4 chefs parisiens – Jean-Louis Nomicos, Francis Fauvel, Robin Sanchez, Frédéric Vardon – engagés dans un projet d’agriculture urbaine
Le chef cuisinier étoilé Jean-Louis Nomicos en rêve : recréer à Paris un potager avec les parfums de sa garrigue natale. La coopérative In Vivo a un objectif : développer l’agriculture urbaine. Leurs projets vont peut-être se rejoindre.
Lors du salon Sial de l’alimentation à Villepinte au nord de Paris, le premier groupe agricole coopératif français a dévoilé le prototype d’un véhicule de livraison transformé en jardin expérimental connecté et ambulant, qui peut se garer juste devant les restaurants.
A l’intérieur du camion électrique Renault Master Z.E., baptisé « la Plucherie », un climat « contrôlé » est recréé. Des micro-pousses d’herbes aromatiques ou de légumes sont sagement alignées dans des barquettes compostables ou des godets.
Avant d’être livrés aux chefs, les aromates ont éclos et poussé dans une ferme urbaine -un conteneur- installée à Nanterre (Hauts-de-Seine). Le tout grâce à une technique hors sol développée par une startup montpelliéraine, Vegz.
Au lieu de pousser dans l’eau, « les racines des végétaux sont brumisées avec une vapeur composée d’eau et de nutriments », explique Yves Christol, directeur-général d’InVivo Food and Tech. La coopérative dit ne « pas toucher à la génétique », utiliser uniquement des graines standard, et travailler essentiellement sur la quantité de lumière nécessaire pour faire naître les végétaux, avec l’idée de créer un jour différents climats dans l’habitacle.
De quoi permettre à M. Nomicos et trois autres chefs parisiens, Francis Fauvel pour le Ducasse sur Seine, Robin Sanchez de Spoon et Frédéric Vardon du 39V, de proposer une tranche de potager directement dans les assiettes. Les quatre cuisiniers se sont engagés dans ce projet expérimental, grâce à un partenariat inédit avec In Vivo, et Renault, qui met à disposition le véhicule pour un an.
En pensant aux recettes que ce nouvel instrument va permettre, les yeux de M. Nomicos sont traversés d’un éclair gourmand: « je rêve de raviolis aux herbes fraîches, comme les préparait ma grand-mère! », dit-il à l’AFP. Le chef Frédéric Vardon insiste aussi sur le côté Madeleine de Proust. « Il ne faut pas penser qu’on va faire de nos clients des rats de laboratoire », assure-t-il.
Pour lui, cette « innovation » va surtout « permettre de revenir à des goûts qui n’existent plus, et qu’on va recréer ». Son palais garde ainsi le souvenir ému d’une « livèche » que lui livrait une maraîchère il y a 25 ans. Une herbe qui ressemble au persil plat, mais qui a plutôt un goût de céleri. Ce système doit surtout permettre aux équipes d’ingénieurs d’In Vivo de valider un concept d’agriculture urbaine lancé en recherche et développement depuis déjà plusieurs mois, avance M. Christol.
« Le vrai challenge sera de répondre à des besoins très différents. Pour l’instant, nous avons un catalogue de 50 références de micro-pousses et aromates avec quelques productions de routine comme le radis pourpre ou rose, la moutarde blanche, le poireau » dit Julie Bounan, chef de projet « Urban Food » chez In Vivo.
Frédéric Vardon aime beaucoup les feuilles de capucine, piquantes, qu’il associe au pigeon. Globalement, les chefs attendent des variétés sur mesure pour titiller leur imagination, ajoute Mme Bounan en faisant goûter un bouton de fleur tout jaune, la Brède Mafane. En bouche, cette plante de Madagascar provoque une explosion poivrée et pétillante, presque anesthésiante.
Les micro-pousses doivent pouvoir être utilisées toutes fraîches au dernier moment, en pilé, en sauce, en feuille de vigne, voire en potage, l’idée étant de privilégier les goûts, la surprise. Le principal défi sera de rester rentable. « Les herbes fraîches que nous utilisons sont d’ordinaire toujours coupées et donc périssables, et nous en jetons chaque semaine » confie le chef qui espère « réduire le gaspillage ».
« Sur la côte est des Etats-Unis, où se multiplient les fermes urbaines à étages, tout le monde sait très bien qu’elles ne seront pas rentables tant que les légumes n’auront pas quadruplé de prix, car la technologie coûte très cher », admet M. Christol.
Selon In Vivo, cela pourrait venir assez vite, surtout dans les conurbations géantes. « Il faut six heures pour traverser une mégalopole comme Mexico, comment faire pour livrer des produits frais venus de l’extérieur? L’agriculture devra s’installer à l’intérieur des villes », prédit M. Christol.