le charme, les personnalités… tout ce qui fait que l’établissement va fonctionner ou pas. Dans vos études, prenez-vous ceci en compte ?

J’essaie toujours de mieux cerner la personnalité de la personne qui est en face de moi et ce sont les business angels, les fonds incubateurs et cette nouvelle génération de financiers qui ont inventé cette approche. Quand vous arrivez pour présenter un dossier, on le met de coté puis on parle de vous pendant 2h sans même évoquer le projet et le concept. On doit voir s’il y a de la passion, de l’enthousiasme et non pas si le coté financier prédomine. Il arrive qu’on conseille à certaines personnes de ne pas se lancer dans leur projet pour ces raisons alors que le concept pré-établi est bien. Tigra de Big Mama ou Rudy de Paris New-york sont complètement allumés et passionnés par ce qu’ils font, ils parlent avec le coeur, ils sont sur le terrain et on sent qu’ils ont besoin de vivre avec le client.

Un bon chef d’entreprise doit-il être sur le terrain avec les équipes ?

1000 fois OUI ! Un manager, un patron, un propriétaire de restaurant et même un patron du CAC40, doit être sur le terrain avec ses équipes. On le voit sur des entreprises en difficultés où le fondateur n’a pas mis les pieds dans son restaurant depuis des années et ne sait plus ce qu’il s’y passe.

Le meilleur moyen de savoir ce qui se passe dans un restaurant c’est d’y être ! Quelque chose commence à ne pas tourner rond lorsque le chef quitte sa cuisine et son établissement, un chef ne doit pas seulement être dans sa cuisine mais aussi en salle avec ses clients et avec ses équipes en dehors des heures de service. Ce n’est pas un reporting de manager qui va vous faire comprendre ce qui se passe dans le restaurant.

J’ai discuté avec de grands chefs qui m’ ont dit « ne t’inquiète pas, je délègue, le type que je mets là a été formé, je le sens bien et je lui fais confiance », mais ce n’est pas pareil… Même en tant que consommateur, si je vais à l’ADPA au Plaza Athénée ou au Louis XV à Monaco, je vais en quelque sorte manger chez Alain Ducasse et s’il n’est pas là il y a une certaine déception. Il fut une époque ou Joël Robuchon était présent à l’Atelier, rue du Bac et on vivait une vraie expérience lorsqu’on mangeait au bar alors que Joël Robuchon était en cuisine.

Ce sujet m’a toujours un peu froissé et je pense que c’est lorsque ces chefs ne sont plus en cuisine qu’il faut faire attention. On a eu le même problème lorsque les frères Ferniot ont quitté Boco. À l’ouverture, ils étaient présents avec leurs femmes, ils vous conseillaient, vous parlaient, certaines personnes prenaient des selfies avec eux mais ce n’est plus pareil maintenant. C’est pareil avec Christophe Michalak, lorsque je rentre dans sa pâtisserie, il y a quelque chose dans mon inconscient qui me déçoit s’il n’est pas présent et ce bien que je puisse comprendre qu’il ne peut pas être présent.

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Vous êtes très suivi car vous connaissez sur le bout des doigts le secteur de la restauration et vous êtes écouté. Pensez-vous être un influenceur ?

Ça fait une dizaine de fois qu’on me le dit en six mois et je vais commencer par y croire ! (rires)

Interview réalisée par Guillaume Erblang-Rotaru
Photo de couverture ®Thierry Samuel
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