À la Petite Cuillère en Sauternais (seconde partie)

02 mai 2016  2  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensSuite et fin du périple à la Petite Cuillère en Sauternais. Pour la première partie, cliquez ici.

Un aperçu du magnifique terroir de graves à Clos-Haut-Peyraguey.

Un aperçu du magnifique terroir de graves à Clos-Haut-Peyraguey.

CLOS HAUT-PEYRAGUEY (SAUTERNES)

Pas de nom de château : devant le choix qui lui était donné de se rebaptiser, Clos Haut-Peyraguey a préféré garder son appellation de toujours. D’ailleurs, il n’y a pas de château : un bâtiment viticole, un chai décoré du jaune maison, et beaucoup de savoir-faire. Plutôt qu’au décor, on préfère se concentrer sur les sols magnifiques, les vignes d’âge vénérable et la vinification.

On aperçoit en reflet, sur la courbure du verre, le décor de bouteilles qui orne la salle de dégustation.

On aperçoit en reflet, sur la courbure du verre, le décor de bouteilles qui orne la salle de dégustation.

Après avoir été dirigé par Martine Langlais-Pauly, qui a su réorienter ce beau terroir vers la qualité, le Clos a été racheté par Bernard Magrez, qui désirait depuis longtemps acquérir un domaine de Sauternes. Le responsable d’exploitation, Anthony Defives, reste le même : signe que M. Magrez, homme de vin, pense au vin avant tout. Très bon signe, donc, pour le destin de la région sauternaise, qui semble peu à peu reprise en main par des entrepreneurs dont l’intérêt pour ses vins est sincère — inch’ Allah. Et de fait, les millésimes récents sont une belle surprise : Clos-Haut-Peyraguey m’avait semblé par le passé pécher par trop de douceur, par des parfums un peu trop capiteux au détriment de la fraîcheur. Aujourd’hui, c’est tout différent : le vin est plus direct, plus droit, moins exubérant et plus équilibré. Reste cette superbe fluidité lente du liquide, cette texture satinée, cette matière délicieuse en bouche qui permet de reconnaître clos-haut-peyraguey à l’aveugle.

clos porte de chai

Les chais du Clos Haut-Peyraguey.


Complantation à Clos-Haut-Peyraguey : bébé vigne.

Complantation à Clos-Haut-Peyraguey : bébé vigne.


suduiraut façade

Le château Suduiraut.

CHÂTEAU SUDUIRAUT (SAUTERNES)

Suduiraut me fait toujours penser à Louis XIV, qui en raffolait : il possède une noblesse tranquille, apaisée, sûre d’elle. Le château s’est doté de toute une structure d’accueil : spa, chambres, piscine, jardin à la française paradisiaque (dessiné par Lenôtre) où croissent herbes, fruits et légumes dont le chef se sert dans sa cuisine.

suduiraut oseille

Un pommier à Suduiraut.

Un pommier à Suduiraut.

suduiraut bouteilles

Quant au vin, c’est un soleil qui descend dans le verre : jeune ou vieux, premier ou second vin (le château a deux « seconds » : castelnau-de-suduiraut et lions-de-suduiraut), il est toujours ample, noble et lumineux, marqué par des notes fruitées très ciselées (abricot confit, orange amère…). S-de-suduiraut, un vin blanc sec d’une grande pureté, est également produit sur le domaine. Nous avons demandé à déguster un Suduiraut 2001, millésime qui n’est pas encore tout à fait sorti dans le monde… Et pour cause : il fallait le faire attendre. Mais quel orchestre ! Ce millésime complexe, ensorcelant, porte en lui tout ce qu’on aime dans le sauternes : la satisfaction des sens et de l’esprit, une porte ouverte indéfinissable vers l’inspiration. Le sauternes peut ouvrir la pensée vers l’infini. C’est un vin de méditation à part entière.

Les violettes de Guiraud.

Les violettes de Guiraud.

CHÂTEAU GUIRAUD (SAUTERNES)

Xavier Planty est l’homme des plantes, tout jeu de mots mis à part. La botanique est un sujet de conversation intarissable : la diversité de la flore sur le domaine, le jardin potager et herbacé qui s’étend sans cesse, les tapis de violettes au pied d’un platane, les orchidées sauvages, les haies qui protègent les vignes et encouragent la confusion sexuelle et le contrôle des insectes… Sans oublier la source, le travail en bio certifié depuis des années et la sélection massale : à la longue, les clones de sémillon de l’INRA laissent à désirer, et c’est pourquoi Xavier sélectionne lui-même ses plants dans sa pépinière située près de la source, au milieu de ses terres.

Les vignes de Guiraud, bien enherbées avant le déchaussage des pieds.

Les vignes de Guiraud, il y a un peu d’herbe.


La superbe allée de platanes du château Guiraud.

La superbe allée de platanes du château Guiraud.

En 2015, les deux domaines de cru classé de Sauternes en bio ou biodynamie certifié (Guiraud et Climens) ont vendangé plus tôt et sans heurt. « S’ils veulent ce résultat, dit Xavier, les autres n’ont qu’à faire du bio eux aussi ! » Superbe vin de Château Guiraud, solide et plein de sève, d’une régularité sans faille. Comme en tout grand domaine de Sauternes, les variations de millésime peuvent être importantes, mais le style maison est toujours bien là.

Le château Lafaurie-Peyraguey vu de la croupe de Clos Haut-Peyraguey.

Le château Lafaurie-Peyraguey vu de la croupe de Clos Haut-Peyraguey.

CHÂTEAU LAFAURIE-PEYRAGUEY (SAUTERNES)

Cette grande forteresse mauresque s’étale comme une tache de lumière sur la terrasse médiane du Sauternais. Ancienne propriété de GDF-Suez, elle appartient maintenant à Silvio Denz. Autre exemple de grand cru classé de Sauternes récemment acquis par un entrepreneur qui s’intéresse au vin et désire le mettre en valeur, l’aristocratique lafaurie-peyraguey s’offre une bouteille neuve, ciselée d’un relief d’après Lalique.

La nouvelle bouteille de Lafaurie-Peyraguey et son relief de Lalique.

La nouvelle bouteille de Lafaurie-Peyraguey et son relief de Lalique.

Château-lafaurie-peyraguey m’a toujours, à la dégustation, fait l’effet d’une lumière blanche et d’un éclat de rire. Il a un côté elfe et magicien, princier et débonnaire. C’est un vin solaire qui m’a toujours paru plus crémeux et vanillé que les autres. Pas la vanille du bois, non, mais une vraie vanille, encapsulée dans le vin même. Pourvu d’une charpente acide solide et bien chevillée, ainsi que d’une myriade d’arômes secondaires qui lui donnent une extrême complexité, il est taillé pour traverser les décennies, voire les siècles, comme en témoignent les bouteilles qui reposent dans le caveau du château.

Éric Larramona, directeur du château Lafaurie-Peyraguey, en pleine balade pédagogique dans les vignes.

Éric Larramona, directeur du château Lafaurie-Peyraguey, en pleine balade pédagogique dans les vignes.


Le caveau...

Le caveau… et ce n’est pas le millésime le plus ancien.


Dieu que c'est bon !

Oh que c’est bon !


Quelques-unes des belles graves de Rayne-Vigneau.

Quelques-unes des belles graves de Rayne-Vigneau.

CHÂTEAU DE RAYNE-VIGNEAU (SAUTERNES)

Visite passionnante : combien de chemin a été parcouru par cette équipe viticole ! En 2009, ce vin m’était apparu trop doux, sa palette aromatique un peu trop chargée. Et pourtant, il s’agit du « plus beau terroir de Sauternes », dit-on souvent. Le domaine repose sur une richesse minérale étonnante : jaspes, agates, cornalines, améthystes se mêlent aux graves gunziennes typiques de la terrasse supérieure de Sauternes. Et pourtant, des efforts étaient faits à l’époque pour travailler les vins vers plus de linéarité et de fraîcheur.

Vincent se prépare à nous faire déguster d'abord un fût de sémillon, puis un fût de sauvignon.

Vincent Labergère nous fait déguster d’abord un fût de sémillon, puis un fût de sauvignon.

Mais la musique a changé : la viticulture à Rayne-Vigneau est désormais dirigée par Vincent Labergère, qui a des choses à dire. Par exemple que les sauternes sont des vins aimables, qu’il faut les aborder avec abandon. Qu’ils sont magnifiques à table, à l’apéritif, avant, après, pendant. Que ce terroir doit être révélé par la minéralité, la rectitude du vin. Une petite phrase me vient : « Il faudrait que personne n’oublie que le sauternes est un vin. » Il est ravi : « Oui, c’est bien ça ! »

Le chai de Rayne-Vigneau.

Le chai de Rayne-Vigneau.

raynevigneau2 Dans le verre, toutes ces promesses sont tenues. Le vin se déploie comme une tulipe, ne se perd pas dans les détails, ne dit aucune histoire inutile. C’est un nouveau sauternes qui apparaît, pur et spirituel, riche et contenu, transmettant fidèlement le message de la terre. Un vin en cours de réinvention.

La cour du château de Myrat.

La cour du château de Myrat.

CHÂTEAU DE MYRAT (BARSAC)

Ce petit paradis barsacais mis en scène par Xavier de Pontac (oui, le descendant d’Arnaud III de Pontac, celui qui a inventé le bordeaux, pour faire court) avec volières (il adore les oiseaux), plantations curieuses, arbres fruitiers, houppes de mimosa et de magnolia, enserre une des plus belles chartreuses du Bordelais (1730).

Le château de Myrat.

Le château de Myrat.

Myrat déborde de charme et de style : par son architecture, par ses jardins, par son vin, et jusqu’à la magnifique étiquette art-déco/néo-dix-huitième qui est ma favorite à Sauternes. Le domaine garde encore, dans sa grande salle de réception vendanges, non seulement les pressoirs verticaux (ce qui n’est pas rare à Sauternes), mais aussi les grandes cuves de bois quadrangulaires où l’on recueillait autrefois le jus des pressoirs.

La salle des pressoirs à Myrat.

La salle des pressoirs à Myrat.

La pièce est soutenue par d’incroyables poutres tordues, et devant le bâtiment se trouve encore le pédiluve où l’on faisait passer les chevaux pour leur laver les pieds. Le vin est un barsac typique : délicat, fruité, marqué par les écorces d’agrumes (citron confit et pamplemousse plutôt qu’orange), l’acacia, la mangue et une touche de safran. Le photographe a bénéficié d’une verticale arrangée le matin même pour un visiteur : belle occasion de jouer des couleurs du sauternes comme d’un clavier.

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Le chai du château de Malle.

Le chai du château de Malle.

CHÂTEAU DE MALLE (SAUTERNES)

Parmi les belles demeures de Sauternes, Malle l’emporte haut la main dans la catégorie « Belle au bois dormant ». Ce fantastique château du XVIIe siècle miraculeusement conservé offre des toits en bulbe, une façade ordonnancée recto-verso, des jardins verdoyants d’une poésie mélancolique et un intérieur « dans son jus » spectaculaire, délicatement embaumé d’encaustique.

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Le parc du château de Malle.

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En 2009, j’étais tombée en arrêt devant les grandes figures de carton peint qui, au XVIIIe siècle, servaient aux mises en scène du petit théâtre de pierre encore intact dans le jardin. Elle avaient été déposées au hasard des pièces, et l’on tombait dessus sans être prévenu (la photo ci-dessus date de 2009). L’ambiance mystérieuse n’en était que plus intense.

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Livre de messe du XVIIe siècle dans la chapelle du château.


Sonnez pour la visite !

Sonnez pour la visite !


malle graves

Si vous voyez ce genre d’objet dans les salons de châteaux à Sauternes, attention, ce ne sont pas des cookies.

En l’absence du propriétaire, le comte Henri de Bournazel, nous nous sommes contentés d’une brève visite et dégustation, sans prendre le temps de méditer sur ce sauternes riche et classique comme il le mériterait. Mais le lieu donne irrésistiblement envie d’y revenir. À bientôt, château de Malle.

La terrasse arborée autour de la forteresse d'Yquem.

La terrasse arborée autour de la forteresse d’Yquem.

CHÂTEAU D’YQUEM (SAUTERNES)

Yquem, c’est un vin et c’est un lieu. Je viens d’écrire une banalité ? Je vous la rejoue plus Trivial Pursuit : l’expression « c’est le petit Jésus en culotte de velours qui vous descend dans le gosier » ne se dit QUE de château-d’yquem. Voilà, vous avez appris quelque chose, et vous ne direz plus cela à propos de n’importe quoi, promettez-le-moi. Revenons à la splendeur : cette majestueuse esplanade de vignes de part et d’autre du chemin droit qui mène au château, passé la jolie borne art-déco ; cette curieuse impression qu’il y fait toujours beau même quand ce n’est pas le cas — Yquem sécrète en quelque sorte son soleil intérieur ; ces rosiers chauffés par le soleil sur les murs blonds ; cette sensation tellurique intense autour de la fontaine, et cette forteresse entourée de pins immenses qui courbent leurs longs bras, ceinte d’une esplanade verte où les branches des arbres cisèlent la lumière, terrain idéal pour siestes en plein air et un de mes lieux de méditation préférés.

Les pins d'Yquem.

Les pins d’Yquem.


Yquem 2015 dans la nouvelle salle de dégustation.

Yquem 2015 dans la nouvelle salle de dégustation.


Deux anciens millésimes d'Yquem :

Deux anciens millésimes d’Yquem : 1934 et 1949.


Le soleil dessine une goutte d'or dans une bouteille d'yquem.

Le soleil dessine une goutte d’or dans une bouteille d’Yquem.

Les chais et la salle de dégustation ont été rénovés avec une élégante simplicité. Le vin d’Yquem me rappelle toujours le vent dans les pins, une subtile brise résineuse, et des arômes comme les facettes d’un diamant. « Yquem est un vin intemporel », me confiait en 2009 Pierre Lurton, directeur d’Yquem. « Une façon élégante de voyager dans le temps. Les sauternes sont un produit atypique, inimitable, fondé sur l’élégance du geste humain. […] La tradition sauternaise n’est ni la chaptalisation ni la cryoextraction, c’est le botrytis, la concentration, le travai des hommes et le cousu main. »

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

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2 réflexions sur « À la Petite Cuillère en Sauternais (seconde partie) »

  1. RIFFAULT Murielle

    Bonjour,
    J’aime vos textes sur les Sauternes, pleins d’humour, ils invitent à nous plonger dans les profondeur du Sauternais.
    Merci

    Répondre

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