Fabrice Idiart et la lente évidence du végétal au Pays-Basque
Au Pays-Basque, le choix du 100 % végétal peut sembler à contre-courant. Pour Fabrice Idiart, il s’agit d’une lente évidence, construite dans le temps, sans militantisme ni posture idéologique, comme une manière sincère d’habiter sa cuisine et son territoire.
Passer au végétal intégral au Pays basque ne relève pas d’un effet d’annonce. Pour Fabrice Idiart, ce choix s’inscrit dans un temps long, fait de maturation, de doutes assumés et de fidélité à une intuition initiale. L’entretien n’a rien d’un manifeste. Il ressemble plutôt à un déplacement intérieur, raconté sans slogans, sans militantisme et avec une sincérité et une conviction presque désarmante.
Fabrice Idiart était en route, sans notes, sans préparation. « Je n’aime pas me préparer à des trucs, je préfère qu’on discute », dit-il d’emblée. Cette spontanéité en dit long sur sa démarche. Le végétal n’est pas une stratégie. C’est un chemin personnel, qu’il assume désormais publiquement, après plusieurs années de pratique et d’observation.
Le végétal comme évidence lente
Lorsqu’il évoque son passage au végétal intégral, Fabrice Idiart refuse l’idée de rupture. « Ce n’est pas un basculement, ce n’est pas un coup de tête », insiste-t-il. Depuis son arrivée au moulin, le végétal est là, présent dès les premières cartes, comme une évidence discrète. Un menu végétal existait dès le début, aux côtés d’un menu plus traditionnel, ancré dans les produits carnés.
Pendant des années, ces propositions cohabitaient. Un menu Tradition, un menu végétal, et un troisième, inspiré de ses voyages. Ce dernier explore déjà une forme de flexitarisme, où le légume occupe le centre de l’assiette sans exclure totalement la protéine animale.
Il lui faudra près de sept ans pour accepter ce que cette construction disait déjà. « Je pense qu’il m’a fallu sept ans pour dépoussiérer tout ça et me dire que, finalement, cet appel du végétal était là depuis le début ». Le passage au 100 % végétal apparaît alors non comme une rupture, mais comme l’aboutissement logique d’un chemin commencé bien plus tôt.
Refuser le militantisme, revendiquer la sincérité
Fabrice Idiart tient à une chose : ne pas être perçu comme un militant. « Je ne veux pas faire le gars qui dit : je fais le végétal, je suis le meilleur ». Il assume même la possibilité de l’erreur. « Peut-être que c’est nul, mais ce n’est pas grave». Cette phrase, loin d’être provocatrice, révèle une posture rare dans un milieu souvent prompt à la démonstration.
Le végétal n’est pas chez lui une posture morale, ni même un engagement personnel strict. Il précise ne pas être végétarien dans sa vie privée. Ce qu’il cherche, c’est une cohérence culinaire, une manière d’être sincère avec ce qu’il cuisine et avec ceux qu’il accueille.
« C’est mon courant à moi. C’est mon chemin à moi ». Cette répétition dit l’essentiel. Le choix du végétal est une guidance intérieure, pas un message adressé aux autres. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’assumer.
Le risque comme condition de justesse
Passer au végétal intégral dans un territoire aussi marqué que le Pays basque n’est pas anodin. Fabrice Idiart en est parfaitement conscient. « Oui, retirer l’animal dans un lieu gastronomique, c’est un risque ». Il sait qu’il perdra une partie de sa clientèle, notamment celle qui attend une cuisine ancrée dans l’imaginaire carné du territoire.
Mais ce qu’il gagne est ailleurs. « Je gagne, c’est très égoïste, mais aller plus loin dans mon appel, dans mon terrain de jeu ». Le mot est important : terrain de jeu gastronomique. Le végétal lui ouvre un champ d’exploration plus large, plus libre, plus personnel.
Le mot gastronomique lui-même le met mal à l’aise. Il dit ne jamais vraiment en avoir saisi la définition. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit : prendre un risque gastronomique, non pour provoquer, mais pour rester fidèle à une intuition profonde.
Le pays basque comme un ensemble de branches
À ceux qui l’interrogent sur un Pays basque sans jambon, Fabrice Idiart répond avec humilité. « Je ne suis personne pour représenter l’ensemble du Pays basque ». Il refuse toute posture de porte-drapeau. Pour lui, le territoire est un ensemble de branches : maraîchers, éleveurs, vignerons, pêcheurs, cuisiniers.
Dans cette arborescence, il occupe simplement l’une des branches possibles. « Il y a un cuisinier qui va représenter un peu plus le végétal, un autre un peu plus la viande, un autre le poisson ». Le végétal n’efface pas le territoire. Il en propose une lecture partielle, assumée, complémentaire.
Cette vision dédramatise le débat. Elle replace la cuisine dans une logique de diversité plutôt que d’opposition. Le végétal n’est pas contre le Pays basque. Il en est une expression possible, à un moment donné.
Vivre le présent, laisser le futur ouvert
Fabrice Idiart se projette peu. « Le futur, on verra ». Il préfère parler du présent, de l’instant où il se trouve. Rien n’est figé. « Ça ne veut pas dire qu’un jour je ne repartirai pas par la mer ». Le végétal n’est pas un dogme. C’est une étape.
Ce rapport au temps est central. Il refuse de théoriser à l’excès, de figer une grammaire. Il évoque même avec humour sa capture d’écran Wikipédia sur la “grammaire végétale”, qu’il qualifie lui-même de « perché ». Il ne cherche pas à définir. Il cherche à ressentir.
Dans un monde où la cuisine est souvent sommée de se justifier, de se positionner, de se projeter, Fabrice Idiart choisit une autre voie : celle de la présence. Être là, maintenant, sincère dans ce qu’il fait. Le reste viendra ou non…
Propos recueillis par Guillaume Erblang pour Food&Sens


















