» Marc Veyrat ne mange pas son chapeau  » – Le chef détalonné de sa 3ème étoile, expert en emmerdes et rebondissements s’exprime sur Libé

24 mars 2019  0  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens LIBÉ consacre un long portrait au chef Marc Veyrat de Manigod, à découvrir ci-dessous.

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Retourner chez Marc Veyrat après la perte de sa troisième étoile au Michelin, c’est un peu comme jouer à la roulette russe avec un Scud. Quelle que soit la position de la munition dans le barillet, il se passera quelque chose, mais quoi ? Le rendez-vous avec le plus médaillé historiquement des chefs savoyards avait beau avoir été fixé avant la gifle du Bibendum, en janvier, on s’attend à voir bouillir la soupe à la grimace.

Voilà donc Manigod (Haute-Savoie), au cœur du massif des Aravis, environ mille habitants et surtout treize générations de Veyrat, sous la neige. Le turbo folk savoyard et le rock à fond dans les baffles accueillent les skieurs au bas des pistes avec pintes de bière et sandwichs. Ce n’est pas le coup de bambou des autoroutes à ski alpines mais plutôt l’ambiance baraque à frites qui vous rappelle l’époque où les skis étaient des lattes interminables avec des câbles de fixation qui gelaient et des croquenots en cuir qui sentaient le chien mouillé. Trêve de nostalgie plaisante, là-haut, au col de la Croix-Fry, on s’attend au coup de blues du dégalonné Marc Veyrat, à la neige en deuil sur sa Maison des bois, son rêve barré et turbulent qui oscille entre «Ma Cabane au Canada» version Relais et Châteaux et «Mon Sam Suffit» 3.0 où le four à pain, l’étable, le garde-manger, la cave, le fumoir, le jardin high-tech sont déployés autour d’un immense chalet de bois, de verre et d’inox, où Veyrat prêche sa cuisine végétale, minérale et pastorale.

Il faut compter aussi sur la chapelle de montagne reconstituée avec autel de pierre et vierge en plâtre par celui qui ne se départit jamais de sa croix de Savoie et de son imposant galurin noir. Mais à quoi peuvent servir les gris-gris et le prie-Dieu quand vous ne figurez plus sur le devant de la cène de la bible rouge de la gastronomie ?

Pour l’heure, le maître des lieux est invisible sous le soleil inondant son Heimat. La Maison des bois sent le sapin raffiné dans ses délicieux chalets écrins où la montagne est belle et rustique à la fois, un mélange d’ambiances des romans de l’écrivain italien Mario Rigoni Stern et de Romy, chevrette alpestre dans Sissi l’impératrice. Sur la terrasse de la Maison des bois, on se souvient de notre hôte montrant l’horizon somptueux avec les Aravis et le Mont-Blanc au fond, en expliquant :«C’est pas dur, vous visez entre les deux branches du V de Veyrat que sont les deux pans des montagnes.»

Spleen.Aujourd’hui, on ne traque pas les cimes d’un homme qui revendique l’autodérision quand d’autres le voient mégalomane. On cherche la tanière où il se terre, à l’écart des clients qui goûtent l’exquise tranquillité de son hameau. Alors, le détail, c’est comme le grain de poussière sur le gant de la gouvernante de palace. Implacable. Le diable l’a logé dans la porte entre-ouverte d’un chalet où l’on devine un écran plat qui retransmet du foot. Allez savoir pourquoi, on songe à l’ambiance d’une chambre solitaire de motel, façon Paris-Texas, ça nous change de l’inspecteur Harry de la cuisine qu’a toujours incarné, pour nous, Veyrat : il râle, il fout le bordel, mais il est toujours de retour.

La porte s’ouvre, le manitou de Manigod a sa toque des mauvais jours, mal partout. Chez lui, «la douleur est information», comme dirait une tête à claques de psychiatre que l’on euthanasiera un jour au KFC. Faut dire que l’on a rarement croisé Marc Veyrat sans un pet de travers. Résumé des épisodes précédents : il y a onze ans, à Paris, pour notre première rencontre, il était venu nous vendre des fiches recettes de frites de polenta garnies de fenouil, tomates, anchois et sardines avec des béquilles, conséquence d’un accident cataclysmique de ski. En 2013, il nous avait raconté comment son corps, rempli de ferrailles et de morphine, avait eu raison de sa résistance de montagnard et l’avait obligé à se ranger un temps des fourneaux pour imaginer sa Maison des bois. Il y a quatre ans, sa tension jouait les montagnes russes tandis qu’il reconstruisait son caravansérail montagnard, en grande partie détruit par un incendie d’origine électrique dans la nuit du 16 au 17 mars 2015. La même année, il était condamné à 100 000 euros d’amende pour des infractions à l’environnement sur le site de la Maison des bois.

Marc Veyrat, 68 ans, a été breveté chef d’escadrilles des emmerdes. Il les a racontés le plus souvent comme des coups de gueule qui l’ont remis en selle. Mais là, avec sa rétrogradation à deux étoiles au Michelin, il ne défouraille plus. Il murmure doucement, à plusieurs reprises : «T’as vu ce qu’ils m’ont fait.» Derrière ses lunettes fumées, ça marine dans le spleen. Sûr qu’il va nous faire le coup du rétroviseur en moine défricheur de la cuisine des herbes sauvages il y a trente ans. Avec ses infusions de serpolet, ses bouquets d’oxalis, ses bouillons de légumes et ses poissons d’eau vive, il a raflé les trois étoiles au Michelin et les 20/20 au Gault et Millau. Aussi médaillé qu’un maréchal de l’Union soviétique, Veyrat a semé ses ravioles au céleri sauvage et au chénopode des rives du lac d’Annecy jusqu’aux hauteurs de Megève, comme autant de petits cailloux qui jalonnent toujours la haute cuisine française.

Eh bien non, Veyrat ne déroule pas son tableau d’honneur sous son regard triste. Il convoque son père dans son rétroviseur. Encore et toujours. Même s’il est allé dire au micro de l’émission Complément d’enquête que la perte de sa troisième étoile au Michelin, «ç’a été la plus grande offense de ma vie… C’est terrible. C’est pire que la perte de mes parents, c’est pire que n’importe quoi.» On soupçonne le chef de Manigod d’avoir passé sa vie à solliciter l’approbation paternelle. Dans son autobiographie Un chemin de fleurs et d’épines, parue en 2017 (éd. Michel Lafon), il écrit : «Si je mangeais bien ma soupe, mon père était fier de moi, cela voulait dire pour lui que je savais apprendre. Et pour moi, voir mon père content de moi, même s’il ne le manifestait pas, c’est bien cela qui comptait le plus.»

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