Que font les chefs à l’heure du confinement ? Leurs témoignages pour F&S
En ces temps de confinement, la planète food tourne au ralenti. Du côté de Food&Sens, nous avons recueilli par téléphone un florilège de témoignages de chefs, qui nous ont raconté comment ils perpétuent leur activité malgré tout, depuis chez eux. Tour d’horizon de la vie des chefs à l’ère du Covid-19.
« Depuis le début du confinement, je passe 80% de mon temps à m’occuper de ma fille. » Ainsi débutent les confidences de Jessica Préalpato, pâtissière-star de la desseralité (la naturalité dans le dessert, NDLR), qui officie depuis plusieurs années au restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée. Confinée chez elle avec son mari et sa fille de 9 mois, la jeune femme profite de ce temps libre inattendu pour avancer chaque matin sur son livre de recettes. « Je prépare un livre de pâtisserie pour enfants ; il contiendra une trentaine de recettes, dévolues au travail du fruit, et agrémentées de produits que les enfants aiment. L’ambition du livre consiste à proposer des recettes simples, moins sucrées et moins beurrées, tout en apprenant aux enfants à identifier la maturité d’un fruit, sa qualité, et les différentes façons de le manger », explique-t-elle. La sortie du livre, initialement prévue pour novembre, a été décalée, Covid-19 oblige. En attendant, celle qui a été élue World’s Best Pastry Chef 2019 travaille ses cartes pour le Plaza Athénée ; « mais sans les produits sous la main, c’est plus difficile. » En parallèle, elle a décidé de s’essayer au yoga, et se lance dans l’apprentissage de l’italien. « Nos métiers de chefs sont tellement prenants, aussi bien par les horaires que par la créativité à solliciter en permanence, que je réalise maintenant seulement toutes les autres choses qu’on peut faire dans la vie », confie-t-elle en riant. Quant à l’après-confinement, Jessica Préalpato l’espère vecteur de changements : « j’aimerais voir davantage de produits français dans les supermarchés. Les petits producteurs et les agriculteurs français doivent y être mieux représentés. C’est très important de les aider à vivre. Quand on voit que certains de nos agriculteurs se suicident, faute de clients, il faut que les choses changent. »
Confinement oblige, Cyril Rouquet-Prévost (chef privé et animateur télé) n’assure plus ses cooking shows télévisés (dont « Plateau Gourmand » le week-end sur LCI). Du coup, il s’est fait fort d’adapter le contenu de ses vidéos de recettes en ligne, désormais orientées sous l’angle du confinement. Réunies sous le vocable Stay at Home Kitchen, ces vidéos se veulent simples, légères, proposant « des recettes à petit budget, qui nécessitent très peu d’ingrédients. De la sorte, les gens n’ont pas besoin de sortir faire leurs courses, ils peuvent utiliser ce qu’ils ont dans leurs placards », explique-t-il. Ces recettes familiales s’efforcent également « d’être anti-gaspillage ; tout est utilisé dans le produit, pour le plat ou le dessert », explique-t-il. En parallèle, Cyril Roquet-Prévost concocte des plats à emporter ; tout en réfléchissant à l’après-pandémie. « Ceux qui me touchent le plus, ce sont tous ces chefs qui galèrent actuellement ; surtout ceux dont on ne parle pas, qui ont perdu ou vont perdre leur restaurant, suite à la crise des Gilets Jaunes puis du coronavirus », confie-t-il. « Pour les autres, pour ceux qui vont s’en sortir, il faut tâcher de voir le confinement comme une opportunité de faire autre chose ; refaire sa carte, planifier des travaux pour son restaurant, préparer la réouverture, faire de la livraison… »
Enseignante à l’école hôtelière de Glion en Suisse, la MOF Chantal Wittmann a dû plier bagage au début de la pandémie. De retour chez elle en Alsace, elle prend son mal en patience, dans l’attente de la réouverture du campus (prévue pour le 24 juillet). En attendant, elle et ses confrères assurent cours et ateliers en ligne, pour perpétuer la formation de leurs élèves. « Tout ce qu’il est possible de faire en ligne est mis en place. Nous faisons cours deux fois par jour, une fois le matin et une fois l’après-midi. En complément, nous avons mis en place un chat, sur lequel les étudiants peuvent poser leurs questions. Rien de tel pour conserver le contact avec eux ! Quant aux ateliers pratiques, ils attendront la réouverture du campus… » D’ici là, ses étudiants ont des devoirs à faire ; « chacun devra me présenter un projet complet, comprenant la mise en place d’une table, un thème d’événement, un choix de vaisselle, une estimation du coût, etc. Comme une véritable étude de cas. »
Le confinement n’empêchant pas l’enseignement à distance, le chef et MOF Christophe Haton continue lui aussi de faire cours. Formateur-enseignant à l’Ecole Ferrandi Paris, où il s’occupe des élèves de troisième année, il a dû moduler son emploi du temps, et faire quelques aménagements de contenu : « certes, je ne peux pas donner d’ateliers de cuisine en tant que tels ; mais je continue d’assurer d’autres choses, comme le coaching des business plans, la mise en place d’un concept culinaire, la rédaction de cartes et de menus en fonction des saisons, l’élaboration d’un design culinaire, les fiches techniques, le management d’une équipe, etc. Tout cela se fait via un logiciel, qui nous permet de travailler en groupe, de faire des visio-conférences, et de partager des documents. C’est une autre façon de travailler, mais c’est très intéressant et enrichissant », analyse-t-il. Si niveau théorie, les choses prennent bien tournure, en revanche la partie cuisine reste en souffrance ; « forcément, rien ne remplace la vraie application », regrette Christophe Haton. « On a beau suivre le meilleur livre de recettes au monde, la cuisine, c’est quelque chose qui se ressent. Sentir les produits, les odeurs, ça doit se vivre en direct… » Puis de conclure : « j’ai hâte de retrouver de vraies sensations. »
Son restaurant à peine fermé, le jeune chef Jean-Baptiste Ascione (ex candidat de Top Chef 2015) a pour sa part quitté Paris, pour vivre le confinement à la campagne. À six mois seulement d’existence, son restaurant parisien Petit Gris aura tout subi : les Gilets Jaunes, les grèves, puis le confinement lié à la pandémie. Aujourd’hui, sa trésorerie est forcément en souffrance, et le jeune homme (26 ans) a dû faire une nouvelle demande de prêt, afin de pouvoir payer son équipe (5 personnes). S’il est actuellement à découvert, il précise que les choses restent encore gérables, suite à la gestion millimétrée de sa trésorerie, instaurée dès le lancement du restaurant en septembre 2019. « Jusqu’à ce que le restaurant ferme, j’avais toujours réussi à ne jamais être à découvert », raconte-t-il ; « pour y parvenir, on a toujours travaillé à flux tendu côté provisions, privilégiant les petites commandes quotidiennes. Certes, cela nous forçait à avoir une gestion des stocks plus intensive, mais j’évitais ainsi de sortir de grosses sommes. » Forcément inquiet par la prolongation du confinement, qui présage de difficultés financières croissantes, le chef s’attache à rester positif : « malgré tout ce que je traverse, je reste content d’une chose : avoir réussi à remplir mon restaurant… Et si je ne m’en sors pas, si au final il faudra le fermer, ce sera triste, mais tant pis, je fermerai. Et j’ouvrirai autre chose ensuite. Et ça finira par aller. Vous savez, la restauration est un secteur qui subit toujours toute sorte d’impacts. C’est à nous à apprendre à rebondir… »
Pour plus de témoignages de chefs liés à la pandémie, retrouvez ICI notre interview de Paul Pairet à l’heure du dé-confinement à Shanghai ; ainsi que notre interview du chef et MOF Olivier Nasti, qui raconte son confinement en Alsace.