Nina Métayer se confie à F&S depuis Londres : ses 3 nouvelles adresses, le sexisme en cuisine, son style de management…
Sur les portraits-photos de Nina Métayer, une constante demeure : la jeune chef sourit toujours. Outre la posture photographique, dans la vie aussi, cette trentenaire bien dans sa peau affiche un large sourire. Comme une philosophie de vie, un bel état d’esprit. Menant de front trois ouvertures à Londres, (Le Mercato Elephant & Castle, déjà ouvert ; le Mercato Mayfair ; et le Mercato Metropolitano Factory, à venir en fin d’année), elle fait rimer sa vie avec projets, vie de famille et allers-retours entre Londres et Paris (où elle est consultante, et intervient comme jury de concours dans des émissions telles que Le Meilleur Pâtissier). On l’a rencontrée le soir de la pré-ouverture de l’un de ses nouveaux spots londoniens : le Mercato Mayfair. Dans ce food court à ouvrir, où l’exigence qualitative et l’état d’esprit rassembleur font office d’ADN, la jeune chef tiendra bientôt son propre restaurant, centré autour du concept du pain. Elle est revenue pour nous sur cette ouverture prochaine (a priori prévue pour fin septembre), ainsi que sur son style de management, et sur la place des femmes chefs dans le monde culinaire. Un entretien engagé, à découvrir ci-dessous.
F&S : Bonjour Nina. Parlez-nous de ce nouveau lieu, le Mercato Mayfair ; de quoi s’agit-il ? Comment s’appellera votre espace dédié au sein de ce Mercato, et quel sera son concept ?
Nina Metayer : Le nom devrait être Sister Métayer, puisqu’il s’agit d’un restaurant que j’ouvre avec mes deux sœurs. De plus, le Mercato Mayfair étant installé dans une ancienne église (aujourd’hui désacralisée), je me dis que le mot ‘sister’ convient bien ! (Rires). Ceci dit, rien n’est encore totalement arrêté, et il est possible que le nom change. Tout s’est fait très vite… Quant au Mercato, son ambition consiste à présenter une offre food de haute qualité, et de qualité constante ; de fait, tous les acteurs réunis ici ont été sélectionnés en vertu de la qualité des produits qu’ils utilisent. Pour ma part, je serai installée au premier étage, dans un espace de 40 places assises. Mon restaurant sera ouvert de 08h du matin jusqu’au dîner. Toute l’offre sera centrée autour du pain ; il s’agira d’une brasserie française basée sur le pain. Le matin, la carte proposera un vrai petit-déjeuner à la française, avec corbeille de viennoiseries, tartines de pain, et œufs (pour s’adapter à la clientèle locale). Le midi, on trouvera par exemple une soupe à l’oignon, un croque-monsieur, des cocottes de plats mijotés, un tartare. En dessert, on servira notamment un pain perdu et un riz au lait. L’après-midi, on proposera un Tea time, qui sera le point central de notre offre. Et le soir, la carte se fera plus travaillée, avec des plats comme l’entrecôte par exemple. Il n’y aura que des choses simples, donc, mais excellentes, et réalisées avec les meilleurs ingrédients. Avec cette table, mon objectif consiste à servir la vraie bonne cuisine française ; l’ambition est de faire des plats étoilables, mais dans une ambiance décontractée, et à des prix abordables.
F&S : Côté produits, où prévoyez-vous de vous fournir ?
N.M. : On va travailler le plus possible localement. Nous n’importerons que quelques produits, dont la qualité est meilleure en France (comme le beurre AOP Charantes-Poitou, qui est le meilleur grâce à son taux d’humidité parfait). J’aurais par ailleurs mon propre moulin, au Mercato Elephant Park, ainsi que mon laboratoire. Ceci dit, nous ferons le maximum sur place au Mercato Mayfair.
F&S : Vos sœurs seront avec vous dans cette nouvelle aventure du Mercato Mayfair.
N.M. : Tout-à-fait. Toutes deux travaillent aussi dans le monde de la cuisine. L’une d’elle, Pandora, vient de chez William Ledeuil, et fera du consulting à notre restaurant de Mercato Mayfair. Paloma, qui vient de chez Hélène Darroze (Jòia puis Marsan, d’où elle a démissionné pour venir ici), sera sur place à plein temps.
F&S : Travailler en famille, c’est bien, ou est-ce compliqué ?
N.M. : C’est bien ! (Rires). On peut se permettre d’être de mauvaise humeur, car on se pardonne tout. Et puis, quand on est dans la difficulté, on se serre davantage les coudes en tant que famille.
F&S : Vous avez une petite fille de 2 ans, ce qui ne vous empêche pas de mener de front une vie professionnelle trépidante. Comment gérez-vous ces deux casquettes ?
N.M. : Je suis très entourée. Par mon mari, ma mère, ma belle-mère et mes sœurs. On est très soudés. Cela m’aide à tout mener de front. De toute façon, si on attend que ce soit le bon moment pour avoir un enfant, ça n’arrivera jamais. À un moment, il faut y aller. Et dans les moments où on a un coup de fatigue, on se rappelle qu’il ne faut pas être fainéant, et qu’on aime ce que l’on fait. Et ça rebooste aussitôt.
F&S : Pourquoi avoir choisi Londres pour vos trois ouvertures ?
N.M. : En fait, tout s’est fait suite à un coup de cœur ; j’ai rencontré à Omnivore les fondateurs du Mercato, Andrea Rasca, Amédéo Claris et Letizia Cervieri, trois Italiens qui vivent à Londres, et qui essaient de créer une belle initiative avec ces Mercato. Leur concept m’a tout de suite plu, car il s’articule autour de la qualité et de l’accessibilité. (D’ailleurs, en parlant d’accessibilité, je tâcherai de vendre ma baguette et mon pain à 2 livres maximum, afin de rester abordable.) Ce projet des Mercato correspond exactement à ce que je voulais faire en France. De plus, il s’intéresse aussi au bien-être du personnel ; justement, je me retrouve dans ce souhait d’avoir des équipes heureuses. Le projet dans son ensemble cochant donc toutes les cases, j’ai dit oui tout de suite.
F&S : Côté management des équipes, quel est votre style ?
N.M. : Il est important pour moi que mon personnel soit content. Je veux que les gens soient heureux de venir travailler ; il faut que l’équipe ait le sourire pour transmettre du bonheur. Je crois vraiment qu’une affaire peut marcher avec une grande efficacité, tout en ayant une équipe épanouie. Pour ma part, je m’entends bien avec mes équipes ; on m’appelle par mon prénom, Nina. Certes, il y a une hiérarchie à respecter ; mais nous sommes tous humains, et il ne faut pas l’oublier.
F&S : Selon vous, le fait de communiquer est-il devenu essentiel pour les chefs aujourd’hui ?
N.M. : Oui, c’est essentiel. Il y a une offre très large sur le marché, et la communication nous aide à nous distinguer. Elle permet aussi d’expliciter ce que l’on fait, de faire comprendre aux gens le prix de nos produits, qui sont plus chers parce qu’ils sont faits artisanalement, à base d’ingrédients de choix. Communiquer nous permet d’expliquer aux clients qu’on fait vivre plein de métiers, car on utilise des produits de petits producteurs. Ce faisant, on protège notre métier d’artisan.
F&S : Si vous le voulez bien, abordons maintenant un sujet qui agace parfois certaines femmes chefs, parce qu’elles ont le sentiment que le fait d’être une femme les y renvoie systématiquement. (Je comprends cet agacement ; mais le fait d’en parler contribue à faire bouger les lignes.) Donc : que pensez-vous de la place des femmes en cuisine ?
N.M. : En ce qui me concerne, j’aime bien parler de ce sujet, car c’est important. D’autant que je reçois beaucoup de messages de la part de jeunes femmes chefs, qui se sentent encouragées par mon parcours. C’est la même chose pour moi : je me sens encouragée par la réussite de femmes chefs comme Anne-Sophie Pic ou Amandine Chaignot ; en voyant qu’elles réussissent, je me dis que moi aussi, je peux y arriver. Il n’y a pas assez de solidarité entre les femmes ; c’est à développer.
F&S : Diriez-vous que le métier de chef est plus difficile pour une femme ?
N.M. : Oui, ça l’est. Pas d’un point de vue physique ; ce n’est pas particulièrement difficile physiquement. Mais ça l’est par les remarques au quotidien ; quand certains chefs vous disent que la place des femmes est à la maison… Ou quand on voit qu’on nous écoute moins qu’un homme… C’est ça qui rend le métier plus difficile pour une femme. Heureusement, pour moi cette difficulté supplémentaire a été un moteur. Cela m’a poussée encore plus. Et maintenant, c’est pour ma fille que je me bats, car je ne veux pas qu’elle manque de confiance en elle. Quant aux hommes qui font des différences entre les femmes et les hommes, ils devraient se rappeler que si on n’était pas là, les hommes n’existeraient pas ; ils sont bien contents qu’on ait fait leurs enfants ! Ceci dit, ce n’est pas qu’en cuisine que le sexisme existe ; il est le reflet d’une société en général. Est-ce que ça va changer ? Je pense que ça prendra encore trois générations. Ma génération a déjà commencé à changer. Quant aux hommes qui n’ont pas changé, je pense que c’est parce qu’ils n’ont pas encore eu de vraie prise de conscience. De leur côté, les femmes aussi doivent avoir un déclic ; il faut qu’elles comprennent qu’elles n’ont pas à culpabiliser, ni à se dévaloriser ; leurs compétences sont les mêmes que celles des hommes.
F&S : Votre mari Mathieu vous soutient beaucoup.
N.M. : Tout-à-fait. D’ailleurs, mon mari aussi est féministe. Ne serait-ce que parce qu’il subit à travers moi les difficultés qu’on m’oppose dans ma vie professionnelle en raison du fait que je suis une femme.