Au Château de la Gaude en Provence, le chef Matthieu Dupuis-Baumal se raconte pour F&S : « nous tirons notre originalité du fait que le Château de la Gaude était jadis une maison de famille »
Un nouveau lieu a ouvert ses portes sur les hauteurs d’Aix-en-Provence.
Petit bijou de bonheur et de nature, enveloppé dans un vaste domaine planté de vignes et de grands arbres, le Château de la Gaude a ouvert il y a quelques mois, en bordure d’Aix-en-Provence. Ce lieu idéal, qui a servi de décor au film « Le château de ma mère » (par Yves Robert), déroule ses flancs préservés autour d’une bastide 17ème, que complimentent des jardins à la française. Cette nouvelle adresse grand luxe offre un spot raffiné où dîner, à la jeune table gastronomique Le Art, tenue par le chef Matthieu Dupuis-Baumal.
C’est dans ce cadre que le chef sert une partition savoureuse, dont on retiendra l’intéressante quadrilogie sur le pigeon, entre autres bonnes choses. En dessert, la jeune chef pâtissière Maëlle Bruguera signe à son tour une ode à la Provence, en travaillant la figue comme fruit emblématique de la saison. Du côté de la cave, le Château de la Gaude se veut aussi un domaine viticole en tant que tel ; en plus de produire ses propres vins, le lieu dispose également d’une belle boutique design façon cave à vin, avec espace de dégustation attenant. On s’est rendu sur place, pour découvrir ce château et sa table. Notre bilan ? À faire absolument. De l’accueil impeccable par l’ensemble de l’équipe, en passant par la beauté du lieu, sa quiétude bienfaisante, et sa sophistication bon ton, le Château de la Gaude a tout bon. En attendant de vous y rendre, retrouvez ci-dessous notre échange avec le chef Dupuis-Baumal, qui centre ses efforts sur la cohésion en cuisine, l’usage de beaux produits, et des clients chouchoutés jusqu’à plus faim.
F&S : Bonjour Matthieu ; comment se passe cette ouverture ? La table gastronomique du château a-t-elle déjà ses habitués ?
Matthieu Dupuis-Baumal : Oui, déjà ! Parmi nos fidèles clients aixois, on compte une trentaine de personnes qui sont venus entre 3 et 4 fois en 4 mois d’ouverture. Certains d’entre eux sont même venus entre 10 et 20 fois. Il y en a qui organisent déjà de petits séminaires ici. De notre côté, on essaie vraiment de répondre à toutes les demandes personnalisées ; et ça plaît beaucoup aux clients. C’est là d’ailleurs notre force : on personnalise l’offre. Du coup, le bouche-à-oreille s’est bien mis en place ; on a déjà un petit réseau de clients américains, belges et norvégiens, en plus des clients Français. Ceci dit, ce sont ces derniers que nous souhaitons fédérer avant tout.
F&S : Comment prévoyez-vous d’inscrire Le Art dans le paysage gastronomique et culinaire d’Aix-en-Provence (et de ses environs) ?
M.D-B. : Il y a déjà beaucoup de belles tables à Aix ; mais plus il y en a, plus ça fait monter la destination. D’autant que les clients aiment bien changer, passer d’une table à l’autre. Et puis, Aix est une ville de passage, qui reçoit beaucoup de monde ; c’est bien que son offre culinaire soit large. Quant à nous, nous tirons notre originalité dans le fait que le Château de la Gaude était jadis une maison de famille, et non un hôtel-restaurant ; ce qui veut dire qu’on part de zéro du point de vue de l’aménagement intérieur des espaces. On peut penser le lieu selon notre idée, contrairement à ceux qui reprennent une affaire précédente, dont la structure est déjà installée.
F&S : Parlez-nous de votre cuisine ?
M.D-B. : C’est une cuisine du monde, faite à partir de produits de la Provence. J’aime utiliser de très beaux produits ; par exemple, tous nos poissons sont des poissons de ligne ; on ne travaille presque qu’avec l’arrivage. Pareil pour les crustacés, les ormeaux, les langoustes : on travaille au jour le jour. Par ailleurs, notre offre culinaire s’enrichira bientôt d’un second restaurant, La Source, à l’esprit bistronomique ; la cuisine y sera cosmopolite. Il y aura des tapas, un espace bar à cocktails, et un DJ régulier. Autre projet, la venue prochaine de notre propre boulanger, Mickaël Martinez, qui a été finaliste du concours 2018 « Un des Meilleurs Ouvriers de France » dans la catégorie boulangerie ; il aura son laboratoire, et à terme, une petite boutique dans le domaine. D’autres projets culinaires sont également à l’œuvre, comme organiser des soirées dégustation dans notre cuvier, qui est très beau. Mais on ne se précipite pas ; nous sommes encore en train de structurer notre offre.
F&S : Votre équipe semble très soudée, et particulièrement douée pour ménager aux clients un bel accueil. Comment vous-y-prenez-vous ?
M.D-B. : La première chose, c’est que les gens qui travaillent ici sont tous très motivés par le projet. Et puis, une bonne équipe, cela passe aussi par un bon recrutement ; pour ma part, je crois beaucoup au fait de faire évoluer les équipes en interne. L’essentiel, c’est de recruter de bons états d’esprit, et de bonnes personnes. Les faiblesses, on travaillera dessus ! Une équipe qui fonctionne, c’est également une question de management. Moi qui fais énormément de sport, et notamment du rugby, je compare beaucoup notre métier à ce sport. Au rugby en effet, les équipes sont composées de 15 personnes, toutes très soudées, solidaires, et fières de leur maillot ; c’est la même dynamique ici. Mon équipe en cuisine m’appelle par mon prénom, et non pas ‘chef’, terminologie que je trouve trop old school. Il y a vraiment une proximité entre nous – qui n’empêche pas le centrage et la concentration. Bien sûr, la hiérarchie est très présente en cuisine ; mais je persiste à dire que si on veut être crédible auprès de nos équipes, il faut leur montrer qu’en tant que chef, on mérite le poste qu’on a. Ce qui passe par le travail, et par la façon d’être. Personnellement, je suis sur le terrain tout le temps ; je suis aux cuissons, à tout. Et puis, en arrivant ici, je me suis demandé ce qui m’avait manqué lors de mes années d’expérience dans des maisons étoilées ; c’est la reconnaissance… Alors je veille à mettre mon équipe en avant. Chaque fois que les clients me disent que c’était délicieux, je pense aussitôt à remercier l’équipe. Il est très important de communiquer sur l’équipe ; de la remercier pour l’année de travail qui a été accomplie ; et de l’encourager pour l’année de travail à venir.
F&S : À ce sujet, le milieu de la restauration se plaint de manière récurrente du manque de personnel. Qu’en pensez-vous ?
M.D-B. : C’est vrai qu’on a plein de collègues qui se plaignent que le personnel ne reste pas ; mais il faut aussi s’interroger sur la façon dont on le traite. Dire qu’aujourd’hui, les jeunes ne veulent pas travailler, c’est faux. Il faut juste bien les traiter. Justement, mon équipe et moi partons dans quelques jours en Italie, pour un court séjour que l’on a financé avec les pourboires mutualisés. On a prévu d’aller visiter les domaines viticoles de l’Alba, la capitale de la truffe blanche ; de découvrir les noisettes du Piémont ; et d’aller déjeuner au Piazza Duomo, un trois étoiles exceptionnel à Alba. Rien de tel pour fusionner l’équipe, tout en la nourrissant culturellement et culinairement. On avait déjà fait ça il y a deux ans, en amont de l’ouverture du Château ; nous sommes partis tous ensemble au Japon, pendant 20 jours. Cette année, c’est au Brésil que nous irons, pour 20 jours aussi ; là encore, nous y ferons plein de déjeuners… Vous savez, on ne peut plus être chauvin comme avant ; il faut absolument aller voir ailleurs ce qui se fait. D’autant qu’il se passe de très belles choses ailleurs.
F&S : Avec Le Art, rêvez-vous aux étoiles ? Sont-elles l’un de vos objectifs affichés ?
M.D-B. : J’adore mon métier, à 100% ; et j’ai travaillé dans plusieurs belles tables étoilées, comme La Grande Cascade, le George V, le Puits Saint-Jacques à Toulouse, le Domaine de Manville aux Baux-de-Provence (où j’ai été le chef exécutif pendant 3 ans et demi). À ce titre, bien sûr que les étoiles, c’est ce que l’on veut… Mais il faut relativiser. Notre rôle principal, c’est de prendre du plaisir, et que les clients soient heureux. Et qu’ils reviennent. D’où notre grand objectif au Château de la Gaude : assurer un bel accueil. Et créer un lieu d’exception, où rien n’est négligé ; ni la cuisine, ni le mobilier, ni l’accueil.
F&S : Diriez-vous que de nos jours, le stress est encore très présent dans la gastronomie ?
M.D-B. : Oui. Mais ce métier est stressant par nature, car si les clients ne sont pas contents, on n’a pas de seconde chance. Le verdict est immédiat. Pour notre part, on essaie d’être proches de nos clients, pour qu’ils nous disent ce qu’ils pensent. D’ailleurs, on les invite l’un après l’autre à passer en cuisine, pour créer un peu d’interaction autour des plats, et pour casser les codes. De la sorte, ils voient les produits qu’on utilise, et notre façon de travailler. Cela participe également à créer un lien avec eux.
Par Anastasia Chelini