clare smyth

Clare Smyth – World’s Best Female Chef 2018 – Interview pour F&S : « j’admire Anne-Sophie Pic et Hélène Darroze ; quant à Alain Ducasse, il est vraiment unique dans ce qu’il dit, et très inspirant. »

10 août 2018  0  Chefs & Actualités Eat Nomad
 

signature-food-and-sens À Londres, la World’s Best Female Chef 2018 Clare Smyth fête les un an de son restaurant Core – interview exclusive pour F&S

Les hasards du calendrier faisant bien les choses, c’est le jour du premier anniversaire de Core, le restaurant qu’elle tient à Notting Hill, que je rencontre à nouveau Clare Smyth. Nous sommes le 1er août 2018. Une météo radieuse enveloppe de sa douceur tout le quartier. Dans l’avenue d’un blanc laiteux, le Core se détache grâce à son store couleur ébène, qui coiffe l’entrée cossue juchée sur un perron. A l’intérieur, le brief du bar bat son plein, tandis qu’on me conduit jusqu’à Clare Smyth. Plus jeune chef femme britannique à avoir reçu (et conservé) trois étoiles Michelin, obtenues à l’âge de 28 ans, celle qui a été formée auprès de Gordon Ramsay a assuré pour lui la bonne destinée de son célèbre restaurant, le Restaurant Gordon Ramsay (aussi connu sous le nom de « Royal Hospital Road »). C’est à cette époque qu’elle se fait connaître, alors qu’elle est chef-patron de cette table en vue (de 2012 à 2016) – l’une des trois de Londres à afficher trois étoiles Michelin. En parallèle, elle se voit décerner l’award de Chef of the Year 2013 par The Good Food Guide, et fait plusieurs apparitions à la télévision britannique, dans des shows à forte audience comme MasterChef UK ou Saturday Kitchen. C’est en 2017 qu’elle donne corps à son souhait de voler de ses propres ailes ; Core voit le jour en été, ouvrant ses portes un 1er août.

chef clare smyth

C’est là qu’elle évolue au quotidien, dans une énergie opiniâtre. L’univers de Core, tout de pastel vêtu, se décline selon une veine épurée-chic. Une belle cuisine ouverte – que j’aperçois au vol– s’y dessine au fond, dans un vaste et chaleureux espace. On me fait asseoir près de la fenêtre. Une brève poignée de main plus tard, et voilà Clare Smyth qui s’installe face à moi, rompue à l’exercice médiatique. Visage quasi poupin de jeune fille en fleur, mais force ramassée, stature bien ancrée, et destin en marche. Dans sa chemise rose pâle impeccable, surmontée de ses yeux bleus raisonnables, elle irradie de cette concentration intacte, obstinée, que j’avais déjà perçue la fois précédente, lorsque je l’avais interviewée à Bilbao ( voir l’interview ICI ). Avec franchise et sans détours, elle répond nettement aux questions. La clarté de Clare, de fait, est une vertu centrale – le cœur des choses (« core » signifiant en anglais le cœur, le centre, l’essentiel.).  

interview clare smythrestaurant clare smyth restaurant londres clare smythrestaurant clare smyth

F&S : Bonjour Clare, ravie de vous revoir. D’autant qu’aujourd’hui exactement, vous fêtez le premier anniversaire de Core. Qu’est-ce que cette date symbolique représente pour vous ?

Clare Smyth : C’est formidable de fêter cette première année. Pour autant, je suis déjà impatiente de vivre la deuxième année de Core, avec son lot de surprises enthousiasmantes à venir. Dans l’immédiat, j’ai hâte de fêter ça avec mon équipe ; ce soir, avant le service, nous boirons le champagne tous ensemble. Et ce week-end, on fera un barbecue à l’arrière du restaurant, qui dispose d’un jardin potager et d’une cour. Le barbecue comprendra même un stand de boucher, ça promet d’être bien.

F&S : Vous avez été élue « World’s Best Female Chef 2018 » par le « World’s 50 Best Restaurants » ; pour vous, cet award est-il avant tout un tremplin, une consécration, une réussite, une pression supplémentaire, ou un challenge ? 

C.S. : Je dirais que cet award est un projecteur braqué sur mon parcours. Au-delà de ça, et bien que je me sois sentie très honorée par le fait que les gens aient voté pour moi, cet award n’a rien changé. Dans la pratique en effet, cette distinction n’impacte pas mon travail quotidien. Les efforts journaliers que je fournis, le focus constant sur l’excellence, ils sont là tous les jours. On travaille avec cette volonté-là constamment ; l’award vient reconnaître ces efforts, mais ils étaient déjà fournis antérieurement. Ceci étant dit, cet award a une vraie utilité, en ce qu’il fait office d’outil très puissant pour ouvrir le débat sur la place des femmes en cuisine. Il permet de remettre ce sujet sur la table. Ce faisant, il donne aux femmes chefs la possibilité de raconter leur histoire, et donc, d’inspirer d’autres femmes chefs. Je trouve cet effet-là essentiel. Telle est la manière dont j’espère utiliser mon Award ; s’il peut servir d’inspiration aux autres femmes, j’en serais ravie.

F&S : En dehors de cet award, vous sentez-vous concernée par le débat de la place des femmes en cuisine ?

C.S. : C’est un sujet auquel on m’a historiquement toujours associée, depuis qu’à l’âge de 28 ans, j’ai été la première femme chef à recevoir trois étoiles Michelin. Depuis ce jour, la presse m’a toujours posé des questions en lien à ce thème – un peu à mon corps défendant, d’ailleurs, dans la mesure où je ne me considère pas comme une femme chef, mais bien comme une chef. De ce fait, quand j’étais jeune je trouvais ces questions agaçantes, car je voulais qu’on se concentre sur mon parcours et non sur mon genre. Tout ce qui m’importait à l’époque, c’était de m’améliorer en tant que chef, de devenir meilleure, etc. Mais au final, si on me parle de ce thème, et bien ça me va, tant que cela permet à d’autres femmes chefs de s’assumer en tant que telles, et d’être inspirées par ce statut.

F&S : À Londres, deux autres femmes chefs-patrons ont elles aussi reçu par le passé l’award de la World’s Best Female Chef. Je parle bien sûr des Françaises Hélène Darroze et Anne-Sophie Pic (la première tenant Hélène Darroze at The Connaught, et la seconde La Dame de Pic London au Four Seasons Ten Trinity Square). Les connaissez-vous personnellement ?   

C.S. : Oui, je les connais très bien, et depuis longtemps. Je les admire toutes les deux depuis des années. L’une comme l’autre sont des femmes incroyables. Je vais souvent à leurs restaurants. J’ai d’ailleurs une anecdote à vous partager ; cette année, j’ai fêté le Nouvel An au Connaught, au restaurant d’Hélène Darroze. C’est là que j’ai déjeuné. Il n’y a pas de meilleur endroit au monde pour commencer une nouvelle année ! (Rires). 

Core londres

Préparation du barbecue festif pour l’équipe du Core ; la team fête les un an du restaurant

restaurant core londres

F&S : La presse britannique n’est pas toujours tendre envers les restaurants (et les chefs), certains critiques culinaires n’hésitant pas à démolir une table qu’ils n’ont pas aimée. Du coup, pensez-vous que les chefs ici craignent la presse locale ? Ou s’en accommodent-ils ? 

C.S. : (Rires.) Disons que nous sommes tout à fait au courant du style d’écriture de certains critiques culinaires, ainsi que du genre de restaurants qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas. Il est clair qu’ici, il y a une certaine presse dont la tradition journalistique tient plutôt du tabloïd sensationnaliste que du récit factuel. Ce genre d’articles n’apportent rien de positif ou de constructif à l’industrie culinaire. Heureusement, d’autres critiques ont quant à eux à cœur de pousser notre secteur toujours plus loin, et produisent des articles bien informés, qui restent au plus près des faits. Quoi qu’il en soit, tout cela a moins d’importance désormais ; en effet, le jeu a changé ces dernières années. Désormais, ce qui compte surtout, ce n’est plus d’abord la presse, mais les clients. A l’heure où tout un chacun peut commenter sur internet sa dernière expérience culinaire, et s’improviser critique culinaire, l’impact de la presse s’en trouve minoré. Aujourd’hui, ce sont les clients qui ont la voix la plus puissante. En ce qui me concerne, je lis la presse culinaire bien sûr ; mais ce sont d’abord les clients que j’écoute.

F&S : Parlez-nous d’Angela Hartnett, autre protégée fameuse de Gordon Ramsay. Vous vous connaissez ?

C.S. : Je la connais depuis très longtemps. J’avais 22 ans lorsque j’ai intégré le groupe de Gordon Ramsay ; elle était alors l’un des chefs principaux du groupe. C’est une femme purement incroyable. Elle est très calme, très concentrée, gentille, tout en étant une businesswoman aguerrie, au succès bien établi. Et d’ailleurs, si j’avais besoin d’un conseil aujourd’hui, ce serait vers elle que je me tournerais.

F&S : Concernant la France et sa cuisine, y a-t-il un chef français qui vous inspire particulièrement ? 

 C.S. : Il y a bien sûr Alain Ducasse, qui est l’une de mes plus grandes inspirations. (NDLR : Clare Smyth a travaillé deux ans au Louis XV, à Monaco). De lui, je retiens le respect de la profession, le respect du produit, le respect de la cuisine, et celui de l’histoire de la cuisine. Ce sont des valeurs que je conserve, et en lesquelles je crois. Alain Ducasse est vraiment unique dans ce qu’il dit, très inspirant. Et il se soucie vraiment de la génération suivante. Il ne s’arrête jamais, il n’a peur de rien. Il a foi en lui et en ses équipes. Il sait que le monde change, qu’il faut qu’on mange différemment. Il donne l’exemple. Il n’est jamais effrayé d’aucun challenge.  

menu restaurant core londres carte restaurant core londres menu restaurant core

F&S : D’un point de vue international, la cuisine britannique n’est généralement pas considérée comme étant la plus grande cuisine au monde ; et pourtant, un grand nombre de chefs étoilés étrangers ont une table à Londres (feu Joël Robuchon, Anne-Sophie Pic, Hélène Darroze, Pierre Gagnaire, Alain Ducasse, Elena et Juan Mari Arzak…). De plus, la capitale anglaise est devenue un véritable hub culinaire ces dernières années. Comment analysez-vous ce paradoxe ?

C.S. : Je dirais que tout cela est rendu possible par l’ouverture d’esprit des Britanniques. Ici, les gens sont multiculturels, ce qui les poussent à s’intéresser à toutes les cuisines. De plus, comme ils mangent beaucoup dehors, la scène culinaire locale est très dynamique – surtout à Londres, ville en plein boom. Et puis, à la clientèle locale s’ajoute bien sûr aussi la clientèle internationale, qui participe à remplir tous ces restaurants. Sans oublier le fait que Londres est la ville au monde où vous trouverez le meilleur rapport qualité/prix dans les restaurants – surtout dans les grandes tables. Indéniablement, cela concourt à l’aura culinaire de la capitale.

F&S : Quels sont vos projets pour la suite ? Un livre de recettes ? L’ouverture d’un second restaurant ? Un programme télévisé, peut-être ?

C.S. : Je pense faire un jour un livre de recettes. Mais cela n’arrivera que lorsque j’aurais du temps, d’une part, et un vrai concept, d’autre part. Je ne veux pas faire un livre pour faire un livre. Même chose pour la télévision ; disons que pour l’instant, je n’envisage pas de devenir un chef de télé. Ce n’est pas mon objectif actuel.

Propos recueillis par Anastasia Chelini 
Photos : courtoisie du Core by Clare Smyth 
FACEBOOK TWITTER
VOTRE CLASSEMENT
  • Mmmm interessant (71%)
  • Je suis fan (29%)
  • Amusant décalé (0%)
  • Inquiétant (0%)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *