baieta paris

Baieta (Paris) : tendresse et concentration

03 août 2018  0  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensNous sommes le mercredi 1er août 2018 et il fait aussi chaud que le vendredi 27 juillet 2018, date de la dernière petite cuillère sur Food&Sens. Et apparemment ça ne va pas s’arranger avant le milieu de la semaine prochaine. Ce n’est pas un jour pour sortir, encore moins un soir pour sortir, et pourtant j’ai décidé de dîner à Baieta. Ce restaurant, pas loin de chez moi, m’intéresse beaucoup. Naguère, c’était Itinéraires, le gastro indépendant de mon ami Sylvain Sendra, qui, aux dernières nouvelles, parcourait le monde. 

baieta paris

Photo © Pierre Lucet Penato.

Julia Sedefdjian a été en 2016 la plus jeune étoilée de France aux Fables de La Fontaine de Christian Constant, où elle est entrée à dix-sept ans pour y recevoir une étoile à vingt et un ans. Elle a remporté à seize ans la finale régionale du concours des Meilleurs Apprentis de France, devenue chef de cuisine à vingt ans, et a ouvert son restaurant à vingt-trois ans.

baieta restaurant

Tout cela est déjà admirable. Mais aussi, Julia est niçoise, et le restaurant est niçois-caribéen : les deux coéquipiers de Julia, Sébastien Jean-Joseph en cuisine et Gregory Anelka en salle et au tire-bouchon, sont tous deux martiniquais. On ne cultive pas seulement l’aïoli : on s’adonne aussi au rhum. Inspiration nissarde et grands rhums agricoles sont, si j’ose dire, les deux mamelles de Baieta.

restaurant baieta

Inspiration nissarde avec cette pissaladière dodue, joufflue, moelleuse, servie avec une eau de tomate qui est la fraîcheur même.

Mais voilà, il fait très chaud ce soir. La ventilation posée tant bien que mal dans le restaurant — ici un climatiseur mobile, là un ventilo — est très insuffisante. Le restaurant est presque plein, les autres restaurants du quartier sont quasi vides, mais beaucoup de clients s’éventent. Une convive, dotée d’un fort accent de Neuilly, avec son éventail ; un touriste avec son plan de Paris ; un autre convive avec son menu. Alors on parlera de rhum une autre fois, quand la météo permettra de s’y consacrer. Cet article est un numéro à suivre : il y a beaucoup de choses à dire sur Baieta et je suis certaine, ce soir, chaleur et fatigue aidant, de n’avoir soulevé qu’un coin du voile.

restaurant baieta paris

Je peux au moins dire que, tout au long de la soirée, a défilé sur ma table une cuisine impeccable, intense, sans concession, haute en goût. Une de ces cuisines qui vous font dire : « J’ai une sacrée chance d’avoir ça dans mon quartier. » Une cuisine qui cherche avant tout à mettre le convive à l’aise, à le dorloter. Expertise, maîtrise, justesse, mais aussi enfance, câlin, souvenirs. Ce n’est pas pour rien que le restaurant s’appelle baieta, « bisou » en nissart.

baieta menu

Exemple à l’appui : le poulpe. Une certaine mode veut qu’il nous soit toujours servi un peu caoutchouteux. Ici, il est accompagné de gnocchi de patate douce, le tout nappé d’une savoureuse émulsion d’étrilles. Le poulpe a exactement la même consistance que les gnocchi : tendre et moelleux, il se coupe avec le côté de la fourchette. C’est comme ça que je l’aime, mais c’est surtout comme ça qu’on ne le sert presque plus. Parfaite entrée.

baieta restaurant menu

La poitrine de cochon caramélisée, déclinaison de céleri, tuile cacahuète sent davantage le gastro, un peu moins le bisou. Je veux dire par là que c’est un plat moins caressant, plus austère, plus convenu. La suppression de la couenne sur la poitrine de cochon me déçoit. Mais peut-être la chaleur influence-t-elle mon jugement, car ce n’est vraiment pas un plat pour soirée chaude.

menu restaurant baieta

Tout s’illumine de nouveau avec la bouillabaieta, la bouillabaisse façon Julia. Poissons, pomme de terre, rouille, croûton (un seul, mais grand), et tentacules de seiche (je crois) quasi crus, à peine raidis par la soupe de poisson versée à table. Avec une totale fidélité gustative au modèle, le jeu de textures est extraordinaire.

menu baieta paris

baieta vins

Nul vin n’aurait mieux convenu à cette virtuose interprétation de la bouillabaisse que ce blanc qui m’a été servi au verre. Le blanc secret du château des Sarrins, cépage rolle (vermentino), évoque des tonnelles de vigne au crépuscule, des fontaines couvertes de mousse, des jardins toscans, l’humidité vespérale après une journée chaude (pas comme ce soir, donc).

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Pêches pochées à la verveine, déclinaison d’abricot, tuile amande-pistache. Encore le Sud, le soir.

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Pendant tout le repas, j’ai aperçu Julia, au fond, derrière le passe, attentive, toute à sa tâche, l’air d’une petite madone du vieux Nice avec son front joliment penché. Rarement j’ai vu une telle intériorité, une telle concentration en cuisine. Avant de partir, je passe la saluer en plein coup de feu et j’ai juste eu le temps de prendre cet instantané qui dit tout. Ce n’est pas un portrait de Julia que j’ai fait, c’est l’image de sa concentration, de son sérieux — peut-être l’image de son talent. Difficile de douter que l’on soit en présence d’un génie culinaire en développement. Il va falloir revenir quand le mercure aura baissé : l’histoire n’a pas été entièrement contée. Et puis il va bien falloir essayer l’aïoli.

Baieta – 5, rue de Pontoise, Paris Ve.Tél. : 01 42 02 59 19. Ouvert du mardi au samedi de midi à 14 h 15 et de 19 heures à 22 h 15. Menus déjeuner (en semaine) : 29 € (entrée + plat), découverte 45 € (entrée, poisson, viande, dessert). Midi et soir, menu dégustation à 85 € en sept services. Carte environ 60 €.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

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