Rencontre avec le chef Olivier Valade du Château Saint-Jean à Montluçon – « je note très peu les recettes. Je crois au droit à l’oubli, au devoir à l’oubli même ! »
Le chef Olivier Valade officie comme chef de cuisine au Château Saint Jean, l’hôtel 5 étoiles de Montluçon, idoine comme point de chute pour partir en virée autour des volcans d’Auvergne. Mais c’est surtout la cuisine qu’il sert dans son restaurant gastronomique qui nous intéresse. Etoilé au Guide Michelin, formé auprès des plus grands dont Alain Ducasse et Bernard Loiseau, nous l’avons rencontré cet automne pour une interview savoureuse.
Bonjour Olivier Valade, Racontez-nous d’abord comment vous avez commencé la cuisine ?
Olivier Valade – La cuisine, j’ai toujours aimé ça. J’ai été élevé dans une famille qui cuisinait beaucoup. Avec mes parents, depuis tout petit, on tuait le cochon tous les ans, à côté de Brive. On faisait aussi nos canards… Mon père est corrézien et je suis né à Brive. Il possédait une maison dans son village natal et c’était le point de ralliement. Mes premiers souvenirs de cuisine : on me donnait un couteau et je grattais les poils du cochon, parce qu’on flambait l’animal au chalumeau. On fabriquait nos saucisses, nos boudins…et tout ce qui en découle. Cela m’arrivait aussi, plus grand, d’aller tordre le cou d’un poulet avec ma grand-mère. En fait, j’ai été élevé avec tout ce qu’on a perdu maintenant, l’attrait du vivant à l’alimentation. On a oublié qu’avant d’avoir un produit dans l’assiette, c’était un animal vivant. Je pense que l’acte de tuer un animal pour le manger génère un vrai respect. Notamment valoriser l’animal jusqu’au bout, ne rien jeter, ou le moins possible. Dans le poulet, les carcasses sont grattées parce qu’on a élevé cette volaille nous-mêmes. Alors qu’avec la société de consommation actuelle, le rapport au vivant n’existe plus. Et on est même obligé de faire un dessin de l’animal sur les barquettes pour ne pas oublier ce qu’il était ! On a probablement été trop loin dans les modes d’élevages intensifs… Et la deuxième raison pour laquelle j’ai appris la cuisine, c’est que l’école n’était pas vraiment mon fort, ou elle n’était pas faite pour moi je ne sais pas… Donc je bifurque après la troisième vers l’école hôtelière de Souillac, dans le Lot. Et puis je fais de bons stages par la suite.
Y a-t-il des chefs qui vous ont marqué ?
Olivier Valade – Il y en a quelques-uns oui ! Mon premier stage, c’était à Monaco. D’ailleurs l’immeuble a été détruit maintenant, c’est devenu l’hôtel Mirambeau. C’était un restaurant étoilé Michelin, avec un Meilleur Ouvrier de France dans la brigade. Là-bas, le chef de partie m’a vraiment bluffé de simplicité et d’efficacité. On était à une époque où celui qui arrivait en premier en cuisine montrait sa motivation. Travailler 14 heures par jour, ce n’était pas grave, on était à fond… Et lui c’était tout l’inverse. Tous ses déplacements étaient étudiés, calculés et naturels. Il était structuré ! On s’en aperçoit avec l’âge, mais c’est un petit peu comme dans Matrix, d’un seul coup tout vous saute aux yeux : vous avez une vision 3D de la cuisine, de l’espace, du temps et tout est lié. Tous vos déplacements, tout ce que vous faites est calculé ! Parce que vous avez suffisamment de recul pour vous rendre compte des choses.
Donc ce MOF vous marque… et après ?
Olivier Valade – Quelques années après, encore, à Monaco ! Le Louis XV, chez Alain Ducasse. Il avait déjà trois étoiles à l’époque. C’est pareil, lui n’est pas un technicien, le couteau, cela fait longtemps qu’il n’y touchait plus. Mais il avait un vrai sens de la phrase, du mot juste. Vraiment quelqu’un que j’ai apprécié énormément, que ce soit dans sa simplicité d’approche ou son humilité. Il était très discret. Mais bon, il a tenu le Louis XV pendant de nombreuses années… C’est le chef exécutif de l’hôtel de Paris quand même ! Lui m’a beaucoup marqué par sa philosophie de cuisine. C’était encore une très bonne logique d’apprentissage, avec beaucoup de rigueur, même plus que de raison. Au louis XV on n’avait qu’un jour un quart de repos, et on gagnait très bien notre vie. Cela m’avait impressionné. C’était un monde parallèle, une parenthèse très fermée, il y avait les équipes du Louis XV et les autres. Ce que j’ai appris là-bas, c’est la rigueur, ne jamais se dire « oui, oui, on verra, ça va aller… ».
Grosse brigade là-bas, j’imagine ?
Olivier Valade – A cette époque, tous ceux qui rentraient devenaient commis. Ils pouvaient tous prétendre à un rôle de second dans un deux macarons… mais ils rentraient en tant que commis ! Donc, derrière les chefs de partie, derrière les seconds, il y avait du lourd ! C’étaient des contrats de trois mois, renouvelables… ou pas ! Une ambiance horrible. Enfin, horrible, moi je l’ai très bien vécu, je n’ai eu aucun souci, mais il y a des gens qui avaient du mal à s’adapter. C’était très dur. Par exemple un jour un commis fait des petits légumes, tous parfaits réguliers, magnifiques. On les envoie en cellule pour les refroidir … et le chef de partie poisson ouvre la cellule et se met à crier : « C’est à qui les légumes congelés ? » alors qu’il y a juste la pointe qui a un petit peu durci… le chef de partie annonce : « ici on ne fait pas de congelé ! »…et il jette toute la plaque à la poubelle ! Là, tu te regardes et tu comprends vite qu’il ne faut rien laisser en cellule. Il y avait une vraie compétition, chacun devait prendre sa place.
Et après ?
Olivier Valade – Une expérience de vie et de jeunesse mémorable, celle d’être allé travailler avec Régis Bulot. Grand Monsieur, j’ai beaucoup apprécié les Relais & Châteaux. J’ai passé plusieurs saisons dans le restaurant de son hôtel en Dordogne. C’est juste après l’école, j’étais embauché. J’ai été obligé d’arrêter une saison parce que je faisais partie des avant-derniers contingents pour intégrer l’armée. Je ne voulais faire de service militaire mais j’ai eu une opportunité avec l’école hôtelière…et j’ai découvert Paris. Direction Matignon, pendant 10 mois.
Et puis Bernard Loiseau ?
Olivier Valade – Oui, premier passage chez Bernard Loiseau, entre 2001 et 2003. Je suis rentré demi-chef de partie. Et après, j’étais second. Il y avait Monsieur Loiseau, Patrick Bertron, deux seconds et quatre chefs de parties. C’étaient de grosses brigades, ouvertes sept jours sur sept tous les soirs… Et donc j’ai intégré cette équipe, dans laquelle on a dit au revoir au Chef un fameux lundi… C’était très compliqué. J’étais très proche de Monsieur Loiseau. Il a mis un système qui était assez structuré pour le management des personnes, des équipes qui, surtout en salle, avaient 15 voire 17 ans d’entreprise. Des vieux de la vieille impossibles à tordre ! Et puis je suis parti un jour de Juin parce que ma femme se lassait de Saulieu… J’ai fait un petit passage chez Hélène Darroze, rue d’Assas, deux étoiles à l’époque.
Les foies gras aux feuilles de figuier, les Saint-Jacques de plongée…
Voilà ! Le lièvre à la royale, le poulet farci… Une équipe de cuisine top ! On s’est éclatés ! Vraiment, c’était une jeune équipe, on rigolait tout le temps et ça poussait dur. Après, je suis allez chez Jacques Le Divellec. Il n’avait plus qu’une étoile mais c’était un Grand Monsieur dans tous les sens du terme ! C’était une armoire, 130 kilos ! Bon, il avait déjà 75 ans, il n’y voyait plus rien…là, j’ai appris à travailler le turbot. Tous les jours, on recevait des turbots de 8 à 10 kilos qu’on faisait pendre au fond de la cuisine pour les vider de leur sang. La cuisine était pourrie (rires)…mais c’était très sympa ! Et puis je suis revenu dans le Groupe Loiseau, parce que Patrick Bertron m’avait appelé pour l’un de leurs restaurants de Paris avec en jeu une place de chef. Et en discutant, il m’a dit qu’il aimerait bien que je puisse revenir à Saulieu, pour le seconder, en tant que sous-chef. Et là, j’y suis resté 5 ans. Cela a été une très grosse expérience pour moi, parce qu’on faisait ensemble tout ce qui concernait la création des plats. J’ai beaucoup apprécié. On se mettait dans le bureau, on se concertait et chacun apportait sa touche dans l’assiette. Très bonne équipe, là aussi avec Louis-Philippe Vigilant, qui est maintenant le bras droit de la maison et en passe de reprendre la main. Très très sympa ! Enfin il y a eu d’autres étoilés à Metz, à Saint-Malo…et puis maintenant Montluçon !
Justement au Château Saint Jean, comment définiriez-vous votre style de cuisine ?
Olivier Valade – C’est très difficile à dire. Je fais une cuisine précise, rassurante mais dérangeante aussi. Dérangeante dans le sens où, avec des bases classiques, on vient casser un peu les codes. J’aime bien placer des contrepieds. Pour quelqu’un qui lit nos appellations, c’est très rassurant, parce que ce sont des choses que l’on connaît, c’est structuré…mais on casse l’imaginaire en ne faisant pas exactement ce que l’on attend. J’ai envie de produire une cuisine à manger. C’est ça le côté rassurant : un jus bien concentré, une viande bien cuite, une texture très précise, un beau produit… sans pour autant rester classique. Mais il y a toujours des bases classiques. J’essaye de faire en sorte que le dressage de l’assiette fonctionne avec le lieu et la région. Même si ce ne sont pas tout le temps des produits de la région, j’espère qu’on retrouve un petit peu cette nature proche et ce lieu dans l’assiette. C’est difficile à exprimer. Quand j’étais chez Guérin, on était proche de la mer, et dans les champs de chou-fleur en même temps. Donc on cuisinait le poisson avec des recettes basées sur les produits de la terre. Si on avait été un restaurant avec vue mer, on aurait développé autre chose. Il faut qu’il y ait une certaine corrélation entre ce qu’il y a dans l’assiette et ce que les gens ont vu avant d’arriver au restaurant, avec l’environnement.
Comment cela s’illustre-t-il par rapport au menu que vous proposez ? une sauce à l’ortie par exemple… ?
Olivier Valade – Voilà, pourquoi pas. Il y a une base terroir, essayer d’être cohérent par rapport à l’environnement immédiat, tout en travaillant des produits qui me plaisent. Une seule viande dans le menu, je trouve que c’est bien, c’est plus léger. Ce que faisait Alain Ducasse au Plaza, je trouve que c’était très propre. Je suis allé y manger et j’ai pris une claque. J’admire vraiment beaucoup Alain Ducasse, sa perception des choses, toujours juste, il a toujours un train d’avance. J’ai eu la chance de manger à côté de lui un jour, une table de 8, pendant trois heures, on buvait ses paroles…
D’où l’inspiration vous vient-elle lorsque vous créez un plat ?
Olivier Valade – D’abord, je ne veux plus de plat signature, parce qu’on s’enferme dans un système et je ne veux pas qu’un client dise « je vais manger le ris de veau chez untel…». Non, on vient ici pour une expérience globale, pas pour un plat particulier. Et puis, un plat peut être juste dans une époque, dans un temps donné. Mais entre la sortie d’un plat et le moment où on l’enlève de la carte, il évolue, et souvent dans le mauvais sens. La routine abîme les choses. Un plat n’est bon que pendant une période.
Donc vous changez tout d’année en année ?
Olivier Valade – Oui, et je note très peu les recettes. Je crois au droit à l’oubli, au devoir à l’oubli même ! Ce n’est pas parce qu’on a fait comme ça aujourd’hui que demain on doit faire pareil. Je ne supporte pas qu’on me dise qu’avant on faisait comme ceci ou comme cela. J’ai besoin que ça change tout le temps.
Mais du coup comment vient l’inspiration ?
Olivier Valade – Mystère… Il y a des plats qui sortent parfois très rapidement et d’autres qui sont un vrai casse-tête à mettre au point.
Parfois l’inspiration vient du dialogue avec les producteurs, en direct ?
Olivier Valade – Oui et non : les trois quarts de mes légumes arrivent de Rungis. Pour les poissons, je travaille avec un mareyeur de Saint-Malo, qualité top. Et j’ai aussi un autre mareyeur qui peut tout nous trouver, même pour le bistrot. Le poisson c’est ce qu’il y a de plus facile. Pour la viande, j’ai un grossiste à côté, dans l’Allier, il me livre un super veau bio (à l’affiche du menu dégustation). Mais la viande je n’en prends pas beaucoup. Je fais un petit peu plus de volaille et j’ai aussi un éleveur qui produit du bon cochon de la région. On y revient toujours, au cochon !!!!
Merci beaucoup Olivier
Propos recueillis par Emmanuel Laveran
Bravo Chef OLIVIER !! J’en ai l’au a la bouche, moi qui n’ai plus envie de faire la cuisine… Mais cela me rappelle de bons souvenirs
L.ZANATTA