Jean-Paul Hévin, Pierre Marcolini, Pierre Hermé… et Patrick Roger. L’artisan chocolatier dont l’atelier se situe à Sceaux, à quelques rues du parc éponyme n’est peut-être pas le plus connu de ses pairs. Mais il a une «saveur» particulière. Il le dit lui-même au Figaro: «Le chocolat, c’est ce qui m’a révélé». Car cet artisan originaire du Perche ne se contente pas de fabriquer du chocolat aux formes ou aux couleurs classiques, et de le vendre dans ses neufs boutiques (dont sept en région parisienne). Patrick Roger bâtit également des sculptures – parfois imposantes – pour lesquelles il utilise du métal. Des créations qui font énormément parler d’elles – et de lui – puisqu’il a dernièrement exposé au centre d’Art Elephant Paname, dans le IIe arrondissement de Paris.
Il l’a dit dans une passionnante interview sur Europe 1: chocolatier, c’est un «passeport pour le monde.» Son passeport. Humble, Patrick Roger ne considère pas qu’il a réussi, et ne se sentira probablement jamais un notable. «La réussite, c’est quoi?», me demande-t-il, attendant que je réponde à sa place. L’artiste chocolatier n’a pas réussi: il s’en «est sorti». C’est ce qu’il m’a expliqué pour «le plus bel échec», en débutant par des anecdotes datant de la cour d’école…
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C’est en échouant à l’école que vous avez commencé à «réussir» votre vie? – J’ignore ce qu’est la réussite! Je dirais plutôt que je m’en suis sorti, et c’est déjà quelque chose d’exceptionnel. Tout le monde n’a pas cette chance, surtout dans ce type de parcours. Quand on est mauvais et que l’on nous donne l’impression d’être mauvais, cela mine le moral. Certains ont du mal à aller au-delà de ça…
Quel est votre secret alors? Comment vous en êtes-vous » sorti » ? – Mes seize années d’échec scolaire ont également été ponctuées par le jeu. Quand je n’échouais pas, je jouais. Tout était prétexte à jouer. Mais les seize années suivantes, c’était autre chose… Je suis rentré dans le dur! Le prof Michel Girard nous en faisait voir de toutes les couleurs. Et je n’avais pas le droit de me plaindre: mon père avant moi avait fait un apprentissage, et il en avait encore plus bavé, il était encore moins bien payé que je ne l’étais. Vous savez, je ne viens pas d’un milieu où l’on vit dans l’opulence. C’est ma force de caractère et de travail qui m’a permis de m’en sortir. À partir de ce moment là, j’ai travaillé dur, sans cesse.
Quand a eu lieu le déclic? – En 1986, lorsque j’ai fini deuxième sur cent de mon concours d’apprentissage. J’avais 18 ans, et j’ai été embauché à Paris. Après un mois un peu chaotique en pâtisserie, j’ai été envoyé en chocolaterie. C’était une découverte de A à Z. Je ne connaissais pas le chocolat, je n’avais jamais mangé de bon chocolat. C’est à cette période que j’ai compris que le chocolat était mon eldorado. Ma matière, celle qui allait me révéler, celle qui allait me donner envie de jouer, de m’exprimer.
Vous avez donc «digéré» l’échec scolaire des seize premières années? – Absolument. Par ailleurs, je n’ai aucune haine pour les études ou les personnes qui en font, et je n’ai pas honte de ne pas en avoir fait. Il n’y a pas que des cerveaux dans notre pays, il faut en être conscient! Je l’assume complètement: je n’étais pas fait pour les études. Grâce à mon travail, j’ai une telle liberté aujourd’hui… Une liberté d’expression, une liberté de création… Grâce à mon activité, je dois avoir visité soixante pays aujourd’hui. Même si j’ai parfois du mal à communiquer, cela aussi, c’est une liberté incroyable!
Vous êtes devenu un notable! – Jamais je n’arriverai à me considérer comme tel! Vous savez, il existe certaines choses qui ne s’effacent pas avec le temps. Aujourd’hui, je n’ose pas rentrer chez le boucher-charcutier par exemple, parce que c’est ce que font «les gens biens.» En revanche, je peux aller chez Dior ou déjeuner chez Alain Passard. J’ai mes paradoxes. Comme je n’avais rien à une époque, aujourd’hui, je garde tout! Mes sept motos que je ne vendrai jamais parce qu’elles font partie de mon patrimoine, tous mes dessins, mes sculptures…