Le 10 : 20 sur 20 à Christophe Langrée
Saint-Germain-en-Laye sommeillait un peu dans son assiette quand, il y a quatre mois, Christophe Langrée la réveilla en ouvrant son restaurant rue des Louviers, à deux pas du RER : Parisiens de l’intra-muros, vous n’avez aucune excuse pour ne pas y aller. Et vous ne pouvez pas le louper, c’est au 10 et ça s’appelle Le 10. Christophe a mis du temps à trouver ce nom, mais ce choix le représente bien. Une longue recherche aboutit à un résultat très simple : c’est ainsi, en une phrase, qu’on peut résumer la grande cuisine.
Le mot n’est pas trop fort. Christophe Langrée a un CV à vous mettre au tapis : Breton (comme tant de chefs excellents), étoilé Michelin à l’âge de vingt-neuf ans (il était alors chef de L’Abbaye Saint-Ambroix, à Bourges), cuisinier de l’hôtel Matignon de 2008 à 2014. Il garde de très bons souvenirs de sa collaboration avec François Fillon et de moins bons du Faust, restaurant sous le pont Alexandre III où il décida de rendre son tablier car la maison ne lui permettait pas de travailler à la hauteur de ses critères de qualité, notamment pour les produits. Il sait faire ça, Christophe : quitter un emploi quand l’idée qu’il se fait de la cuisine et de son métier n’est pas satisfaite. C’est pourquoi un repas chez lui, bien qu’accessible dans tous les sens du terme, est une sorte de privilège : on a affaire à un chef qui a su plus d’une fois changer de trajectoire pour l’amour du beau travail.
Il fait très froid à Saint-Germain ce soir-là, quand je pousse la porte du 10. La façade noire largement vitrée dégage une lumière douce qui invite à entrer. L’intérieur est élégant : bois blond, ivoire, pierre claire et métal gris, sur lesquels se détachent avec grâce les livrées noires des gens de salle. Ce très beau décor, sobre et apaisant, est dû aux architectes designers Paula et Jérôme Chauvigné des studios Random Line. De la cuisine parviennent par bouffées des fumets de rôti, de jus de veau, de champignons mijotés, de thym brûlé. Des arômes complexes, profonds, infalsifiables. On cuisine sérieusement ici, c’est clair.
Jade, la sommelière, me propose un sauvignon de Touraine pointe-d’agrumes qui a bien choisi son nom avec ses fines notes d’écorce de citron frais. Elle m’annonce que la carte est établie par Jonathan Bauer-Monneret, meilleur sommelier de France 2015 que j’ai connu à Spring. Excellente surprise de voir Jonathan collaborer avec Christophe. Ces deux-là se sont bien trouvés.
Pour la carte des vins comme pour le reste, Christophe Langrée sait s’entourer. Il prend très au sérieux la qualité des produits et cultive des relations longues et fidèles avec de grands fournisseurs : Gilles Jégo, mareyeur à Étel, pour les produits de la mer, Olivier Metzger pour les viandes, La Ferme Sainte-Suzanne à Saint-Germain pour les fromages. Et Gontran Cherrier pour ce pain au miso qui en jette. Miso et levain : la rencontre étonnante, et réussie, de deux saveurs fermentées.
Il accompagne un caviar d’aubergine tout simple, onctueux et fondant, support pour le parfum d’une excellente huile d’olive.
C’est fou comme les légumes du genre courge assurent pour nous consoler du froid : Christophe tape dans le mille avec ce velouté de potimarron à l’espuma de hareng fumé garni de lanières de potimarron cru et de graines de courge. Ça réveille un mort et c’est un trait d’union lumineux vers la suite du dîner.
Pointées de petits croûtons malicieux, ces deux ravioles farcies de chanterelles reposent sur une assiette nappée d’émulsion de châtaigne. L’assiette contient en elle toute la forêt. Chanterelles grises, chanterelles en tube : un peu sous-estimés, mais je les préfère aux trompettes-des-morts et même aux girolles, car elles seules ont cet arôme d’automne pur, cette champignonnité concentrée.
De fines tranches de jeune navet voilent ce homard breton, nimbées d’une légère vinaigrette au miel d’acacia, au romarin et aux zestes d’orange. Soulevons le voile : le crustacé apparaît dans toute sa beauté rouge et nacrée. Un plat assemblé avec un toucher fin et délicat.
La mousseline de pomme de terre affiche une belle texture, légèrement granuleuse, sans le côté collant que l’on trouve souvent en de telles préparations (Thermomix, j’écris ton nom). Des saint-jacques poêlées s’y nichent et une tombée de truffe blanche leur donne des ailes. Un plat à la fois délicat et robuste que l’on déguste avec gourmandise.
Pigeon des Costières, bien en chair, bien en sang, entouré d’un jus riche et concentré. Le poireau grillé, les champignons et la compotée de coing lui vont bien : encore un plat d’automne, en parfaite adéquation avec la saison.
Exercice généreux et créatif sur les agrumes confits et glacés : orange, pamplemousse rose et blanc, mandarines pelés à vif ; sorbet citron, zestes confits de yuzu et de citron vert, meringue française et citron caviar.
Chocolat caraïbe en mousse tiède, glace réglisse. Je ne suis pas fan de réglisse mais on s’en fout, mon goût personnel ne m’empêche pas de dire que cette association entre réglisse et chocolat tiède est magique. La mousse tiède est une merveilleuse idée, trop rarement rencontrée : c’est sous cette forme légère que la saveur du chocolat s’exprime le mieux.
La question que certains se poseraient et que je ne pose jamais : Le 10 est-il moderne ou classique ? Comme vous voyez, je la pose quand même. En fait, pas exactement : ce dîner me rappelle que cette question est importante pour certains, car la cuisine de Christophe y répond de façon nette et sereine : elle est l’une et l’autre, moderne et classique, harmonique et cohérente. Cette question, de toute façon, est toujours dépassée quand on a affaire à une véritable intelligence culinaire. « Cuisiner les meilleurs produits en leur faisant le moins de mal possible » est son principe, et il n’y en a pas besoin d’autre. Christophe ne compte pas s’arrêter là : il a en projet, avec son associé Laurent Salembier, un concept de restaurant-poissonnerie à Rueil-Malmaison. Jonathan Bauer-Monneret y tiendra le tire-bouchon et ça devrait être grand. Ouest parisien, tu peux dire au revoir à ton oreiller et à ton ours en peluche, il va se passer des choses.
Le 10 – 10, rue des Louviers, 78100 Saint-Germain-en-Laye. RER Saint-Germain-en-Laye. Tél. 01 34 51 04 24. Ouvert de midi à 14 heures et de 19 h 30 à 22 heures. Fermé dimanche soir et lundi. Menu déjeuner 35 € en semaine, menu confiance en six services 89 €, 120 € avec accords vins. Carte environ 60 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
Bonjour. Je vais le tester prochainement. Mais Saint Germain en Laye ne sommeillait pas. Avez-vous testé le Wauthier by Cagna au 31 Rue Wauthier, pas très loin du 10 ?
Cordialement
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