Mathieu Silvestre, champion du Lièvre à la Royale : entre tradition, technique et passion
Mathieu Silvestre, champion du monde de lièvre à la Royale, est un chef pour qui la précision technique et le respect des traditions culinaires sont essentiels. Au-delà de la maîtrise parfaite des gestes, il incarne une approche minutieuse et réfléchie de la cuisine de gibier, alliant rigueur et créativité. Allergique au lièvre, il relève le défi de magnifier ce plat emblématique en mettant l’accent sur la sauce et sur des techniques de montage uniques. Dans cette interview, il nous partage sa vision de la cuisine, les défis rencontrés en compétition, et les secrets d’une recette devenue un classique au Chambard.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, la différence entre un plat réussi et un plat exceptionnel dans un concours tel que celui du Lièvre à la Royale ?
Mathieu Silvestre : La différence tient souvent dans des détails, mais des détails essentiels. Un plat réussi, pour moi, c’est avant tout un plat qui capte le regard, qui donne envie par sa présentation. Il doit être beau, bien pensé visuellement. Mais pour qu’un plat devienne exceptionnel, il faut aller plus loin : il doit être techniquement parfait. Avec un plat comme le Lièvre à la Royale, tout repose sur la maîtrise de la sauce, qui est le cœur de la recette. Il n’existe pas de recette stricte pour cette sauce, c’est au chef de savoir doser chaque élément, particulièrement le sang, pour obtenir l’équilibre parfait. C’est un travail de précision et de ressenti. Il faut aussi un montage impeccable dans la préparation du boudin : quand on le tranche, il doit être rond, sans angles, et la farce doit être homogène. J’ajoute un insert de foie gras bien centré, et la farce doit être lisse et liée, sans rupture. Ce niveau de détail est ce qui fait passer un plat de bon à « exceptionnel ».
Le Lièvre à la Royale est un plat complexe et technique. Quels aspects de sa préparation vous passionnent le plus ?
Mathieu Silvestre : Ce qui est assez amusant, c’est que je suis allergique au lièvre ! Je ne peux pas manipuler l’animal cru, donc je ne m’occupe pas du dépeçage, ce qui est finalement un gain de temps. Mais je dirais que ce qui me passionne le plus dans ce plat, c’est le montage, un moment vraiment intense. Dans notre cuisine, on utilise des dimensions et des poids précis pour chaque ballotin de lièvre, ce qui nous permet d’obtenir une forme et une consistance parfaites à chaque fois. Par exemple, lors d’un service, nous avons monté jusqu’à douze ballotines en deux jours, ce qui représente environ une trentaine de lièvres. Depuis que j’ai remporté le titre de champion du monde, le Lièvre à la Royale est devenu un incontournable au Chambard, et c’est chaque fois un plaisir de retrouver cette précision dans la préparation.
Qu’est-ce qui a été déterminant pour atteindre ce niveau d’excellence et décrocher le titre de champion du monde ?
Mathieu Silvestre : C’est un travail d’équipe avant tout, je n’aurais jamais réussi seul. Nous avons développé un lièvre en trois façons pour le concours, une approche innovante qui a vraiment marqué le jury. La première façon, c’était le boudin de lièvre avec une sauce civet, sans farine, simplement liée avec du pain brûlé pour apporter de la texture. Ensuite, nous avons ajouté un filet de lièvre bleu, très saignant, servi avec un jus de céleri pour équilibrer l’intensité du gibier. Enfin, un sénateur couteau avec un coulis de truffes noires. C’était une façon de respecter la tradition tout en apportant une touche contemporaine, en osant une version tripartite du lièvre qui n’avait jamais été présentée dans cette compétition. Cette approche a fait la différence et nous a permis de remporter le titre.
Quel a été le plus grand défi pour vous pendant la compétition ?
Mathieu Silvestre : Sans aucun doute, le plus grand défi, c’était la sauce. Une sauce parfaite exige une maîtrise de chaque étape, et elle doit être réalisée à la minute, juste avant le service. J’étais seul ce jour-là, contrairement à certains participants qui avaient un commis pour les épauler. J’ai dû faire toute la préparation moi-même, du découpage aux garnitures, en passant par la cuisson. La rigueur et le timing étaient cruciaux. Je voulais montrer que, même seul, je pouvais réaliser un plat de haute précision. Mais envoyer la sauce dans des conditions parfaites, à la dernière minute, était probablement l’aspect le plus technique et le plus stressant de la compétition.
Depuis votre victoire, avez-vous intégré des éléments de cette recette de Lièvre à la Royale dans d’autres plats ?
Mathieu Silvestre : Oui, la technique que j’utilise pour la sauce civet est devenue une signature. Nous ne mettons plus de farine pour épaissir la sauce, mais utilisons du pain brûlé, ce qui renforce la texture sans alourdir la saveur. Cette technique est idéale pour le gibier, car elle permet d’accentuer le côté authentique de la sauce tout en restant légère. Nous appliquons cela dans plusieurs plats de gibier tout au long de l’année. C’est devenu une base dans notre cuisine pour magnifier les produits tout en restant fidèle à notre approche de la gastronomie.
Quels conseils donneriez-vous aux futurs participants de cette compétition ?
Mathieu Silvestre : Mon premier conseil serait de profiter pleinement de l’expérience et d’être fier d’y participer, car cette compétition est exigeante et chaque participant mérite d’y être. Je leur dirais aussi de cuisiner avec sincérité, sans trop se soucier des détails superflus. Il ne faut pas se perdre dans des fioritures, mais rester concentré sur la technique et la saveur. Ce qui compte, c’est d’aller à l’essentiel, de respecter le produit, et de se faire plaisir. C’est ce qui donnera au plat une âme, une authenticité qui se ressentira dans chaque bouchée.
Au terme de cet échange, Mathieu Silvestre se révèle non seulement comme un virtuose du Lièvre à la Royale, mais également comme un défenseur des traditions et des saveurs authentiques du terroir. Sa quête d’excellence, mêlée à une grande humilité, le pousse sans cesse à perfectionner chaque geste, chaque texture, chaque goût. Pour lui, la cuisine est un défi constant, un art qui requiert autant de discipline que de passion. Fort de son expérience, il continue de transmettre son savoir-faire, inspirant une nouvelle génération de cuisiniers à la recherche de la perfection et du plaisir de cuisiner avec sincérité.
Interview réalisée par Guillaume Erblang – FoodandSens