Chez Mattin (Ciboure) : basque d’initié
C’est une très belle petite ville, Ciboure, dans les Pyrénées-Atlantiques. Et là où Ciboure est la plus belle, à mi-pente, où convergent quatre ruelles entre les façades de grandes maisons à pans de bois, vous trouverez Chez Mattin, dont le fanal brille dans la nuit. Un restaurant caché, un restaurant pour initiés.
Je sais que vous allez me dire qu’il est sur TripAdvisor — tiens, la belle affaire. Comme si tout n’était pas sur TripAdvisor. Il est même sur ViaMichelin : même commentaire. La vérité est ailleurs : pour vous intéresser à Mattin (prononcez matchine, à la basque), il faut d’abord savoir qu’il existe. Et pour savoir qu’il existe, il faut que quelqu’un ait vendu la mèche. L’adresse, quoique répertoriée dans les guides en ligne, se refile sous le manteau. Les critiques de la grande presse — quand il y en a — disent plutôt des platitudes sur le lieu et donc ne comptent pas. Les commentaires, les notices des sites sont brefs. Ils disent que c’est bon. Ils ne disent pas à quel point c’est bon. Pas fous.
Les locaux ne sollicitent guère l’invasion. Les familles du coin tiennent à leur restaurant familial. Ils veulent pouvoir déboucher leur irouléguy, serviette rayée sur les genoux, sans voisiner avec des ahuris qui commandent un Coca avec leur axoa. Et ils ne veulent pas avoir à expliquer à la voyageuse des Amériques que la couche de chose dorées qui croquent, sur le poisson, ce ne sont pas des cacahuètes — auxquelles elle est allergique — mais de l’ail. De l’ail ? Tout ça ? Oui, ici c’est un restaurant où l’on considère l’ail comme un légume. Voire comme des pommes de terre. J’aime cette conception du monde.
Questionnés avec insistance, les locaux vous diront qu’on sert ici de la cuisine basque. Et comment, que c’est de la cuisine basque ! Ttoro (copieuse soupe de poissons, spécialité de la maison), chipirons, tripes à la basquaise, merlu grillé, tout y est. Ils préciseront peut-être que le chef a d’autres cordes à son arc. Qu’il excelle aussi bien dans le lièvre à la royale nappé d’une sauce miroir finement cacaotée que dans des exercices toujours nouveaux, toujours inattendus, où il joue de l’acidité, de la douceur, du sapide et du piquant avec une imagination sans borne.
Tout cela avec la même aisance, la même sûreté de geste, la même gentillesse. Et la même chaleur dans l’accueil, dans l’ambiance : le chef, Madame, la cuisine, la salle débordent de tendresse. Je lis à tel ou tel endroit : « De la vraie cuisine. » Une cuisine qui se sent autant chez elle dans la tradition, dans le répertoire familial, dans la cuisine du marché que dans l’innovation. Et de l’innovation comme celle-ci, vous n’en avez jamais encore mangé.
Par exemple : la semaine dernière, ceci, que nous n’attendions pas, est descendu sur notre table. Jaune d’œuf cuit à basse température, jambon, fines lamelles d’artichaut frites croustillantes, et truffe. Un plat qui roule sur la jante tout en représentant dignement des siècles de saveurs basques.
Je ne vais pas vous décrire comment nous nous sommes jetés dessus. Je vous montre juste la photo.
Le dernier article de cette rubrique vous racontait que j’avais mangé chez Mattin le meilleur chipiron de ma vie. C’était en août. Planché, saucé, découpé, tendre et souple sous la dent. Cuit à la perfection. Il reposait sur un lit de ventrèche de porc grillée. Peu réussissent autant les accords terre-mer que les cuisiniers basques, et parmi les cuisiniers basques, j’en connais peu qui y excellent autant que celui-ci.
Autre démonstration, cette composition classique du restaurant où des queues de langoustine décortiquées, croquantes et cristallines, se reposent sur une briquette de pied de cochon croustillant.
Ici, un rouget se prélasse sur un sandwich à la truffe comme si ça allait de soi.
Il y a poissons d’été et poissons d’hiver. L’été dernier, le chef nous avait préparé cette merveilleuse ventrèche de thon à la plancha, juste saisie, fondante.
Poisson d’hiver : besugo (pageot) grillé, recouvert de cet ail frit que j’évoquais plus haut. Juste pour vous dire que je ne vous racontais pas d’histoires.J’avais déjà évoqué les desserts pour dire qu’ils étaient superbes, légers et fort bien faits. Et je vous ressers la pavlova par pure taquinerie.
Belle carte des vins aussi. Bon, on résume : si vous passez par Saint-Jean-de-Luz, Ciboure, Socoa, n’hésitez pas, appelez sans relâche, ou passez, et attrapez la première table qu’on vous proposera. Et même si vous n’êtes pas tout à fait pile-poil dans la zone géographique, « vaut le détour », comme dit le guide à pneus. Quoi qu’il en soit, vous avez compris : Chez Mattin, il faut y aller. Ou au moins essayer.
Chez Mattin – 63, rue Évariste-Baignol, 64500 Ciboure. Tél. : 05 59 47 19 52. Fermé dimanche, lundi et jours fériés.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud