À Beyrouth, les restaurants ont rouvert – un chef sur place nous raconte sa difficile réouverture, sur fond de crise économique
Dans un Beyrouth marqué par la crise, où l’effondrement de la livre libanaise et l’inflation frappent le pays depuis plusieurs mois (indépendamment de la pandémie mondiale, ndlr), un déconfinement progressif s’est mis en place depuis le 4 mai dernier. Du côté de la restauration, les établissements rouvrent peu à peu ; c’est le cas de celui du chef Azzam el Merhebi, qui a rouvert Bavaglino, son osteria italienne. Dans cet établissement convivial, situé dans le quartier branché de Mar Mikhaël, toutes les mesures sanitaires ont été mises en place pour la réouverture : port du masque et de gants par les membres de l’équipe, prise de température des clients à leur arrivée, brume désinfectante vaporisée régulièrement, gel hydroalcoolique à disposition… Pour autant, les premiers jours d’exercice n’ont pas été synonymes d’un retour à la normale ; et Bavaglino, d’ordinaire très fréquenté, enregistre forcément une forte déperdition de clients. Décryptage.
Avec la triple crise (économique, sociale et sanitaire) que le pays connaît actuellement, le coût de la vie a beaucoup augmenté ; dont les prix des loyers et des denrées alimentaires. « Les prix des produits ont incroyablement grimpé », confirme Azzam el Merhebi – chef libanais qui a tenu un restaurant en Italie pendant 11 ans, et a ouvert Bavaglino à Beyrouth en 2018. Joint par téléphone, il s’est confié pour F&S sur la situation : « On a encore des clients, heureusement ; mais ça n’a rien à voir avec ce qu’on a connu avant… Non seulement les gens ont peur du coronavirus, ce qui fait qu’ils sortent moins ; mais en plus, la crise économique que le pays connaît a réduit leur pouvoir d’achat. » Ce qui a entraîné un changement drastique du mode de consommation : « Avant, les couples qui venaient dîner commandaient un peu de tout ; des antipasti, un plat de pâtes, deux pizzas, deux desserts ; maintenant, pour pouvoir continuer à aller au restaurant, ils consomment beaucoup moins. Certains ne prennent qu’une pizza pour deux, et peut-être un verre de vin en accompagnement. »
Parmi ses clients du moment, le chef Azzam voit revenir les habitants du quartier ; mais aussi des touristes et expatriés, qui n’ont pas pu rentrer à temps dans leur pays respectif avant la mise en place du confinement (et de la fermeture de l’unique aéroport du pays, ndlr). « Ils viennent pour déjeuner ou dîner, achètent une pizza, la mangent sur l’escalier Saint Nicolas qui conduit au restaurant ; puis repartent. » Au final, cette réouverture s’inscrit en dents de scie ; « le 4 mai, j’ai fait trois tables de deux personnes, plusieurs commandes à emporter, et quatre livraisons. Et depuis, c’est à peu près la même chose. On est très loin de nos chiffres habituels… »
En ce qui concerne les mesures d’hygiène imposées par le gouvernement, seule la vente de plats chauds est autorisée. « Du coup, j’ai dû supprimer de ma carte les entrées et les desserts froids », explique le chef ; qui se concentre désormais essentiellement sur les pizzas. Il doit aussi fermer son restaurant plus tôt que de coutume (le couvre-feu étant désormais fixé à 19 heures) ; et ne peut accueillir que 2 personnes par table. « Nous avons le droit de recevoir 20 clients au maximum », précise-t-il ; en sachant que Bavaglino a une capacité d’accueil de 70 couverts.
Du côté de l’équipe, les choses se sont également restreintes ; habituellement épaulé de trois personnes en cuisine, le chef est maintenant seul, ou aidé d’un commis, selon. « En salle, j’ai le manager et 2 serveuses ; l’une vient le matin, l’autre l’après-midi. Voilà comment on a réparti les choses pour pouvoir garder tout le monde. Comme je ne veux pas perdre mon équipe, je les fais travailler à mi-temps. » Entre l’équipe à payer, le loyer (que la dévaluation de la livre a fait augmenter), et le prix des ingrédients qui a augmenté aussi, les profits sont actuellement inexistants. « Je réussis à tenir pied, ce qui est déjà bien ; surtout quand on sait que 860 restaurants ont fermé à Beyrouth cette année… Mais je ne gagne rien », dit le chef. « Le cours du dollar me mange toute la marge. Et je ne peux pas répercuter cela sur ma carte ; sinon, les clients, qui eux-mêmes souffrent financièrement, ne viendraient plus. »
En plus de ce manque à gagner, le chef s’inquiète aussi de la raréfaction de certains ingrédients. « Beaucoup de nos produits sont directement importés d’Italie ; l’aéroport étant toujours fermé, il y a donc des produits que nous n’avons plus ; comme la truffe, la mozzarella fraîche, etcetera. Alors je m’en passe ; je préfère encore manquer, que de faire un compromis sur la qualité. » En attendant un hypothétique retour à la normale, le chef Azzam tient bon ; et espère passer le mois. En juin, il saura s’il peut continuer l’aventure Bavaglino…
Un bon regard sur d’autres lieux que la France ou l’Europe proche
Montre que la crise et les réponses y sont différentes
Bien attirant en tous cas (quand nous pourrons reprendre le ciel)