Hugo & Co (Paris) : Tomy suit son étoile
Pourquoi Tomy Gousset n’est-il jamais là où on l’attend ? J’ai eu la réponse aujourd’hui en allant déjeuner à son nouveau restaurant Hugo & Co : c’est parce qu’il ne prémédite pas, ne calcule pas, ne cède à aucun arrivisme. Il suit son étoile et recueille les fruits du destin. Après son départ de Pirouette (rue Mondétour), l’emplacement de son premier restaurant Tomy & Co n’était pas un calcul. L’endroit avait été trouvé comme ça, au hasard, dans un quartier doté d’un feng shui gastronomique de toute beauté (Chez l’Ami Jean, Thoumieux, Jaïs, La Poule au Pot, Bistrot Belhara, etc.) Avec Hugo & Co, c’est un peu le même processus mais la situation est différente. Elle doit être abordée en relation avec le lieu où il s’est installé : le quartier Jardin des Plantes, auquel on doit ajouter la partie sud du quartier Saint-Victor, présente l’étrange particularité d’être privé depuis très longtemps de restaurants intéressants. Il y a bien quelques adresses sympa, éthiopiennes, coréennes, une bonne crêperie, etc., mais côté chefs français, c’est le no man’s land. Il faut se rapprocher de la Seine en traversant le boulevard Saint-Germain pour se retrouver en terrain raisonnablement gastro. Julien Duboué (qui vient d’ouvrir Boulom, sa boulangerie concept speakeasy-buffet-bar à cocktails dans le XVIIIe) avait bien apporté une petite révolution en ouvrant Dans les Landes, mais trois petits tours et il était reparti vers la Bourse, laissant le quartier à nouveau orphelin de tables de qualité.
Mais le quartier Jardin des Plantes reprend espoir, car Tomy Gousset vient de le sauver de nouveau en reprenant le local d’un bar à tapas rue Monge. Habitant moi-même ce quartier, je savais que le lieu précédent s’appelait Casa Hugo. Hugo est aussi le nom du premier fils de Tomy et de sa femme Constance… « Je n’ai pas particulièrement cherché à m’installer dans ce quartier, dit Tomy. On a trouvé ce lieu par hasard. On a vu une petite annonce. Et quand j’ai vu que le lieu s’appelait Casa Hugo… » Tomy, voyant là un signe du destin, donne à son nouveau restaurant le nom de son fils sans débaptiser l’endroit.
Tomy ne se reconnaît pas dans le numéro de claquettes des chefs médiatiques, dans le food-bling, dans les vanités du monde culinaire. Il n’en comprend pas tout ; peut-être n’y a-t-il rien à comprendre. C’est un bosseur. Il croit au travail, il croit à l’équipe, son équipe ; croit à l’humain, ne porte pas de masque. Il évolue entre questionnement permanent et la certitude existentielle que donne une base éthique solide : la famille, la solidarité, la gentillesse. « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait qu’une banquette dans la salle : allongé, on ne tient qu’à deux. Comment mes collaborateurs vont-ils faire leur sieste ? Alors j’ai investi dans des lits de camp, on dort super-bien là-dessus. » De temps à autre, on parle des chefs maltraitants, pas assez à mon avis. Mais on ne parle jamais des chefs gentils, et ça aussi, c’est dommage.
Dès l’entrée, on sent le désir de mettre les clients à l’aise. Les murs latéraux sont recouverts, du sol au plafond, de cagettes en bois patiné chargées d’objets divers : plantes, vases, lampes, pots d’épices, livres. Le tout produit un sentiment de confort aimable, un peu ville, un peu campagne.
Entre les deux, c’est la cuisine ouverte et le bar où l’on peut aussi s’installer pour manger.
Il doit être écrit quelque part que ce cœur du Cinquième sera sauvé par les tapas : Dans les Landes était un restaurant de tapas, Casa Hugo était un restaurant de tapas, et maintenant Hugo & Co est aussi un restaurant de tapas. En réalité, c’est un peu plus complexe que ça : le menu se divise entre assiettes à partager, plats plus conséquents et desserts. On peut, à loisir, picorer ou manger de façon plus classique. La carte est modulable entre fines agapes et vrai gueuleton. C’est une carte ouverte au monde : il y en a pour tous les goûts et tous les appétits. Hugo & Co est, en fait, un vrai beau restaurant dissimulé derrière l’apparence sympathique d’un comptoir à petites assiettes. Assiettes pas si petites, d’ailleurs. Le partage se fait sur de belles portions : inutile de se battre à la fourchette pour un morceau de tartine.
La carte des vins, sérieuse et travaillée, vend la mèche, car c’est une vraie sélection de restaurant : composée par le fidèle sommelier Micaël Morais, elle témoigne du même soin scrupuleux et du même mépris des sentiers battus que celle de Tomy & Co. Crémant du Jura rosé, dão rouge d’Antonio Madeira, mauzac roux de Bernard Plageoles (Gaillac), pierre-précieuse d’Alexandre Bain, sylvaner « peau-rouge » du domaine Josmeyer, riesling de Marcel Deiss, gevrey-chambertin « justice » de Cossard, côte-rôtie de Jean-Michel Stephan… Mais aujourd’hui, je me laisse tenter par un cocktail maison, frais, peu dosé : champagne, grenadine, jus d’ananas.
Le repas sera composé de trois tapas et un dessert. Pancake salé et guanciale, pecorino et cébettes, riquette. Fin et pourtant moelleux comme un édredon, finement relevé par le croustillant de la joue de porc en salaison grillée.
Crostini à l’avocat (un guacamole convenablement relevé), radis rouge et parmesan trente-six mois. C’est fou ce que l’avocat peut être rafraîchissant tout en étant gras et onctueux. Les crostini étant présentés sur un lit de poivre rouge en grains, je vous conseille de ne pas les renverser dans leur assiette par inadvertance.
Tomy se jette à l’eau, du moins le pense-t-il : faisant observer tout haut que « Sophie est très sévère avec tout ce qui est asiatique, j’ai pas intérêt à me planter avec la pâte de mes bao », il me sert d’emblée ses bao à la queue de bœuf, légumes en pickles, coriandre. Il n’a aucun souci à se faire, ils sont excellents, la pâte moelleuse et légère comme il faut.
Il y a même la sauce chili maison dans une mini-pipette ! Elle déchire : pimentée, fumée et acidulée, elle tient à la fois de la chilli sauce et de la sauce barbecue. Vous pouvez y aller, elle va avec tout.
Glace aux fraises gariguettes et billes de tapioca. Dessert d’inspiration asiatique, très frais pour un jour chaud.
Temporairement en exil pour cause de sinistre, vivement que je retrouve mon quartier pour pouvoir venir régulièrement manger ici. Tomy a eu, comme on dit, le nez creux : s’installant dans un quasi-désert gastronomique, il récolte la clientèle du quartier, ravie qu’on s’occupe enfin d’elle et qui, j’en suis certaine, le récompensera d’une fidélité à toute épreuve. Il cartonne le soir avec deux services et ne tardera pas à cartonner aussi à midi. Alors je vous adresse une prière : allez-y, mais laissez-m’en un peu.
Hugo & Co, 48, rue Monge, Paris Ve. Métro Cardinal-Lemoine. Tél. 09 53 92 62 77. Fermé samedi et dimanche. Entrées/tapas à partager, de 7 à 16€. Pour suivre : plats de 16 à 32€. Desserts 9€.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud