Fatema Hal dénonce la mode “pizza façon tajine”:  » La tendance est à chercher à ressembler à l’autre, Nous sommes envahis d’images, de modèles à imiter… « 

27 juin 2019  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens Kenza Aaloui pour HuffPost est allée à la rencontre de la chef Fatema Hal, passionnante discussion à découvrir ci-dessous, la chef du restaurant La Mansouria à Paris, explique son parcours de vie, ses craintes, ses joies, et comment elle a espoir pour les jeunes générations…

Photo Clara Langlois Lablatinière

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Il semblerait que vous n’étiez pas forcément destinée à faire de la cuisine. Comment s’est fait votre déviation professionnelle?

Je suis à la fois cuisinière, cheffe et anthropologue mais de façon assez atypique. Je n’ai pas du tout eu une vie avec un avenir tracé. Au départ, je suis arrivée en France comme beaucoup de femmes maghrébines immigrées. On m’a mariée en France très jeune et j’ai eu eu trois enfants dans la foulée. Un cousin, que j’admirais beaucoup, qui faisait du théâtre, m’a dit un jour que je ne pouvais passer toute ma vie à la maison à m’occuper des enfants. Il m’a encouragée à m’inscrire à l’université, m’a rappelée que j’avais été brillante à l’école. Il a suffi d’une phrase, d’un regard différent, pour que je m’autorise à rêver à autre chose pour moi-même.

J’ai commencé à travailler, j’ai obtenu mes équivalences avec la France et je me suis inscrite à Paris 8. Toute ma vie a changé à partir de ce moment précis. J’ai préparé une licence de littérature arabe d’expression française, par la suite, en troisième cycle j’ai fait l’École pratique des hautes études (EPHE) en ethnologie du Maghreb, ma directrice de thèse était Camille Lacoste-Dujardin qui succédait à Germaine Tillion. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires. A ce moment là, je ne pensais pas du tout devenir restauratrice. J’étais militante, très active autour des droits des femmes, féministe évidemment mais je n’ai jamais adhéré à aucun parti parce que je n’aime pas l’enfermement. J’aime bien la découverte et quand j’ouvre une porte, j’aime me laisser la possibilité d’en ouvrir une autre, en toute liberté.

J’ai été chargée d’études, j’ai réalisé un programme sur les femmes tout en poursuivant mes études, j’ai été conseillère technique au Ministère du droit des Femmes où les contrats duraient deux ans. J’ai eu envie de créer mon entreprise pour sortir de la logique des contrats courts, à renouveler, qui pourraient potentiellement me mettre au chômage à un moment donné. A chaque fois que je recevais des amis, de la famille, on me disait que je faisais ça bien, que je devrais ouvrir un restaurant. J’ai réalisé que j’aimais manger, que j’aimais recevoir et que par dessus tout j’aimais les gens alors je me suis dit, pourquoi pas un restaurant?

Alors dites-nous, comment est né Le Mansouria?

Evidemment, ça a été très très difficile. En 1984, je vendais des repas par avance. Aucune banque n’a voulu me prêter de l’argent, je n’avais ni apport personnel ni garantie. Via des associations, je faisais des dîners, on me prêtait une salle. J’avais un carnet de bons, que je vendais, un bon pour un repas dans un futur restaurant qui n’existait pas! Finalement les gens se sont pris au jeu, certains m’ont demandé des carnets qu’ils prenaient la peine de vendre eux-mêmes, à leur propre entourage. J’ai réuni 100.000 francs comme ça. J’ai ouvert le 2 janvier 1985 un tout petit restaurant, un boui-boui, un ami m’a prêté son frigidaire qu’il a débranché de sa cuisine pour me l’apporter. J’ai eu une presse extraordinaire qui avait entendu parler de mon histoire, ce qui m’a amené une clientèle extraordinaire également : Kenzo était l’un des premiers, le monde de l’art, les journalistes, le parti socialiste etc.

 

Comment décririez-vous le milieu dans lequel vous vous êtes insérée?

C’était très dur, mais la dureté je connaissais. C’était très misogyne mais ça aussi je connaissais, certains de mes fournisseurs qui arrivaient pour me livrer et qui demandaient le patron parce qu’ils ne pouvaient pas imaginer que ce soit moi la patronne. C’était un peu raciste mais ça aussi je connaissais. Le client qui déguste votre corne de gazelle sortie du four et qui vous dit “Ce n’est pas une corne de gazelle, je connais très bien le Maroc, j’y ai vécu 5 ans, je sais ce que c’est.” Les cornes de gazelle glacées au sucre, il ne connaissait pas. Dès le départ j’ai compris que, quoi que je fasse, je ne serai ni la restauratrice traditionnelle, ni la cuisinière traditionnelle, ni la cheffe traditionnelle.

Pourquoi vous dédier à la cuisine marocaine?

Je me sentais obligée, comme un devoir, je suis née au Maroc, j’y ai grandi, le Maroc m’a donné et je voulais lui rendre quelque chose. Aussi, il y avait beaucoup de malentendus, beaucoup d’idées reçues sur la cuisine marocaine dont une qui m’a scandalisée, c’est l’amalgame avec la cuisine “orientale”. On me disait que j’avais ouvert une restaurant de “cuisine orientale”. Pour moi, le Maroc avait une identité culinaire à faire valoir, mon combat a été de montrer cette richesse, de la rendre accessible. D’une table à l’autre dans mon restaurant, puis d’une conférence à l’autre, d’une invitation à l’autre, j’ai parlé de la culture marocaine, de la cuisine marocaine, des produits du Maroc.

Vous mentionnez la cuisine du lien très régulièrement dans vos interventions, pouvez-vous nous en dire un peu plus?

J’ai toujours travaillé sur la cuisine du lien : qu’est-ce qui me lie aux autres? La chose la plus commune c’est la nourriture. La cuisine est politique, elle est économique, elle est sociale, elle est culturelle. J’ajoute culturelle presque par provocation parce qu’on lui reconnaît cet acte-là mais on lui renie le reste. Et pourtant c’est évident! L’économie mondiale est basée sur l’agroalimentaire. A partir de ce constat, j’essaye d’en faire quelque chose de plus optimiste, qui réunit les gens, qui change le regard des gens. Cuisiner pour suivre des recettes ou faire les recettes de sa mère, ça m’ennuie très vite. Quand je suis en Grèce et que je vois un kaak qui est fait exactement comme à Oujda mais qui n’existe pas à Marrakech ou Casablanca, que j’essaye de comprendre, je pense à l’Empire ottoman qui s’est arrêté aux frontières avec l’Algérie. Et peut-être que si je faisais davantage de recherches je réaliserais que le kaak vient de Grèce avant d’avoir voyagé avec les Ottomans. C’est ça qui m’intéresse dans la cuisine! 

Dans cette compétition de soft power entre les nations, entre les cultures, j’ai le sentiment que le Maroc est un peu en retard par rapport à d’autres pays. Partagez-vous ce constat? Comment expliquez-vous cette situation?

Je partage ce constat depuis très longtemps. Le problème à mon sens, est que nous sommes très peu à travailler sur la question, notre parole est prise au sérieux jusqu’à un certain stade, mais jamais suffisamment. Ici en France, il y a des universités de goût, des facultés, des sociologues, des historiens, des psychanalystes qui travaillent sur la question alimentaire. De nôtre côté, nous avons une grande cuisine, des techniques ancestrales extraordinaires, une histoire fantastique et rien pour préserver et mettre en valeur cet héritage. Il existe une confusion à la fois malsaine et dangereuse autour des chefs. Effectivement, nous avons de plus en plus de très bons chefs, mais ces très bons chefs sortent d’écoles où ils ont suivi des enseignements de cuisine française. Nous n’avons pas de chefs qui sortent d’écoles d’excellence de cuisine marocaine puisque ça n’existe pas! Avant de se spécialiser en cuisine marocaine, pour devenir un Robuchon (Que Dieu ait son âme), un Ducasse, il y a une longue vie de travail dans leur propre cuisine nationale. Les chefs en question ne sont pas à blâmer parce que la formation n’existe pas. 

La création d’une école de cuisine marocaine serait dans vos projets?

Jusqu’à maintenant, je continuerai à me bagarrer pour y arriver, même si je sais que c’est probablement peine perdue. Ça coûte très cher, et personne ne semble vouloir investir dans l’éducation, même les personnes les plus fortunées. Je pense que ce serait plus simple si l’initiative venait d’un chef français, même s’il ne connaît rien à la cuisine marocaine. La confiance serait là, le prestige serait là dans cette logique que l’on connaît si bien, tout ce qui vient de France est meilleur que ce qui se fait chez nous. On ne s’aime pas, alors c’est difficile de se faire confiance, de se projeter, de créer. On aime sa mère, on aime la cuisine de sa mère, mais il faut professionnaliser la cuisine, tenir compte de l’expertise des professionnels, sensibiliser le public à la cuisine sans pour autant couper le lien affectif. Les émissions de cuisine et les écoles sont en mesure de faire ce travail, nous avons les unes, pas les autres.

Aujourd’hui, je travaille au lancement d’un site Internet pour rendre service à notre patrimoine, dont le but est de sauvegarder, de sensibiliser, de former, dans la mesure du possible, avec une web channel dédiée, qui pourra peut-être préparer le terrain à un projet d’école qui sait?

Je voulais que vous me parliez de raffinement. C’est un mot qu’on entend parfois associé à la cuisine marocaine. Comment réagissez-vous à ces qualificatifs qu’on décide d’attribuer, de façon plus ou moins violente et plus ou moins arbitraire?

J’ai consacré une de mes émissions, “Les choses qui fâchent” à cette question. Qu’est-ce-qui est élégant, raffiné, dans le regard de l’autre? Le raffinement est une lenteur, une façon d’être, presque une forme de méditation, de contemplation. En cuisine, il dépasse la nourriture pour couvrir le choix du contenant, le choix des mots, la façon de recevoir. Il implique le respect de l’ancien, de l’expertise, de l’écoute. Le raffinement requiert de l’élégance, du travail, de la culture (sans forcément être allé à l’école d’ailleurs), du temps et de la réflexion.

Il me semble que le raffinement traditionnel est quelque chose que nous avons encore, mais de moins en moins. La tendance est à chercher à ressembler à l’autre, ce qu’on pourrait vulgairement appeler la mode “pizza façon tajine”. Nous sommes envahis d’images, de modèles à imiter, l’information circule à toute vitesse. Le Maroc était connu pour son raffinement, l’Empire Ottoman était connu pour son raffinement. Le raffinement est peut-être né dans la civilisation arabo-musulmane. Aujourd’hui c’est à nous, les premiers concernés, de montrer le contraire des représentations qui pèsent sur nous. Cela ne peut se faire que par le travail et pas le bricolage, par l’accomplissement et pas seulement dans le discours.

Vous avez publié de nombreux livres de cuisine, puis, en octobre 2018, votre première fiction “Le discours amoureux des épices” aux éditions Zellige. Pourquoi avez-vous décidé de passer ce cap vers ce nouveau format?

Je suis fascinée par les histoires. Dans ma génération, dans mon milieu, on a grandi sans télévision. Le conte était très présent dans mon enfance, bien avant l’école. Ecouter des contes est un formidable levier pour l’imagination….

Photos Instagram F Hal

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