Alexandre Mazzia : « faire ce qui existe déjà, ça ne m’intéresse pas »

09 septembre 2017  3  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens  Après ses aventures culinaires à Londres, Anastasia notre journaliste-foodiste a jeté l’ancre à Marseille. Elle nous dévoile cette fois sa rencontre avec le chef Alexandre Mazzia, qui tient une table encensée dans la capitale du sud, « AM par Alexandre Mazzia ». Récit.

Autres lieux, autres food. Après Londres, c’est à Marseille que je me suis rendue, le temps d’une auscultation culinaire de rigueur. Dans la cité phocéenne, la rumeur me désigne le restaurant AM, signé par le chef Alexandre Mazzia, comme LE lieu à tester de la ville. L’établissement cumule en effet les récompenses prestigieuses : une étoile Michelin reçue six mois après son ouverture, le Prix Créateur de l’année lors des dix ans du festival Omnivore Paris World Tour décerné à Alexandre Mazzia, le Trophée Gault et Millau d’or de la région PACA, l’entrée dans le classement des meilleurs restaurants d’Europe… Bref, un lieu à suivre de près. Rendez-vous est donc pris avec le maestro, pour découvrir sa table et pour le rencontrer. Portrait d’un phénomène de la gastronomie, pour qui la cuisine rime avec engagement.

Unique. Voilà l’adjectif le plus immédiat qui convient pour décrire le travail d’Alexandre Mazzia. De fait, il le dit lui-même, à sa façon et sans prétention aucune : « faire ce qui existe déjà, reprendre ce qui a été fait, non. Ça ne m’intéresse pas. » Le ton est donné. Puriste, chercheur, anticonformiste, un peu tout ça à la fois, Alexandre Mazzia est lancé à vive allure sur les pentes d’une quête culinaire sans répit. Sa vocation, de fait, a des contours quasi sacerdotaux, ne tolérant ni facilité, ni compromis. « Mon ambition avec AM, c’est de faire sortir les gens de leurs habitudes alimentaires. Pour ce faire, je m’emploie à les surprendre le plus possible », explique-t-il. Mission accomplie : sur les tables épurées d’AM, ne trône aucun menu, rien. Juste, un carton rectangulaire en cuir noir, sur lequel sont gravés quatre formules et leur prix, réparties en deux formules pour le déjeuner et deux formules au dîner. Pour le reste, c’est le chef qui voit. Carte blanche.

Alors nous jouons le jeu. Ne s’attendre à rien, et donc s’attendre à tout. Le chef se lance ; concentré comme un chirurgien sur une table d’opération, Alexandre Mazzia opère ses plats face au public, sur un bar bordant sa cuisine ouverte, auquel on peut s’accouder. De cuisine-spectacle, il n’est pourtant rien. Absorbé totalement, le chef est tout à sa cuisine.

Ce qui ne l’empêche pas, à intervalles suivis, d’être également connecté à la salle. D’abord par cette posture volontaire de travailler face aux clients. Ensuite, parce qu’entre deux préparations, il couve la salle des yeux, à l’affût des réactions, guettant le contentement, l’appréciation des convives abondants. « Le rapport au client est essentiel », confie-t-il. « Et puis, ma cuisine est tellement personnelle », ajoute-t-il (d’où son attente des réactions de ceux qui la goûtent) ; « elle est indissociable de mon intellect, de mes émotions. Elle est comme un don de soi, un partage de mes émotions avec les gens. Dans ma cuisine, je me donne totalement… » Et ça se sent. À fleur de peau, Alexandre Mazzia ne pense qu’à une chose : faire plaisir à ceux qui sont à sa table. À chaque service, il se livre comme un artiste effectuant une performance : entièrement, sans filets, sans filtres. Entre lui et la salle, pas de sas de décompression ; c’est corps et âme qu’il entre en scène.

Voilà qui explique sans doute pourquoi AM n’est pas un restaurant comme les autres ; il est l’antre absolu de la création libérée, la terre de l’improvisation, le flambeau d’une révolution culinaire en marche. À la manière des explorateurs, Alexandre Mazzia y innove perpétuellement son monde culinaire. « J’ai horreur de la répétitivité. À AM, je ne fais jamais deux fois la même chose. » Du sur-mesure tous les jours, donc. Du clé-en-main. « J’ai ouvert cette table pour ça ; pour libérer les gens de toute contrainte. Ici, je m’occupe de tout pour eux. En fait, je me suis mis à leur place. Je me suis demandé ce que moi-même, j’attendais d’un restaurant : que le chef me surprenne, et qu’il cuisine avec les meilleurs ingrédients. C’est le partis-pris d’AM. »

Concrètement, comment s’y prend-t-il pour renouveler sans cesse ses menus ? « Je ne passe aucune commande. Mes maraichers et producteurs m’apportent ce qu’ils ont chaque jour. C’est ce qui garantit qu’ici, on ne fait jamais deux fois la même chose. Ma cuisine est celle du moment. » Et le produit du jour, son seul guide. Autrement dit, le luxe à l’état pur ; celui de ne travailler que des pièces de choix, des pièces uniques. (80% d’entre elles sont issues de la permaculture.)

Avec un tel moto, pas étonnant qu’AM soit plein midi et soir. On ne s’y pointe pas sur un coup de tête : il faut réserver à l’avance. 24 couverts pour un seul chef, qui mène tout de front cinq jours sur sept – les deux jours restants, le restaurant est off. Avec les limites, éventuellement, que la formule comporte : sans lui, AM n’ouvre pas…

Mais au fond, est-ce si étonnant qu’AM et Alexandre Mazzia soient indissociables ? Sans doute pas. Le nom du restaurant, déjà, va dans ce sens, qui reprend les initiales du chef. Le logo aussi, avec son A cerclé d’un rond, qui « évoque le A du mot âme », explique Alexandre. Impossible, définitivement, pour l’un de fonctionner sans l’autre. Sa cuisine étant unique et changeante, indexée sur son âme, donc, il ne peut y avoir que lui à la barre. C’est là que le chef devient artiste ; plus de transmission des recettes à une brigade les reproduisant, mais un unique artiste, qui renouvelle son numéro tous les jours.

Aussi, je ne suis pas surprise lorsque le chef me glisse qu’il est féru d’art contemporain. Forcément. Rien qu’à voir l’un de ses plats du jour, qui présente de fervents traits communs avec des toiles de Miro, on se doute que cet homme-là est connaisseur. « J’ai visité tous les musées du monde », confirme-t-il sans s’en rendre compte. « L’architecture et l’art nourrissent mon travail. » Son art à lui, ce sont ses menus inventés le jour-même, telles des symphonies culinaires, composées comme un ensemble de séquences successives.

Logiquement, ce qui devait arriver arriva : le Musée Guggenheim de New-York a sollicité Alexandre Mazzia, pour une collaboration qui prendra place en janvier 2018. Il interprétera pour eux une œuvre, a priori un Botero, dans le cadre d’un événement conviant des chefs, musiciens et artistes à interpréter les œuvres du musée selon leur art. Et parce qu’une nouvelle de ce genre n’arrive jamais seule, c’est pour le musée Cantini de Marseille qu’il réalisera une interprétation culinaire en mai, pour la collection Burrell. 

Dans l’intervalle, AM continue de rayonner. Sur la ville comme sur la région, et encore au-delà. Ouverte en juin 2014, cette table fréquentée par le tout Marseille fédère une solide clientèle d’habitués, en plus des clients de passage, venus de loin pour découvrir l’endroit. Pour ceux qui seraient sur Marseille du 10 au 17 septembre, n’espérez-pas découvrir AM, car Alexandre a été nommé parrain du jambon ibérique Cinco-Jotas, et s’envolera pour Shanghai, au Shangri-La, pour y animer des Master Class autour de ce jambon.

D’ici là, rendez-vous dans quelques jours, pour découvrir le menu du jour testé chez AM. Un menu qui m’a fait voyager.

                                                                                                                                   Par Anastasia Chelini

AM par Alexandre Mazzia : 9 rue François Rocca, Marseille. Tel : +33 491 24 83 63

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