Les Yeux dans les Yeux avec Paul Pairet : « Avec Ultraviolet, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser mon rêve »
Les Yeux dans les Yeux avec Paul Pairet : « Avec Ultraviolet, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser mon rêve »
Food&Sens a rencontré Paul Pairet lors du tournage de la 10ème édition de Top Chef. Nous avons parlé de son rêve réalisé, de sa plus grande motivation et des habitudes hérités de sa vie en Chine ! Une interview en deux parties qui commence… Maintenant !
F&S : Votre concept du restaurant Ultraviolet a été copié et revisité plusieurs fois…
Paul Pairet : Oui, notamment, il y a une très grosse copie… Ça s’appelle même une macroscopie… (il rit). Mais on ne peut pas déposer une idée, on ne la détient pas… Avec le temps, je commence même à penser qu’Ultraviolet a été un bon projet parce qu’à chaque fois que je commence à l’expliquer, le gars qui est en face de moi s’exclame : « Mais c’est exactement ce que je voulais faire ! » Enfait ce n’est pas exactement ce que tu voulais faire, c’est ce que tu penses que tu voulais faire, mais c’est ce que je viens de t’expliquer ! Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Il faut savoir que le premier projet de ce type, c’était en 1996, en Australie ! Je voulais faire la même chose, mais avec des moyens beaucoup plus limités. Et au cours des années le projet s’est développé. Il y a eu un pré-projet que j’ai fait à Paris et qui devait être au Crystal Room Baccarat. Finalement ça ne s’est pas fait et je suis reparti. Le projet de Shanghai, je le définis clairement en 2008. Et la personne qui a fait la copie du projet à Ibiza a le projet entre les mains parce qu’il se trouve que cette personne a embauché mon sous-chef de l’époque auquel j’ai envoyé le projet. Il pense alors que le projet se définit tel que je l’ai présenté à l’écrit donc je l’ai peut-être mal présenté, parce qu’ils font une première version quand même très ratée à Madrid dont personne n’a jamais entendu parler. Après, ils viennent nous voir sur place et deux ans après ils ouvrent quelque chose qui était quelque peu ridicule dans la copie. D’abord, c’était un copain donc je ne comprends pas ce genre de trahison. Ensuite, je ne comprends pas non plus qu’il dise : J‘avais un rêve il y a 10 ans… En 2018, cela fera 10 ans parce que ce rêve, il l’a eu en 2008. La denrée la plus rare à trouver dans ce métier est l’honnêteté et le manque d’honnêteté m’embête. Là, il y avait un manque d’éthique flagrant et cela m’a agacé.
Ultraviolet a eu de la chance d’être rentré dans le Fifty Best et cela nous a donné finalement une espèce de protection par rapport au projet espagnol. Ce qui m’embête, c’est que les gens prennent souvent la partie immergée de l’iceberg. Ils se disent : ok, on va faire un projet de restaurant avec des projections, des odeurs…et puis au final il n’y a rien qui fait une assiette. On n’est pas obligé de faire un trois-étoiles pour faire de l’Ultraviolet, mais il faut au moins avoir une assiette qui tienne la route ! Ca n’a aucun intérêt d’illustrer d’une façon extravagante de la mauvaise bouffe ! Qui aurait envie d’aller dans un truc comme ça ?
F&S : Quelle est la limite entre le plat copié et le plat revisité?
Paul Pairet : C’est le drift et la création,… Il y a une grosse différence ! Il faut s’assurer qu’au moment où on sort le plat il y a une réelle nouveauté par plat, même s’il est impossible de couvrir tout le champ de création possible dans le monde. Quand on a un doute, on va vraiment chercher l’information. On va sur internet et on se dit voilà, j’ai fait pizza salade et si on trouve rien, on se dit que c’est bon. Quelques fois le cheminement peut être similaire, à ce moment-là, on mesure, on se demande est-ce qu’on est authentique dans notre proposition. Je prends un exemple très simple : il y a quelque temps, j’ai fait un « très beau » plat, très authentique… C’est très prétentieux de dire ça, mais bon…
On a fait une bougie présentée au milieu de la table et entourée de plein d’autres bougies sur une table laquée noire. C’était une séquence qui introduisait l’Asie dans le menu C d’Ultraviolet. On prend cette grande bougie, on la met en bout de table et on la coupe. À la surprise de tous, il y a un poisson dedans qu’on a fait cuire dans la cire. C’est un moment de passage entre Marseille et Shanghai parce que le poisson est cuit avec de la lavande, de la sauge, dans un caractère très méditerranéen. On a une cuisson qui est très intéressante parce que la cire se durcit autour de 60-65 degrés ce qui est la température parfaite pour cuire notre poisson. Et de plus, il se trouve qu’en allumant notre bougie, on maintient le poisson à chaud pendant presque vingt minutes. Et on s’est posé la question de l’authenticité de cette technique parce qu’il y a un collègue à moi qui a déjà utilisé la cire d’abeille pour cuire un poisson. On s’est posé la question, car il y a un précédent, un collège avait déjà utilisé de la cire d’abeille pour cuire un poisson. C’était plus l’équivalent d’une « épilation » à la cire ce qu’il a fait. Cela m’a fait un petit peu douter de savoir si je peux utiliser cette technique même si celle-ci n’a pas été tout à fait la même.
F&S : Au dela du plat c’est un environnement global qui fait l’importance du plat ?
Paul Pairet : C’est toujours le plat qui va définir l’environnement, ça, c’est une réalité ! On travaille toujours sur beaucoup de plats, car l’objectif d’Ultraviolet est de faire un repas, un menu. Je suis beaucoup plus intéressé par l’équilibre du menu que par l’intérêt des plats les uns par rapport aux autres. Ce qui est intéressant, c’est quand on a une liberté absolue de travail sur les 22 plats et qu’on n’est pas obligé d’équilibrer les assiettes. Les assiettes occidentales sont toujours équilibrées, c’est-à-dire que s’il y a quelque chose d’un peu sucré à un endroit, on va mettre un peu d’acidité de l’autre… Chez Ultraviolet, on ne travaille pas comme ça. On peut déséquilibrer une assiette parce que celle-ci va se rééquilibrer par rapport à celle qui vient après ou celle qui est venue avant. Cela donne une liberté absolue en cuisine. Si on a décidé de faire un plat trop vinaigré, on fait un plat trop vinaigré. Si on a décidé de faire un plat trop salé, on fait un plat trop salé !…
F&S : Que vous évoque le terme « flexitarien » ?
Paul Pairet : Rien du tout, je ne sais même pas ce que veux dire flexitarien. C’est qui ? Un végétarien flexible ? 😉
F&S : Exactement, celui qui limite sa consommation de la viande et du poisson.
Paul Pairet : Chez Ultraviolet, on fait ce que l’on peu pour s’adapter mais on ne peut pas s’adapter sur tout comme c’est un menu imposé. Donc si quelqu’un est végétarien, on refuse parce que l’on pense que l’expérience va être en dessous de ce que l’on propose.
F&S : Vous n’adaptez jamais vos menus?
Paul Pairet : Si, sur chaque plat, on a 2-3 version d’adaptation selon certaines diètes. Mais d’abord, on essaie de s’assurer que ce sont les diètes et pas les préférences qui n’ont pour moi aucune importance. Si on me dit : je n’aime pas l’agneau, ça ne m’intéresse pas. Tu vas manger l’agneau, tu vas me dire après si tu aimes l’agneau. Dans notre menu, on sert une langue d’agneau. Si je dis aux gens que c’est une langue d’agneau personne n’en prend, mais une fois servie, la langue d’agneau est peut-être l’un des plats que les clients ont préféré dans le menu. C’est quand même extraordinaire cette affaire, c’est très psychologique.
F&S : Qu’est-ce que vous avez pris comme habitude en vivant en Asie?
Paul Pairet : De boire de l’eau chaude. Je trouve ça très intelligent. Quand je suis arrivé en Chine, je me suis dit : ils sont un peu bizarres ici, ils boivent de l’eau chaude… On te sert de l’eau, on te sert de l’eau chaude… Enfait, c’est génial. Ce n’est pas une habitude qu’on a nous, mais maintenant, je bois de l’eau chaude. C’est bien pour la digestion et c’est accessible à tout le monde. Ça me fait beaucoup rire parce que j’ai critiqué ça au début avant de comprendre. Maintenant, c’est la première chose que je fais en me levant le matin et souvent avant de me coucher.
F&S : Avez-vous une citation préférée?
Paul Pairet : J’en ai plein mais si on me le demande je bloque.
F&S : Qu’est-ce qui vous motive tous les jours?
Paul Pairet : D’être en vie déjà c’est formidable. De savoir qu’on peut boire un café et fumer une cigarette. Je suis conscient de la chance que j’ai chaque matin, c’est déjà ça. Après, par rapport au metier, la passion c’est quelque chose que se cultive, ce n’est pas quelque chose qui est naturel dans la durée et il faut de temps en temps se souvenir de ce qu’on fait, ce qu’on a fait, où on est, pourquoi on a fait tout ça et mettre les choses en perspective pour se relancer parce que de temps en temps, effectivement, on a la tendance de se laisser un petit peu aller.
Avec Ultraviolet, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser mon rêve ! C’est assez rare de pouvoir réaliser son rêve professionnel. C’était ce que je voulais faire. Après, même quand 3 étoiles arrivent, on dit toujours que c’est le rêve des chefs de cuisine… C’est vrai, mais quelque part, mon rêve absolu était de faire Ultraviolet ! Par exemple, durant mon premier service chez Ultraviolet j’ai touché du doigt la cristallisation de ce qui a été le projet de ma vie et qui correspondait à ce que je voulais faire. Je me suis dit que c’est une vraie étape de ma vie !
F&S : Vous avez réalisé votre plus grand réve, est-ce que vous en avez eu d’autres depuis?
Paul Pairet : Dans ce sens-là non. Après, il y a pleins de choses qui m’intéressent. Ce n’est pas parce qu’on a concrétisé son rêve que c’est la fin. Ultraviolet pourrait m’occuper le reste de ma vie. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de se développer sans se diluer au travers de plein de petits projets.
Copyright : Food & Sens / Irina et Guillaume Erblang