Le respect de la tradition dans la modernité : le défi des chefs Manuel Gobbo et Beatrice Simonetti
Le respect de la tradition dans la modernité : le défi des chefs Manuel Gobbo et Beatrice Simonetti
Comment respecter la tradition tout en voulant s’en détacher complètement ? Comment réussir à expérimenter et affirmer un nouveau style culinaire tout en résidant dans un restaurant historique dont le nom a une signification très importante pour un pays entier ? Les chefs Manuel Gobbo et Beatrice Simonetti l’ont expliqué à F&S dans une interview à cœur ouvert.
En novembre dernier, Food&Sens a été invité à suivre la Tiramisu World Cup à Trévise, l’une des deux villes italiennes où le tiramisu serait né. Eh oui, vous avez bien lu ! Parce que même si ce gâteau si aimé est connu partout dans le monde, personne ne sait encore comment et où il est né exactement, et croyez-le ou non, en Italie il y a une grande lutte juridique entre les régions du Frioul-Vénétie Julienne et de la Vénétie en ce qui concerne sa paternité.
La seule chose qui est sûre c’est qu’il a été conçu par une femme dans les années autour de 1950. Le reste fait toujours l’objet d’un différend qui voit deux restaurants s’affronter pour le titre de « Berceau du Tiramisu » : l’Albergo Roma, au Frioul Vénétie Julienne, et Le Beccherie, à Trévise en Vénétie.
Pour l’Albergo Roma, il paraît que le tiramisu soit né du génie de Norma Pielli, une jeune dame qui a tenté de revisiter pour ses clients la recette d’un dessert tirée du livre de Pellegrino Artusi, «La science dans la cuisine et l’art de bien manger», en substituant le beurre avec du mascarpone et le liqueur Alquermes avec du café. Pour Le Beccherie, au contraire, il semblerait que Alba Campeol, propriétaire du restaurant, l’ait conçue comme une » recomposition » du copieux petit-déjeuner à base de sabayon et café que sa belle-mère lui préparait quand elle était enceinte pour faire face à ses longues journées en cuisine. La même cuisine où il y a deux mois, nous avons rencontré Manuel Gobbo et Beatrice Simonetti.
Nés et grandis à Trévise, les chefs Manuel et Béatrice ont un passé dans la haute cuisine, avec des expériences importantes dans les meilleurs restaurants gastronomiques d’Italie où ils se sont rencontrés et ont découvert une bonne affinité dans la création de plats et goûts très intéressant. Après des années la valise à la main, ils décident de rentrer chez eux et de faire équipe avec l’entrepreneur de succès Paolo Lai, avec lequel ils participent au projet de rénovation du restaurant Le Beccherie, voué à faire revivre ce lieu historique et traditionnel en le déplaçant dans une dimension plus moderne.
«La nôtre est une cuisine qu’on aime définir comme « GLOCAL » ce qui indique notre désir d’enrichir la cuisine locale avec des saveurs et des arômes qui viennent du monde entier. Bien sûr, au début, ça a été très difficile de se faire apprécier… Comme vous le savez, les habitants de Trévise sont très attachés à ce restaurant et à son histoire et ils n’ont pas toujours apprécié les changements que nous avons apportés à sa cuisine, surtout quand on a revisité des recettes traditionnelles. Heureusement Paolo Lai nous a toujours soutenus et, petit à petit, eux aussi ont commencé à nous faire confiance. D’ailleurs, Trévise et ses traditions restent le leitmotiv de notre carte et les matières premières qu’on utilise viennent toujours des producteurs locaux. Voilà pourquoi des plats tels que notre Risotto à la citrouille, gingembre et chou noir,nos Huitres aux haricots Verdon où nos encornets à l’encre de seiche avec de la polenta Taragne sont devenus désormais des plats incontournables », nous dit Béatrice.
Manuel acquiesce en souriant et lorsqu’on lui demande où il pense que le tiramisu soit vraiment né, il nous répond : « Heureusement que je n’étais pas encore né ! Ce que je crois, par contre, c’est qu’il est inutile de discuter de ses origines car ce qui est vraiment important, à mon avis, c’est qu’aujourd’hui ce dessert est connu partout dans le monde, et en 70 ans, il a réussi à faire ce que la pizza a fait en 200. Tout le monde le connait, tout le monde le mange, tout le monde essaie de le cuisiner à sa façon. C’est le gâteau le plus démocratique que je connaisse et c’est pour cette raison que moi et Beatrice, nous avons décidé de le proposer dans notre restaurant en deux versions différentes : l’originale, qui est toujours faite selon la recette d’Alba Campeol, et la Sbagliata (la « mauvaise » en italien, ndr), à base de pain éponge au café, d’une mousse au mascarpone et d’une gélatine de Prosecco en l’honneur de nos collines récemment élues au patrimoine mondial de l’Unesco. »
Aujourd’hui, Manuel et Béatrice sont considérés deux parmi les chefs émergents les plus intéressants de la scène gastronomique italienne et leurs projets pour l’avenir (dont nous ne pouvons pas encore vous parler) sont nombreux et très intéressants. « Évidemment, nous aimerions également pouvoir obtenir une reconnaissance du guide Michelin », ajoute Manuel, « mais pour l’instant nous essayons simplement de bien travailler et de profiter des petits objectifs que nous atteignons chaque jour. Heureusement, nous avons la chance de travailler avec des personnes très spéciales et, au fil du temps, nous sommes devenus une équipe très soudée, ce qui est la valeur ajoutée de ce restaurant. Au fait, si cela ne vous dérange pas, au lieu de nous prendre en photo tous seuls, pourriez-vous nous prendre en photo avec eux ?
Eh bien, chers Manuel et Beatrice, avec grand plaisir! La voilà ci-dessous.
Par Lorena Lombardi